dimanche 28 octobre 2018

Oblomov : chapitre X


     Résumé des chapitres précédents : Inquiet des mauvaises nouvelles reçues de la campagne (le staroste de son village lui annonce une baisse de ses revenus) et rendu anxieux par la perspective d'avoir à déménager, chose à laquelle il n'arrive pas à se résoudre, Oblomov a vertement rabroué son serviteur, Zakhar, qui avait osé le mettre sur le même pied que les autres. Puis, fatigué par la dispute et remué par de vagues doutes, il s'est endormi. Tandis que son maître rêve à son enfance, Zakhar va prendre l'air...






X

     Dès que Zakhar perçut le ronflement d’Ilia Ilitch, il sauta prudemment et sans bruit au bas de sa couchette, sortit sur la pointe des pieds dans le vestibule, ferma à clé la porte de la chambre du maître et se dirigea vers la porte cochère. 
     — Ah, Zakhar Trofimytch1 : soyez le bienvenu ! Cela fait un bout de temps qu’on ne vous avait pas vu ! dirent sur divers tons les cochers, les valets, les femmes et les gamins l’accueillant sous le porche.
     — Et le vôtre ? Sorti ? s’enquit le concierge.
     — Il pionce, dit Zakhar, l’air sombre2.
     — Comment ça se fait ? demanda un cocher. Il est trop tôt, m’est avis… Il est donc malade ?
     — Malade, ouiche ! Il s’est pris une cuite ! déclara Zakhar avec une grande conviction. Le croiriez-vous ? À lui tout seul il a bu une bouteille et demie de madère et deux grandes bouteilles de kvas, alors, maintenant, il est vautré, il roupille.
     — Bigre ! fit le cocher avec envie.
     — Qu’est-ce qui lui a donc pris, de se piquer le nez à ce point-là aujourd’hui ? demanda l’une des femmes.
     — Non, Tatiana Ivanovna, répondit Zakhar en la regardant de côté, c’est devenu un vrai bon à rien, c’en est même écœurant.
     — Bon, c’est clair, c’est comme la mienne ! soupira la femme.
     — Dites, Tatiana Ivanovna, faudra-t-il l’emmener aujourd’hui  ? demanda le cocher ; je peux m’en aller pas très loin d’ici ?
     — Et l’emmener où ? répondit Tatiana. Elle est avec son chéri, ils ne se lassent pas de s’admirer l’un l’autre.
     — Il vient bien souvent chez vous, dit le concierge. Il m’embête, la nuit, ce maudit : tout le monde est parti ou rentré ; il est toujours le dernier, et monsieur râle en trouvant la grande porte fermée… sûrement que je vais monter la garde sur le perron pour lui !
     — Et quel imbécile, les amis, fit Tatiana. Faudrait chercher longtemps pour en trouver un pareil ! Ce qu’il ne lui donne pas ! Elle se pavane dans ses beaux atours, on dirait un paon ; mais jetez donc un coup d’œil à ses jupons et à ses bas, une vraie honte ! Elle reste quinze jours sans se laver le cou, elle se ravale juste la façade… On en vient à pécher, vraiment, à se dire : « Hé, misérable ! Tu ferais mieux de te couvrir la tête d’un fichu et d’aller dans un monastère, en pèlerinage… »
     Tous se mirent à rire, excepté Zakhar.
     — Tatiana Ivanovna ne rate pas sa cible ! approuvèrent des voix.
     — C’est vrai, quoi ! poursuivait Tatiana ; comment les messieurs admettent-ils à leurs côtés une pareille … ?
     — Où est-ce que vous allez ? lui demanda quelqu’un. C’est quoi, ce baluchon ?
     — Je porte une robe chez la couturière ; c’est mon élégante qui m’y envoie : paraît qu’elle est trop large ! Seulement, lorsque nous nous mettons, Douniacha et moi, à serrer cette grosse vache pour l’habiller, après, nous ne pouvons plus nous servir de nos mains pendant deux ou trois jours, on casserait tout ! Bon, faut que j’y aille. À tantôt.
     — À tantôt , à tantôt ! firent quelques uns.
     — Au revoit, Tatiana Ivanovna, dit le cocher. Venez donc ce soir.
     — Je ne sais pas ; peut-être que je viendrais, ou alors… allez, au revoir !
     — Eh bien, au revoir, répondirent-ils tous ensemble.
     — Au revoir… bonne journée ! répondit-elle en s’en allant. 
     — Au revoit, Tatiana Ivanovna ! lui cria encore le cocher.
     — Au revoir ! répondit-elle de loin d’une voix sonore. 
     Après son départ, Zakhar eut l’air d’attendre son tour pour parler. Il s’assit sur la borne en fonte3 près de la porte cochère et se mit à balancer les jambes, regardant d’un œil morose et distrait les passants et les attelages.
     — Hé bien, comment va le vôtre, aujourd’hui, Zakhar Trofimytch ? demanda le concierge.
     — Toujours pareil : des caprices de fainéant, dit Zakhar ; et tout me retombe dessus, et pas qu’un peu : tout ça à cause de cette histoire d’appartement ! Il enrage : c’est qu’il n’a pas du tout envie de s’en aller…
     — En quoi est-ce ma faute à moi ? demanda le concierge. En ce qui me concerne, il peut rester ici toute sa vie ; est-ce moi le propriétaire ? Je reçois des ordres, moi… Si j’étais le propriétaire… seulement, je ne suis pas le propriétaire…
     — Il te sort des injures ? s’enquit un cocher.
     — Il me sort de telles injures que Dieu seul me donne la force de supporter ça, je ne sais pas comment !
     — Bon, et alors ? C’est un bon maître, s’il se contente de sortir des jurons ! dit un valet en ouvrant lentement une tabatière ronde qui grinçait. toutes les mains, hormis celles de Zakhar, se tendirent vers le tabac. Toute la compagnie se mit à humer, à éternuer et à cracher.   
     — Tant mieux, s’il pousse des jurons, reprit le valet. Plus il jure, mieux c’est : au moins, s’il jure, il ne tape pas. J’ai servi chez un maître qui vous attrapait par les cheveux avant qu’on ait le temps de savoir pourquoi. 
     Zakhar, l’air méprisant, attendit que celui-ci en ait fini avec sa tirade pour reprendre en s ‘adressant au cocher :
     — Couvrir de crachats un homme qui ne lui a rien fait — lui, ça lui est égal !
     — Il est très exigeant, sans doute ? demanda le cocher.
     — Et comment ! siffla Zakhar de sa voix enrouée en plissant expressivement les yeux. Il est affreusement capricieux ! Et ceci ne va pas, et cela non plus, on n’a pas l’art de marcher, on sert les choses n’importe comment, on casse tout, on ne nettoie rien, on vole et on bâfre… Pouah, que le… !  Il s’en est pris à moi, aujourd’hui, une vraie honte ! Et à propos de quoi ? Un petit bout de fromage qui était resté de la semaine dernière – un truc à ne pas même jeter à un chien — et que personne ne penserait à manger. Il le demande. « Il n’y en a plus », on lui dit, et le voilà parti : « On devrait te pendre, qu’il fait, te mettre à cuire dans de la poix bouillante et te découper à l’aide de tenailles brûlantes ; t’enfoncer un pieu de tremble4 dans le corps ! » Et il continue comme ça à me tarabuster… Qu’est-ce que vous croyez, les amis ? L’autre jour, allez savoir comment, je lui ai échaudé le pied avec de l’eau bouillante, fallait l’entendre hurler ! Si je ne m’étais pas écarté en vitesse, il m’aurait flanqué son poing en pleine poitrine… Sa grande idée ! Il m’aurait cogné…
     Le cocher hocha la tête et le portier dit :
     — Voyez-moi la vivacité de ce maître ! On ne peut rien se permettre avec lui !
     — Bon, s’il se contente de lancer des injures, c’est un bon maître ! déclara avec flegme toujours le même valet. C’est pire avec celui qui ne t’injurie pas : il vous regarde, il vous regarde, et d’un seul coup il vous attrape par les cheveux avant qu’on ait eu le temps de comprendre pourquoi !
     — C’est égal, reprit Zakhar sans tenir le moindre compte des paroles du valet qui l’avait interrompu ; son pied n’a toujours pas cicatrisé : il l’enduit sans arrêt de pommade ; grand bien lui fasse !
     — Un maître un peu spécial ! dit le concierge.
     — Il tuera un jour quelqu’un, que Dieu nous en préserve ; il tuera quelqu’un pour de vrai ! Pour la moindre peccadille, il se prend à vous traiter de chauve… je n’ai pas envie d’en dire davantage. Et voilà qu’aujourd’hui il a inventé du nouveau : « venimeux », qu’il a dit ! Oser me dire ça !
     — Bah, qu’est-ce que cela ? fit le même valet. Tant qu’il injurie, Dieu merci, que Dieu lui accorde la santé… Mais il y a le maître qui garde le silence et ne fait que te regarder passer, pour soudain te saisir par les cheveux, comme, tenez, celui chez qui j’étais. Pousser des jurons, ce n’est rien du tout…
     — Tu n’as eu que ce que tu méritais, observa Zakhar, irrité par ces objections intempestives ; je t’aurais arrangé autrement, moi.
     — Comme ça, il t’a traité de « chauve » , dit un petit Cosaque d’une quinzaine d’années, c’est un peu comme « diable », non ?
     Zakhar tourna lentement la tête vers lui et posa sur lui son regard trouble.
     — Fais attention à qui tu parles ! dit-il ensuite d’une voix mordante. Tu es jeune, mon ami, et bien déluré ! Que tu serves chez un général ne m’arrêtera pas : je pourrais te tirer les cheveux ! Fiche-moi le camp  !
     Le petit Cosaque fit deux pas en arrière, s’arrêta et regarda Zakhar en souriant.
     — Qu’est-ce que tu as à montrer tes dents ? siffla celui-ci avec fureur. Attends que je t’attrape, je vais te redresser les oreilles, on verra si tu montres toujours tes dents !
     À ce moment sortit en courant, descendant du perron, un laquais gigantesque à la livrée déboutonnée, portant  aiguillettes et guêtres. Il s’approcha du petit Cosaque et le gifla d’emblée, avant de le traiter d’imbécile.
     — Qu’est-ce qui vous prend, Matvieï Mossiéitch, pourquoi donc ? fit le petit Cosaque, interdit et penaud, se tenant la joue et battant convulsivement des paupières.
     — Ah ! Tu discutes, en plus ! répondit le laquais. Je cours après toi dans toute la maison, et toi, tu es ici !
     Il l’attrapa par les cheveux d’une main, lui courba la tête et le frappa du poing sur le cou à trois reprises, méthodiquement, sans se presser, d’une manière égale.
     — Le maître a sonné cinq fois, ajouta-t-il en guise de sermon – je me fais enguirlander à cause de toi, vilain petit chien ! Décampe !
     Et sa main lui indiqua impérativement l’escalier.
     Le garçon demeura quelques instants dans une sorte de perplexité, cligna deux fois des yeux, regarda le laquais et, voyant qu’il n’y avait rien d’autre à attendre de lui que la répétition de ce qui venait de se passer, secoua sa chevelure et, tout ébouriffé, monta l’escalier.
     Quel triomphe pour Zakhar !
     — Très bien, très bien, Matvieï Mossiéitch, encore, encore ! disait-il avec une joie mauvaise. Hé, ce n’est pas assez ! Ah, oui, Matvieï Mossiéitch ! Merci ! Le petit déluré… Tiens, attrape pour le « diable chauve » ! Tu vas persifler, à présent ?
     Toute la domesticité était secouée de gros rires, prenant à la fois le parti du laquais qui venait de rosser le petit Cosaque et celui de Zakhar qui se réjouissait méchamment. Seul le petit Cosaque ne récoltait aucune sympathie.
     — Voilà, c’est comme ça, exactement comme ça que faisait mon ancien maître, reprit l’autre valet, celui qui ne faisait qu’interrompre Zakhar. On pensait à s’amuser un peu et lui, comme s’il devinait vos pensées, en passant à côté de vous, d’un seul coup il vous attrapait les cheveux, exactement comme Matvieï Mossiéitch vient de faire à Andriouchka. Alors, se faire juste crier dessus, ce n’est rien. La belle affaire que de se faire traiter de « diable chauve » !
     — Toi, peut-être que son maître t’aurait aussi empoigné, lui répondit le cocher en montrant Zakhar, quand on voit la laine que tu as sur la tête ! Mais par où pourrait-il attraper Zakhar Trofimytch ? Sa tête, c’est une vraie citrouille… À la rigueur, il pourrait s’en prendre à ces deux barbes qu’il a sur les pommettes5 : là, oui, il y a de quoi faire !
     Tous éclatèrent de rire, tandis que Zakhar était foudroyé par cette sortie du cocher, le seul avec qui il avait discuté amicalement, jusqu’ici.
     — Attends que je le raconte au maître, cria-il de sa voix enrouée, rendu furieux ; il trouvera bien de quoi t’empoigner ; il t’arrangera cette barbe que tu as, avec tous ces glaçons qui pendouillent !
     — Ça ferait beaucoup, si ton maître s’avisait d’arranger la barbe des cochers d’autrui ! Occupez-vous d’en acquérir un, de cocher, vous pourrez alors lui faire la barbe, mais c’est trop généreux de se soucier de celle des autres !
     — Tu voudrais qu’on te prenne pour cocher, espèce de filou ! brailla Zakhar. Tu ne mérites même pas qu’on t’attelle toi, pour traîner mon maître !
     — Ah ça, pour sûr, le beau maître que voilà ! fit le cocher sur un ton sarcastique. Un pareil maître, où l’as-tu déterré ?
     Et il éclata de rire, imité par le concierge, un barbier6, le grand laquais et le valet adepte du système des injures. 
     — Riez, riez, je le dirai à mon maître ! siffla Zakhar.
     — Et toi, reprit-il en s’adressant au concierge, tu ferais mieux de faire taire ces brigands, au lieu de rire. Quelle est ta fonction, ici ? Maintenir l’ordre. Et que fais-tu ? Attends un peu que je le dise au maître, tu recevras ton dû !
     — Allons, voyons, ça va, Zakhar Trofimytch, fit le concierge en essayant de le calmer. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
     — Comment ose-t-il parler ainsi de mon maître ? s’emporta Zakhar en montrant le cocher. Sait-il seulement qui est mon maître ? demanda-t-il avec de la vénération dans la voix. Toi, dit-il àl ’adresse du cocher, même en rêve, tu ne pourrais pas voir un tel maître : bon, intelligent et bel homme ! Alors que le tien a l’air d’une  rosse affamée ! Une vraie honte, de vous voir sortir sur votre jument alezane : de vrais mendiants ! Vous ne devez manger que des radis en buvant du kvas. Vois un peu ton caftan, on n’en finirait pas de compter les trous dessus !
     Il faut noter que le caftan du cocher n’avait pas le moindre trou. 
     — En effet, on ne trouverait nulle part un maître pareil, le coupa le cocher en tirant à l’extérieur, d’une main preste, le bout de chemise qui dépassait sous l’aisselle de Zakhar7.  
     — Allons, finissez-en, tous les deux ! répétait le concierge, tendant les mains pour s’interposer.
     — Ah ! Tu déchires mon habit ! s’écria Zakhar en tirant sur sa chemise pour la faire sortir encore plus. Attends, je vais montrer ça à mon maître ! Regardez un peu, les amis, ce qu’il a fait : il a déchiré mon vêtement !   
     — Mais oui, c’est moi ! dit le cocher commençant à flancher. Ton maître l’aura déchiré en tirant dessus, oui…
     — Un pareil maître, tirer sur mon habit ! fit Zakhar. Lui qui a une âme si bonne, mais c’est de l’or, oui, plutôt qu’un maître, que Dieu le garde en bonne santé ! Chez lui, je suis comme au royaume des cieux : je ne souffre d’aucun besoin, il ne m’a jamais traité d’imbécile, je mange ce qui vient de sa table, je sors pour aller où je veux – et voilà ! Et, au village, j’ai ma propre maison, mon potager à moi, mon pain à moi ; les moujiks me saluent bien bas ! Je suis à la fois intendant et mojédome8 ! Et vous autres, avec vos maîtres…
     De rage, la voix lui manquait pour anéantir définitivement son adversaire. Il fit une pause pour rassembler ses forces et concevoir un mot bien venimeux, mais son trop-plein de bile l’empêcha de trouver ce mot.
     — Attends un peu, tu vas voir comment tu vas le payer, l’habit : on t’apprendra à déchirer ! proféra-t-il enfin.
     En touchant à son maître, on avait blessé Zakhar au vif, fouaillé son ambition et son amour-propre : son dévouement se réveilla et s’exprima dans toute sa force. Il était prêt à répandre son fiel non seulement sur son adversaire, mais encore sur le maître de celui-ci ainsi que sa parenté (sans même savoir s’il en avait une) et ses connaissances. Il se mit à répéter avec une exactitude surprenante toutes les calomnies, toutes les médisances à propos de ces patrons qu’il retirait de ses anciennes conversations avec le cocher.
     — Vous autres, ton maître et toi, n’êtes que de maudits va-nu-pieds, des youpins, pires que des Allemands ! dit-il. Son grand-père, je sais qui c’était : un commis au marché aux puces. Les invités qui sont sortis de chez vous hier soir, je me suis demandé si ce n’étaient pas des filous qui s’étaient introduits dans l’immeuble, à voir leur genre : une pitié à voir ! Sa mère aussi vendait aux puces des habits volés et des fringues hors d’usage.
     — Allons, arrêtez, tous les deux ! s’efforçait de les calmer le concierge.
     — Oui ! fit Zakhar, le mien, Dieu soit loué, est un maître de souche ancienne ; il a pour amis des généraux, des comtes et des princes. Encore n’admet-il pas chez lui le premier comte venu : certains d’entre eux font antichambre dans le vestibule… Nous avons tout le temps des auteurs…
     — Des auteurs comment, mon ami ? demanda le concierge qui désirait mettre fin à la querelle. Des fonctionnaires ?
     — Non, ce sont des messieurs qui inventent eux-mêmes à leur gré, expliqua Zakhar.
     — Et que font-ils donc chez vous ? s’enquit le concierge.
     — Ce qu’ils font ? L’un demande une pipe, l’autre du xérès… dit Zakhar qui s’arrêta en voyant un sourire moqueur sur presque toutes les lèvres.
     — Vous n’êtes que des misérables, tous autant que vous êtes ! dit-il précipitamment en les enveloppant tous de son regard de côté9. On t’apprendra à déchirer l’habit d’autrui ! Je vais le dire au maître ! ajouta-t-il, et il revint vivement vers la porte d’entrée.
     — Allons, ça va ! Arrête-toi, attends donc ! lui cria le concierge. Zakhar Trofimytch ! Allons à la taverne… S’il te plaît…
     Zakhar s’arrêta à mi-chemin, fit rapidement demi-tour et, sans un coup d’œil pour la valetaille, s’élança encore plus vite au-dehors. Sans tourner la tête, il parvint à la porte d’un débit de boissons qui se trouvait en face ; là, il se retourna pour parcourir d’un regard sombre toute la société présente et, leur faisant d’un geste encore moins engageant signe de le suivre, il disparut derrière la porte.
     Tous se dispersèrent, les uns allant à la taverne, les autres rentrant chez eux ; seul resta sur place le valet.
     — Bah, tu parles d’un malheur, s’il le dit à son maître ! dit-il avec flegme en se parlant à lui-même, tout en ouvrant lentement sa tabatière. C’est un bon maître, on le voit bien, il se contente d’injurier ! Qu’est-ce que ça fait, les injures ? Tandis qu’il y en a d’autres qui vous regardent, vous regardent, et puis qui vous empoignent par les cheveux…   



  1. Pour Trofimovitch, fils de Trofime.
  2. On rappelle que Zakhar est volontiers affabulateur, à propos de son maître. Voir le chapitre VII.
  3. Protège des équipages les passants et les portails. Gogol les évoque dans Le nez.
  4. Le tremble était utilisé pour chasser les démons.
  5. Rappelons que Zakhar, complètement chauve, arbore de grands favoris roux. Voir le premier chapitre.
  6. Il est mentionné pour la première fois. À force de parler d’arranger la barbe des gens, l’auteur s’est peut-être amusé…
  7. Rappelons (cf premier chapitre) que la redingote de Zakhar est déchirée sous le bras…
  8. Pour majordome : Zakhar reprend presque exactement la péroraison (sur l’avenir qu’il se faisait fort de lui préparer) que lui a infligée Oblomov au chapitre VIII, peu avant de se recoucher et de s’endormir…
  9. Spécialité de Zakhar, déjà évoquée au premier chapitre, puis retrouvée au chapitre VIII, quand il se fait semoncer.