samedi 22 avril 2023

Un démon mesquin (Fiodor Sologoub), chapitres VII à IX

VII



     Varvara ignorait où Peredonov s’en était allé. Elle passa une nuit affreuse.


     Mais, revenu en ville le lendemain matin, Peredonov n’alla pas chez lui, il se fit conduire à l’église, où la messe débutait. Il lui semblait à présent dangereux de ne pas se rendre souvent à l’église : on allait peut-être le dénoncer.


     Ayant rencontré, en pénétrant dans l’enceinte, un joli petit lycéen au visage naïf,  aux joues vermeilles et aux innocents yeux bleus, Peredonov lui dit :


     — Ah, Machenka1, bonjour ma petite.


     Micha Koudriatsev2 rougit douloureusement. Peredonov l’avait déjà taquiné plusieurs fois en l’appelant Machenka – Koudriatsev ne comprenait pas pourquoi, et ne se décidait pas à aller se plaindre. Plusieurs de ses camarades, des gamins stupides rassemblés là, se mirent à rire en entendant Peredonov. Eux aussi aimaient bien taquiner Micha.


     La vieille église, portant le nom du prophète Élie et datant du tsar Mikhaïl3, se dressait sur la place faisant face au lycée. C’est pourquoi, les jours de fête4, les élèves étaient tenus d’assister à la messe et à la vigile, ils se tenaient en rangs sur le côté gauche, celui du petit autel de Sainte Catherine-la-grande-martyre5, tandis que se mettait derrière eux l’un des pions, pour les surveiller. Plus près du milieu de l’église se tenaient les professeurs du lycée, l’inspecteur et le directeur, avec leurs familles. Presque tous les élèves de confession orthodoxe se rassemblaient là, en dehors de ceux, peu nombreux, autorisés à assister au service dans leurs paroisses, avec leurs parents.


     Le chœur des lycéens chantant bien, l’église était fréquentée par les marchands de la première guilde6, les fonctionnaires et les familles des propriétaires fonciers. Il y avait peu de gens du peuple, d’autant moins que, conformément au désir du directeur, on servait ici la messe plus tard que dans les autres églises.


     Peredonov gagna sa place habituelle. De là, il pouvait voir tous les chanteurs. il les regardait en clignant des yeux, les trouvant alignés en désordre et songeant qu’à la place de l’inspecteur du lycée, il eût remis de la discipline là-dedans. Tiens, le basané Kramarenko, petit, mince et remuant, il n’arrête pas de se tourner à droite et à gauche, il chuchote, sourit, et personne ne lui dit rien. Comme si tout le monde s’en moquait.


     « C’est scandaleux, se disait Peredonov, ces chanteurs sont toujours des vauriens ; le petit noiraud a une voix pure et sonore de soprano, du coup il s’imagine qu’on peut chuchoter et sourire dans une église. »


     Et Peredonov fronçait les sourcils. 


     À côté de lui, arrivé un peu après, se tenait l’inspecteur des écoles, Sergueï Potapovitch Bogdanov, vieillard au visage brun et stupide, ayant toujours l’air de vouloir vous expliquer quelque chose à laquelle lui-même n’entendait rien. C’était l’homme le plus facile à étonner ou à effrayer : à peine entendait-il parler d’une nouveauté ou d’un souci que son front se plissait sous un pénible effort intérieur, et que de sa bouche s’échappaient des exclamations confuses et alarmées.


     Peredonov se pencha vers lui et chuchota :


     — L’une de vos institutrices se promène en chemisier rouge.


     Bogdanov prit peur. Le petit serpent blanc lui tenant lieu de barbiche frémit sur son menton.


     — Que dites-vous là ? siffla-t-il à voix basse. Laquelle, hein ?


     — Mais vous savez, la grosse braillarde, je ne sais plus son nom, chuchota Peredonov.


     — Braillarde, braillarde, essaya de se souvenir Bogdanov, désemparé : Skobotchkina, non ?


     — C’est bien ça, confirma Peredonov.


     — Mais comment est-ce possible ?! s’écria tout bas Bogdanov. Skobotchkina en chemisier rouge ! Vous l’avez vue vous-même ?


     — Tout à fait. Et, à ce qu’on dit, elle se pavane ainsi à l’école. Il y a parfois pire : elle peut mettre un sarafane7 et se balader comme une jeune fille.


     — Vous m’en direz tant ! Il va falloir éclaircir ça. C’est défendu. La renvoyer, oui, il faut la renvoyer, bredouilla Bogdanov. Oh, elle a toujours été comme ça.


     L’office prit fin. Les gens sortaient de l’église. Peredonov dit à Kramarenko :


     — Pourquoi souris-tu à l’église, le noiraud8 ? Attends un peu, j’en parlerai à ton père.


     Il arrivait à Peredonov de tutoyer des élèves qui n’étaient pas d’origine noble ; aux enfants de la noblesse, il disait toujours « vous ». Il se renseignait auprès du secrétariat du lycée pour savoir qui était de quel ordre social, et se souvenait avec ténacité de ces différences.


     Kramarenko jeta un regard étonné à Peredonov et passa son chemin sans rien dire. Il faisait partie des lycéens – une majorité – qui trouvaient Peredonov grossier, bête et injuste, le détestant et le méprisant pour cela. Peredonov pensait que c’étaient ceux que le directeur montait contre lui, le faisant lui-même ou par l’intermédiaire de ses fils.


     Alors qu’ils étaient déjà en dehors de l’enceinte, Volodine s’approcha de Peredonov avec un petit rire joyeux – le visage béat comme un qui aurait gagné le gros lot, le melon sur la nuque, la canne prête à attraper son interlocuteur.


     — Écoute un peu ce que je vais te dire, Ardalion Borissytch, chuchota-t-il gaiement : j’ai convaincu Tchérepnine, il va barbouiller de goudron la porte de Marta, un de ces jours.


     Peredonov se tut, semblant réfléchir, puis éclata soudain d’un rire sans joie. Volodine cessa tout aussi brusquement de sourire, prit une mine modeste, arrangea son chapeau et, après un coup d’œil au ciel et en agitant sa canne, dit :


     — Il fait un joli petit temps, mais peut-être que ce soir nous aurons une petite pluie. Bah, en cas de pluie, nous resterons avec lui chez le futur inspecteur.


     — Je ne peux guère rester chez moi, fit Peredonov, j’ai des choses à faire, je dois aller en ville.


     Volodine fit mine de comprendre, bien qu’il ne sût évidemment pas quelles affaires occupaient soudain Peredonov. Quant à celui-ci, il songeait qu’il devait impérativement faire quelques visites. Sa rencontre inopinée de la veille avec l’officier de gendarmerie lui avait suggéré une idée qui lui avait semblé très sensée : celle de faire le tour de tous les notables de la ville pour les assurer de sa loyauté9. En cas de succès, Peredonov aurait, si quelque chose arrivait, des protecteurs en ville qui témoigneraient de la tournure correcte de ses pensées.


     — Où allez-vous donc, Ardalion Borissytch, demanda Volodine en voyant Peredonov dévier de son chemin habituel, vous ne rentrez donc pas chez vous ?


     — Si, je vais chez moi, répondit Peredonov, mais j’ai peur de passer par l’autre rue.


     — Pourquoi cela ?


     — Beaucoup de datura y pousse10, l’odeur est lourde, cela me fait trop d’effet, je me retrouve hébété. J’ai les nerfs faibles, à l’heure actuelle. Plein de désagréments.


     Volodine fit de nouveau mine de comprendre et de compatir.


     En chemin, Peredonov cueillit quelques têtes de chardon et les fourra dans sa poche.


     — Vous les cueillez pour quoi faire ? demanda Volodine avec un grand sourire.


     — C’est pour le chat, répondit Peredonov d’un air sombre.


     — Vous allez lui coller ça sur la peau ? s’informa Volodine, esprit pratique. 


     — Oui.


     Volodine se mit à rire.


     — Ne commencez pas sans moi, dit-il, ce sera divertissant.


     Peredonov l’invita à passer tout de suite chez lui, mais Volodine dit qu’il avait à faire : il avait brusquement senti qu’il était en quelque sorte inconvenant d’être inoccupé ; les paroles de Peredonov quant à ses « choses à faire » l’avaient excité, et il avait imaginé que ce ne serait pas une mauvaise idée d’aller maintenant de lui-même voir mademoiselle Adamenko et de lui dire  qu’il avait de nouveaux et très jolis dessins à encadrer, qu’elle voudrait peut-être regarder. De plus, Volodine se disait que Nadiejda Vassilievna lui offrirait bien du café.


     Volodine fit donc ainsi. Il imagina également quelque chose d’alambiqué : il proposa à Nadiejda Vassilievna de donner à son frère des leçons particulières de travaux manuels. Nadiejda Vassilievna se dit que Volodine avait des soucis d’argent, et accepta tout de suite. Ils s’entendirent sur trois séances de deux heures par semaines, pour trente roubles par mois. Volodine était ravi : de l’argent, et de la possibilité de voir souvent Nadiejda Vassilievna.


     Peredonov rentra chez lui d’humeur sombre, comme d’habitude. Varvara, toute pâle en raison de sa nuit d’insomnie, se mit à rouspéter :


     — Tu aurais pu me prévenir hier que tu ne rentrerais pas.


     Pour la taquiner, Peredonov lui raconta qu’il était allé chez les parents de Marta. Varvara se taisait. Elle avait dans les mains la lettre de la princesse. Fausse lettre, certes, mais tout de même…


     Au déjeuner2, elle dit avec un sourire malicieux :


     — Pendant que tu traînais avec Marfouchka12, moi, en ton absence, j’ai reçu la réponse de la princesse.


     — Tu lui avais donc écrit ? demanda Peredonov.


     Une lueur sourde d’espérance ranima son visage.


     — Et voilà, il fait le pitre, répondit en riant Varvara. C’est bien toi qui m’as dit de lui écrire.


     — Eh bien, qu’écrit-elle ? demanda anxieusement Peredonov. 


     — Voici la lettre, lis-la toi-même.


     Varvara fouilla dans ses poches, faisant semblant de chercher la lettre enfouie quelque part, puis l’atteignit et la tendit à Peredonov. Celui-ci délaissa la nourriture et se jeta avec avidité sur la lettre. Il lut en se réjouissant. Enfin une réponse affirmative, une promesse nette. Il n’eut aucun doute. Il se dépêcha de finir de déjeuner et s’en alla montrer la lettre à ses amis et ses connaissances.


     À la fois morose et excité, il entra vite dans le jardin chez Verchina13. Comme c’était presque toujours le cas, Verchina se tenait près du portillon et fumait. Elle fut contente, auparavant, il fallait l’appeler, maintenant il venait de lui-même. Verchina se dit : « Voilà ce que c’est de se promener en télègue avec la demoiselle,  il a passé un moment en sa compagnie, et maintenant le voilà qui accourt ! Viendrait-il déjà demander la main de Marta ? » Elle songeait à cela avec une joyeuse inquiétude.


     Peredonov lui enleva tout de suite ses illusions en lui montrant la lettre.


     — Vous aviez tous des doutes, dit-il, mais voici ce que la princesse elle-même a écrit. Tenez, lisez.


     Verchina regarda la lettre avec incrédulité, souffla dessus quelques bouffées de fumée, sourit en tordant les lèvres et demanda vivement, sans élever la voix :


     — Où est donc l’enveloppe ?


     Peredonov prit brusquement peur. Il se dit que Varvara avait pu aussi le tromper avec cette lettre, en l’écrivant elle-même. Il fallait au plus vite exiger de voir l’enveloppe.


     — Je ne sais pas, dit-il. Je vais demander.


     Il prit hâtivement congé de Verchina et revint sur ses pas, rentrant chez lui. Il fallait s’assurer au plus vite de la provenance de cette lettre : un tel doute soudain le mettait au supplice.


     Près du portillon, souriant en tordant les lèvres, Verchina le regardait s’éloigner en tirant de rapides bouffées de sa cigarette, comme si elle se dépêchait de finir un devoir à rendre le jour même.


     L’air épouvanté et désespéré, Peredonov courut chez lui et, encore dans l’entrée, cria d’une voix que l’émotion enrouait :


     — Varvara, où est l’enveloppe ?


     — Quelle enveloppe ? demanda Varvara d’une voix tremblante.


     Elle regardait Peredonov avec effronterie, mais, sans son maquillage, elle eût rougi.


     — L’enveloppe de la lettre de la princesse, que tu as reçue aujourd’hui, expliqua Peredonov en lui jetant un regard d’effroi et de haine.


     Varvara eut un rire forcé.


     — Je l’ai brûlée, qu’avais-je à en faire ? dit-elle. Il faut garder les enveloppes, en faire collection ? On ne donne pas d’argent pour des enveloppes, hein. Au cabaret, c’est seulement pour le retour des bouteilles qu’on reçoit de l’argent.


     Sombre, Peredonov allait d’une pièce à l’autre en grommelant :


     — Il y a aussi toutes sortes de princesses. Nous en connaissons. Peut-être qu’elle habite ici, cette princesse.


     Varvara faisait semblant de ne pas voir ce qu’il soupçonnait, mais elle avait affreusement peur.


     Lorsque, au soir, Peredonov passa près du jardin de Verchina, celle-ci l’arrêta.


     — Vous avez trouvé l’enveloppe ? demanda-t-elle. 


     — Varvara dit qu’elle l’a brûlée, répondit Peredonov.


     Verchina se mit à rire, et de minces nuages de fumée blanche tremblotèrent devant elle dans l’air paisible et tiède.


     — C’est étrange, dit-elle, comme votre sœurette14 est imprudente : une lettre d’affaire soudain sans enveloppe ! Le cachet de la poste aurait cependant indiqué d’où la lettre était partie, et quand.


     Peredonov était terriblement contrarié. Ce fut en vain que Verchina l’invita à entrer dans son jardin et lui promit de lui tirer les cartes : il s’en alla.


     Il continua tout de même à montrer la lettre à ses amis, en se vantant. Et ses amis y croyaient.


     Mais Peredonov ne savait plus ce qu’il devait croire. À tout hasard, il décida de commencer dès le mardi ses visites de loyauté aux notables. Pas possible avant :  le lundi est un mauvais jour15.








Notes


  1. Diminutif de Macha, c’est-à-dire en fait de Maria.
  2. Le garçon s’appelle donc Micha, c’est-à-dire Mikhaïl. Le terme utilisé par Peredonov pour s’adresser à lui signifie : garçon efféminé, l’argot fournit d’autres termes. Je préfère garder l’astuce trouvée dans l’ancienne traduction : « ma petite » ».
  3. Michel Romanov, première moitié du dix-septième siècle.
  4. Le dimanche est un jour de fête, on célèbre de nombreux saints.
  5. On dit encore mégalomartyre : https://fr.wikipedia.org/wiki/Catherine_d%27Alexandrie
  6. Les plus riches. Il y a trois guildes.
  7. Robe droite sans manche des milieux simples, délaissée par les classes supérieures.
  8. Dans le texte russe : « Espèce de bout de chandelle ».
  9. Obsession de Peredonov, voir à ce sujet la fin du chapitre V.
  10. Il veut éviter de repasser devant la maison de Routilov et de ses sœurs, voir le chapitre IV et le début du chapitre V…
  11. Petit déjeuner tardif, assez copieux.
  12. Marta, dépréciatif.
  13. La protectrice de Marta. Voir les chapitres I et VI…
  14. Voir le chapitre I, notes 3 et 11, ou le chapitre IV, note 2.
  15. Superstition.






VIII



     Aussitôt que Peredonov s’en fut allé jouer au billard, Varvara se rendit chez Grouchina. Elles discutèrent longuement, et décidèrent en fin de compte d’arranger l’affaire avec une seconde lettre. Varvara savait que Grouchina connaissait des gens à Pétersbourg. Il n’était pas difficile d’écrire ici une lettre, de la leur envoyer et, par leur entremise, de la faire réexpédier ici. 


     Comme la première fois, Grouchina commença par refuser, et se fit longuement prier.


     — Oh ma chérie, Varvara Dmitrievna, disait-elle, je tremble encore à cause de la première lettre, j’ai tout le temps peur. Je vois le commissaire de police à côté de chez moi, me voilà près de m’évanouir, je me dis qu’on vient me chercher, qu’on veut me mettre en prison.


     Il fallut une bonne heure à Varvara pour la convaincre, en lui promettant force cadeaux et lui donnant une avance en argent. Grouchina donna enfin son accord. Il fut décidé de procéder ainsi : Varvara commencerait par dire qu’elle avait écrit à la princesse pour la remercier. Quelques jours plus tard, arriverait une lettre, prétendument de la princesse. Il y serait écrit, de façon encore plus nette, qu’elle avait des postes en vue, et qu’à condition de se marier vite, elle pourrait en faire obtenir un à Peredonov. Grouchina écrirait ici cette lettre, tout comme la première – on la cachèterait en y collant un timbre à sept kopecks et Grouchina la mettrait à l’intérieur d’une lettre adressée à son amie, laquelle la mettrait dans une boîte aux lettres à Pétersbourg.


     Et voilà Varvara et Grouchina parties dans une boutique tout au bout de la ville, pour y acheter un paquet d’enveloppes étroites, à rabat à fleurs, ainsi que du papier à fleurs. Elles choisirent des enveloppes et du papier de telle sorte qu’il n’en restât plus dans la boutique après elles – précaution imaginée par Grouchina pour dissimuler la falsification. Elles avaient pris des enveloppes étroites pour que la lettre contrefaite prît facilement place dans une autre enveloppe.


     Revenues chez Grouchina, elles se mirent à composer la lettre de la princesse. Lorsque, deux jours plus tard, la lettre fut prête, elles la parfumèrent avec du chypre. Afin qu’il ne restât aucune preuve, elles brûlèrent le restant du papier et des enveloppes.


      Grouchina écrivit à son amie ; le jour d’envoi de la lettre fut calculé pour qu’elle arrive le dimanche : le facteur l’apporterait alors quand Peredonov serait là, ce qui serait une preuve supplémentaire de l’authenticité de la lettre.


     Le mardi, Peredonov essaya de rentrer plus tôt du lycée. Le hasard lui vint en aide : son dernier cours se tenait dans une classe dont la porte donnait dans le couloir non loin de l’endroit où était accrochée la pendule surveillée par un gardien, un brave sous-officier à la retraite qui sonnait à intervalles fixes. Peredonov l’envoya en salle des professeurs chercher le registre de la classe, et avança la pendule d’un quart d’heure sans être remarqué de quiconque.


     Chez lui, Peredonov refusa de déjeuner et dit de prévoir le dîner1 plus tard, il avait des affaires à régler. 


     — Ils ne font qu’enchevêtrer, et moi je dois démêler, dit-il rageusement, songeant aux machinations de ses ennemis.


     Il endossa le frac qu’il portait rarement, dans lequel il se sentait à présent gêné, à l’étroit : avec les années, il avait engraissé, l’habit devenait comme rétréci. Il était mécontent de ne pas avoir de décoration. Les autres en ont, même Falastov, de l’école municipale, et pas lui. Tout cela à cause du directeur, qui ne le propose jamais. Il avance en grade2, ça, le directeur n’y peut rien, mais à quoi bon, si personne ne le voit ? Bon, cela se verra sur le nouvel uniforme : une bonne chose, que ces pattes d’épaule fonctions du grade et non de la classe de lycée. Cela fera de l’effet : des épaulettes comme un général et une grande étoile. Dans la rue, tout le monde pourra voir que c’est un Conseiller d’État3 qui s’avance.


     « Il faut au plus vite commander le nouvel uniforme », songeait Peredonov.


     Ce fut seulement une fois dehors qu’il se demanda par qui commencer.


     Dans sa situation, les plus indispensables étaient sans doute le chef de la police et le procureur du district. Il faudrait commencer par eux. Ou par le maréchal de la noblesse4. Mais cela fit peur à Peredonov : le dernier nommé, Vériga, était général, il visait un poste de gouverneur5. Le commissaire et le procureur étaient d’effrayants représentants de la police et de la justice.


     Pour commencer, se disait Peredonov, il fallait choisir une autorité moins imposante et se repérer sur place, renifler l’atmosphère : voir comment il était traité, ce qu’on disait de lui. Partant, mieux valait commencer par le maire. Certes, ce n’était qu’un marchand et il n’avait fréquenté que l’école primaire du district, mais il était introduit partout, on rencontrait tout le monde chez lui, on le respectait en ville, et il connaissait des gens assez importants dans les autres villes et même à la capitale. 


     Et Peredonov se dirigea d’un pas décidé vers la maison du maire. 


     Le ciel était couvert. Lasses et résignées, les feuilles tombaient des arbres. Peredonov n’était pas très rassuré.


     Dans la maison du maire, cela sentait le parquet fraîchement ciré, il y avait aussi  une odeur de cuisine à peine perceptible mais agréable. C’était d’un ennui silencieux. Les enfants de la maison, le fils lycéen et la fille adolescente – « elle est sous la férule d’une gouvernante », disait son père –, restaient par décence dans leurs chambres. Là-bas, c’était douillet et tranquillement joyeux, les fenêtres donnaient sur le jardin, le mobilier était commode, on pratiquait divers jeux dans les chambres et au jardin, les voix des enfants résonnaient.


     Dans les pièces de la façade, par contre, à l’étage du haut, là où avaient lieu les réceptions, tout respirait la rigidité. Les meubles d’acajou semblaient de gigantesques répliques de jouets. S’y asseoir était, pour les gens ordinaires, inconfortable – c’était comme être tombé sur une pierre. Mais le corpulent maître de maison s’asseyait, lui, sans difficulté, se carrant une place et s’y trouvant bien.. L’archimandrite6 du monastère à la périphérie de la ville, qui rendait souvent visite au maire, appelait ces fauteuils et ces divans des sauveurs d’âme, ce à quoi le maire répondait :


     — Oui, je n’aime pas ces douceurs de dames qu’on trouve dans certaines maisons, où l’on s’assoit sur des ressorts et tout se met à trembler – on tremble soi-même, le meuble en fait autant : en quoi est-ce bon ? Du reste, les docteurs n’approuvent pas non plus les sièges moelleux. 


     Le maire, Iakov Anikiévitch Skoutchaïev reçut Peredonov sur le seuil de son salon. C’était un homme grand et gros, aux cheveux noirs coupés court, il se comportait avec une dignité aimable, mais non dénuée d’un certain mépris pour les gens peu fortunés.


     S’étant assis le buste bien droit dans un large fauteuil et ayant répondu aux premières questions, toutes de politesse, de son hôte, Peredonov déclara :


     — Je suis venu vous voir pour une affaire.


     — Avec plaisir. Que puis-je pour vous ? s’enquit aimablement le maître de maison.


     Une lueur de mépris s’alluma dans ses yeux noirs et rusés. Se disant que Peredonov était venu lui emprunter de l’argent, il décida de ne pas lui donner plus de cent cinquante roubles. De nombreux fonctionnaires devaient à Skoutchaïev des sommes plus ou moins importantes. il ne réclamait jamais son argent, mais ne faisait plus crédit aux débiteurs négligeant de le rembourser. La première fois, il prêtait volontiers, en fonction de ses disponibilités et de la solvabilité du demandeur.


     — Iakov Anikiévitch, en tant que maire, vous êtes le premier personnage de cette ville, dit Peredonov, c’est pourquoi il me faut parler avec vous.


     Skoutchaïev se rengorgea et s’inclina légèrement, toujours assis dans son fauteuil.


     — On raconte en ville toutes sortes de sottises à mon sujet, débita Peredonov d’un ton morne. On invente des tas de blagues sans rapport avec la réalité.


     — On ne peut pas bâillonner les gens, dit le maître de maison. Et puis, on sait bien que, par chez nous, les commères ne peuvent pas tenir leur langue, qui les démange.


     — On dit que je ne vais pas à l’église, ce qui est faux, poursuivit Peredonov. J’y vais. Je n’y suis pas allé pour la Saint-Élie, mais parce que j’avais mal au ventre, sinon, j’y vais toujours.


     — C’est exact, confirma son hôte : je peux le dire, car il m’est arrivé de vous y voir. D’ailleurs, je ne vais pas toujours à votre église, je me rends davantage au monastère. Tel est l’usage dans notre famille. 


     — On raconte un tas d’absurdités, reprit Peredonov. On dit que je sors des horreurs aux lycéens. C’est inepte. Bien sûr, il m’arrive de dire quelque chose de drôle pendant un cours, pour ranimer l’attention. Vous avez un fils lycéen. Il ne vous a rien dit de tel à mon sujet, tout de même ?


     — C’est exact, acquiesça Skoutchaïev, rien de tel. Du reste, ces gamins sont malins : ce qu’ils ne doivent pas dire, ils n’en parlent pas. Certes, le mien est encore petit, il pourrait se laisser aller à bavarder, par bêtise, mais il n’a rien dit de tel.


     — Bon, et les élèves plus âgés, il n’y a rien à leur apprendre, ils savent tout. Et avec eux, je ne dis pas non plus de gros mots.


     — Certes, répondit Skoutchaïev, on sait bien qu’un lycée,  ce n’est pas la place du marché.


     — Les gens, chez nous, sont terribles, ils calomnient à tort et à travers, récrimina Peredonov. C’est pourquoi je viens vous voir : vous êtes le maire.


     Skoutchaïev était flatté qu’on vînt le voir. il ne voyait pas très bien le sens et le but de cette visite, mais, par politique, cachait son incompréhension. 


     — Et, toujours à mon sujet, on dit des saletés sur le fait que je vive avec Varvara, poursuivit Peredonov. On dit qu’elle n’est pas ma sœur, mais ma maîtresse. Mais, ma parole, ce n’est que ma cousine, et encore, au troisième degré7, le mariage est possible dans un tel cas. Je vais l’épouser.


     — Certes, monsieur8, certes, bien entendu, dit Skoutchaïev – du reste, le mariage fait taire les bavardages9. 


     — Et ce n’était pas possible plus tôt, continuait Peredonov. Il y avait de sérieuses raisons. Absolument impossible. Autrement, je l’aurais épousée depuis longtemps. Vous pouvez me croire.


     Skoutchaïev prit un air digne, fronça les sourcils, tambourina de ses doigts blancs et potelés sur la nappe sombre étalée sur la table, et déclara :


     — Je vous crois. S’il en est ainsi, c’est en effet différent. Maintenant, je vous crois. Je dois avouer qu’on pouvait trouver problématique de vous voir vivre avec votre maîtresse, si vous permettez, sans l’épouser. C’était problématique, voyez-vous, parce  que les gamins ont l’esprit vif, et ils ont vite fait d’adopter ce qui est mauvais. Il est difficile de leur enseigner le bien, mais le mal entre tout seul. C’était donc bien problématique. D’ailleurs, ce n’est que mon opinion. Mais votre visite nous flatte, car nous ne sommes guère instruit, nous n’avons pas été plus loin que l’école primaire du district, mais la société  m’honore de sa confiance, j’en suis à mon troisième mandat de maire, si bien que ma parole vaut quelque chose auprès des citoyens de la ville.


     En parlant, Skoutchaïev s’embrouillait dans ses idées, il lui semblait qu’il n’arriverait jamais au bout des longueurs que sa langue dévidait. Il interrompit son discours et songea avec mélancolie :


     « Du reste, c’est tout à fait comme si nous versions du vide dans du creux. L’ennui, avec ces savants, se disait-il, c’est qu’on arrive pas à voir ce qu’ils veulent. Le savant, tout lui paraît clair dans les livres, mais sitôt qu’il sort le nez des livres, il s’embourbe et entraîne les autres avec lui. »


     Il fixa Peredonov avec une perplexité triste, le regard de ses yeux perçants s’éteignit, son corps obèse s’affaissa et il ne ressembla plus à l’homme d’action alerte de tout à l’heure, mais simplement à un vieillard abêti.


     Peredonov se tut un peu lui aussi, comme ensorcelé par les paroles de son hôte, puis il dit en clignant des yeux, avec une expression à la fois indécise et renfrognée :


     — Vous êtes le maire, vous pouvez donc déclarer que tout ceci n’est que balivernes.


     — À propos de quoi exactement ? s’informa prudemment Skoutchaïev.


     — Eh bien, si l’on me dénonce en disant que je ne vais pas à l’église, ou autre chose, si l’on vient vous poser des questions à mon sujet…


     — Nous pouvons faire cela, dit le maire. En tout cas, je peux vous l’assurer. En cas de besoin, nous vous défendrons : pourquoi ne dirait-on pas un mot en faveur d’un homme valable ? Nous pouvons vous envoyer un mot de la part de la municipalité, en cas de besoin, nous le pouvons tout à fait. Ou vous déclarer honorable citoyen, par exemple. Pourquoi pas, en cas de besoin, nous le pouvons tout à fait.


     — Je compte donc sur vous, dit Peredonov, maussade comme s’il répondait à une déclaration un peu désagréable pour lui. Parce que le directeur me persécute.


     — Vous m’en direz tant ! s’exclama Skoutchaïev, balançant la tête d’un air compatissant : c’est sûrement en raison de calomnies à votre sujet. Nikolaï Vassiliévitch, me semble être un monsieur sérieux, il n’offenserait personne gratuitement. Je vois bien cela au travers de mon fils. Un monsieur sérieux, strict, n’accordant pas de faveurs et ne faisant pas de différences, bref, quelqu’un de responsable et de sérieux. Il ne peut s’agir que de calomnies. Quelle est l’origine de votre différend ? 


     — Nos vues divergent, expliqua Peredonov. Et j’ai des envieux, au lycée. Ils veulent tous devenir inspecteur. Et la princesse Voltchanskaïa a promis de m’obtenir un poste d’inspecteur. Ce qui rend furieux les envieux.


     — Je vois, monsieur8, je vois, dit prudemment Skoutchaïev. Du reste, pourquoi discutons-nous ainsi à sec ? Il faut boire et manger un morceau.


     Skoutchaïev pressa le bouton d’un sonnerie électrique près de la suspension. 


     — Un truc pratique, dit-il à Peredonov. Mais vous devriez changer d’administration, aller dans un autre ministère. Dachenka, dit-il à la jolie fille bâtie en athlète entrée à la suite du coup de sonnette, apportez-nous de quoi grignoter, et du café, bien chaud, n’est-ce pas ?


     — À vos ordres, répondit en souriant Dachenka, et elle s’en alla d’un pas étonnamment léger pour sa carrure.


     — Dans un autre ministère, reprit Skoutchaïev à l’adresse de Peredonov : dans l’administration des cultes, par exemple. En devenant ecclésiastique, vous feriez un prêtre posé et avisé. Je peux vous apporter mon concours, je connais bien quelques évêques.


     Il nomma quelques évêques de diocèse et des vicaires généraux.


     — Non, je ne veux pas devenir pope, répondit Peredonov : je redoute l’encens. Cela me donne la nausée et me fait mal à la tête. 


     — Dans ce cas, pensez à la police, c’est bien aussi, conseilla Skoutchaïev. Devenez par exemple commissaire de police rurale. Quel est votre rang, si vous me permettez cette question ?


     — Je suis Conseiller d’État3, répondit Peredonov avec importance.


     — Fichtre ! s’exclama Skoutchaïev. On vous donne de hauts grades, dites donc ! Et cela, pour enseigner aux enfants ? La science, ce n’est pas rien !D’ailleurs, bien qu’à notre époque, d’aucuns attaquent la science, on ne peut pas vivre sans la science. Moi, j’ai juste étudié à l’école du district, mais j’enverrai mon fils à l’Université. Au lycée, on sait bien qu’on les force à travailler, les verges sont là, mais après il lui faudra se débrouiller seul. Voyez-vous, je ne fouette jamais, je me contente, lorsqu’il se laisse aller à la paresse ou se rend coupable d’une faute quelconque, de le prendre par les épaules, de l’amener à la fenêtre : nous avons des bouleaux10, dans le jardin. Je lui montre un arbre : « Vois-tu cela ? » lui dis-je. « Je vois, papa, je vois, je ne le ferai plus. » répond-il. Et vraiment, cela aide bien, le gamin se corrige tout comme s’il avait reçu le fouet. Ah, les enfants, les enfants ! conclut Skoutchaïev en poussant un soupir.




     Peredonov resta un couple d’heures chez le maire. Une abondante collation suivit la discussion d’affaires. 


     Skoutchaïev régalait ses visiteurs — comme tout ce qu’il faisait – avec une gravité minutieuse, comme s’il se fût agi d’une chose d’importance. Il le faisait en outre avec des ruses de style, pour ainsi dire. On servit du vin chaud dans de grands verres, comme du café, et le maître de maison appelait cela du café. Les petits verres à vodka avaient leur fond coupé et façonné de telle sorte qu’il était impossible de les poser sur la table.


     — Chez moi, cela s’appelle : « Verse et bois », expliqua l’hôte.


     Un autre visiteur arriva, le marchand Tichkov, petit homme chenu, gaillard et gai, portant une longue redingote et des bottes à tige brillante et convexe11. Il buvait beaucoup de vodka, débitait rapidement et joyeusement tout un tas de sornettes rimées, et paraissait très content de lui.


     Peredonov s’aperçut enfin qu’il était temps de rentrer chez lui, et se mit à prendre congé.


     — Ne vous pressez pas, lui disait son hôte. Restez encore un peu.


     — Restez ici, tenez-nous compagnie, dit Tichkov.


     — Non, je dois y aller, répondit Peredonov, soucieux.


     — Il faut qu’il parte à l’instant, sa sœur l’attend, dit Tichkov en faisant un clin d’œil à Skoutchaïev.


     — J’ai à faire, dit Peredonov.


     — L’homme d ‘action mérite nos félicitations, répliqua aussitôt Tichkov12.


     Skoutchaïev raccompagna Peredonov dans l’entrée. Ils s’étreignirent et s’embrassèrent. Peredonov était content de sa visite.


     Le maire me soutient, se disait-il avec conviction.


     Revenu auprès de Tichkov, Skoutchaïev dit :


     — On raconte des bobards à son sujet.


     — Des bobards à son sujet, sans connaître la vérité, répliqua instantanément Tichkov, en se versant crânement un petit verre de bitter.


     Il était clair qu’il ne pensait pas à ce qu’on lui disait, il cherchait seulement à pêcher des mots pour la rime.


     — C’est un gars correct, sincère, et qui ne crache pas sur la bouteille, poursuivit  Skoutchaïev en se versant lui aussi un petit verre, et sans faire attention aux rimailleries de Tichkov.


     — S’il ne crache pas sur la bouteille, alors c’est un vieux de la vieille, cria vivement Tichkov, avant de se jeter dans la gorge le contenu de son verre.


     — Et tant mieux s’il s’accorde avec mam’zelle ! dit Skoutchaïev.


     — Mam’zelle vaut bien donzelle, répondit Tichkov.


     — Qui ne pèche pas devant Dieu, qui n’est pas coupable devant le tsar ?!


     — Tous dans le péché, d’aimer nous ne pouvons nous empêcher.


     — Et il désire cacher ce péché par le mariage.


     — Aujourd’hui sacrement, demain rixe et hurlements.


     Ainsi s’exprimait toujours Tichkov, quand il ne s’agissait pas de ses propres affaires. Il aurait pu ennuyer mortellement tout le monde, mais on était habitué à lui et l’on ne faisait plus attention à sa volubilité, au flot de blagues qu’il déversait vivement ; on le lâchait juste de temps en temps sur un novice. Mais il était indifférent à Tichkov d’être écouté ou pas ; il ne pouvait s’empêcher d’attraper les paroles des autres pour fabriquer des rimes, et il le faisait avec la régularité infatigable d’une machine ingénieuse. En observant longuement ses mouvements vifs et précis, on pouvait se dire que ce n’était pas là une créature vivante, qu’il était mort ou n’avait jamais vécu, et qu’il ne percevait, dans le monde des vivants, que le tintement de mots sans vie13.






Notes


  1. Là encore, il s’agit du petit-déjeuner tardif, le dîner étant le repas principal, pris entre quinze heures et dix-sept heures.
  2. Celui de la Table des rangs, le Tchin. Il avance à l’ancienneté.
  3. Cinquième rang de la Table.
  4. Voir chapitre II, note 8.
  5. Chef de l’administration d’une province. Peredonov ne va pas pêcher des âmes mortes, comme Tchitchikov, lui est à la recherche d’une honorabilité qu’il juge incertaine. Supérieur d’un monastère orthodoxe.
  6. Peredonov l’éloigne d’un cran par rapport au chapitre I (cf note 3), où elle était qualifiée de « cousine issue de germains ». En russe, on dit ici : « sœur au quatrième degré ».
  7. Seulement indiqué par l’enclitique sifflée « s », initiale de l’ancien terme « soudar’ », monsieur.
  8. J‘essaie de rendre un peu le style du maire, lequel, matois, ne s’exprime jusqu’ici que par dictons souvent rimés. Noter que le nom du maire est forgé sur la racine du mot « ennui »… De même, on trouve d’autres astuces dans les noms de Tichlov (chut !) et d’Avinovitski : vino, c’est le vin…)
  9. Les branches de bouleau servaient à se fouetter à l’étuve (bania) pour activer la circulation, mais aussi à fouetter les enfants…
  10. Bottes appelées « bouteilles ».
  11. Je brode un peu pour garder les rimes dans les saillies de Tichkov.
  12. Là encore (voir la note 5), ce personnage mécanique rappelle Gogol. 









IX



     Le lendemain, Peredonov se rendit chez le procureur Avinovitski.


     Il faisait encore mauvais. Dehors, des coups de vent soulevaient des tourbillons de poussière. Le soir était proche, et la lumière du jour était tamisée par un triste brouillard de nuages, comme si ce n’était plus la lumière du soleil. Les rues silencieuses éveillaient l’angoisse, les pitoyables bâtisses irrémédiablement délabrées qui surgissaient semblaient n’avoir aucun sens, avec leur allusion timide à la vie misérable et ennuyeuse qui se cachait derrière leurs murs. On rencontrait parfois des gens se déplaçant lentement, ne semblant motivés par rien, comme s’ils surmontaient à peine la somnolence paisible qui les gagnait. Seuls les enfants, les éternels et inlassables vaisseaux divins sur terre, étaient vivants, couraient et jouaient – mais déjà pesait sur eux une apathie, une sorte de monstre impersonnel et invisible niché sur leurs épaules, et jetant parfois un regard menaçant sur leurs visages soudain abêtis.


     Au milieu de ces tourments dans les rues et les maisons, sous ce ciel qui s’était éloigné, arpentant la terre sale et impuissante, marchait Peredonov, accablé de vagues craintes – sans connaître ni consolations célestes ni joies terrestres, car il regardait le monde, à présent comme toujours, avec les yeux morts de quelque démon  se morfondant de peur et d’angoisse dans sa lugubre solitude.


     Ses sens étaient émoussés, et sa conscience était un dispositif corrupteur et assassin. Tout ce qui parvenait à sa conscience se transformait en vilenie et en boue. Dans les objets qu’il observait, lui sautaient aux yeux les défectuosités, qui le réjouissaient. Lorsqu’il passait à proximité d’un poteau bien droit et propre, il avait envie de le tordre ou de le salir. Il riait de contentement quand on souillait quelque chose en sa présence. Il méprisait et persécutait les élèves propres et bien lavés, qu’il appelait les bichonnés1. Les mal peignés lui semblaient plus proches. Il n’aimait rien ni personne – du coup, la nature ne pouvait qu’avoir qu’un seul effet sur sa sensibilité, celui de l’accabler. Il en était de même quant à ses relations avec les gens. Surtout avec les étrangers, les inconnus à qui il n’était pas question de dire des grossièretés. Le bonheur signifiait pour lui ne rien faire et, s’étant calfeutré à l’abri du monde, choyer son ventre.


     Et voilà qu’il devait, bon gré, mal gré, aller s’expliquer, songeait-il. Quel tourment ! Quel ennui ! Si encore, là où il allait, il y avait eu moyen de faire des saletés : mais il n’avait même pas cette consolation.


     La maison du procureur fit croître et se préciser en Peredonov le sentiment de traîner un boulet, ainsi que son anxiété. Cette maison avait vraiment un aspect méchant et courroucé. Sa haute toiture descendait d’un air maussade sur ses fenêtres collés à la terre. Son revêtement de planches comme son toit avaient autrefois revêtu des couleurs vives et gaies, mais ces peintures étaient devenues, avec le temps et les pluies, d’un gris morne. L’énorme et lourde porte cochère, plus haute que la maison, semblant conçue pour repousser les attaques ennemies, était toujours verrouillée. Derrière, on entendait le cliquetis d’une chaîne, et un chien lançait aux passants de sourds abois.


     Des terrains vagues et des potagers s’étiraient aux alentours, des masures se courbaient. En face de la maison du procureur, s’étendait une grande place hexagonale, déprimée en son centre, non pavée et envahie par les herbes. Seul sur toute la place, le poteau d’un réverbère se dressait à côté de la maison.


     Lentement, à contrecœur, Peredonov monta les quatre marches légèrement inclinées menant au perron couvert d’un toit de planches à deux pentes et attrapa la poignée de cuivre noirci de la sonnette. Un tintement perçant et prolongé se fit entendre tout près. Des pas étouffés suivirent peu de temps après. Quelqu’un s’approcha de la porte sur la pointe des pieds et s’arrêta derrière sans faire de bruit. On devait regarder par quelque fente invisible. Puis un crochet métallique grinça et la porte s’ouvrit : une jeune fille aux cheveux noirs se tenait sur le seuil, la mine sombre, le visage grêlé, ouvrant de grands yeux soupçonneux.


     — Qui demandez-vous ? s’enquit-elle.


     Peredonov dit qu’il venait voir Alexandre Alexeïevitch pour affaire. La fille le laissa entrer. En franchissant le seuil, Peredonov prononça intérieurement des formules secrètes2 pour se protéger. et il avait bien fait de se dépêcher : il n’eut pas le temps d’enlever son manteau que déjà résonnait au salon la voix coupante et irritée d’Avinovitski. Le procureur ne savait pas s’exprimer autrement que d’une voix effrayante. À présent, de sa voix coléreuse et acariâtre, il souhaitait, depuis le salon, la bienvenue à Peredonov, exprimant sa joie que ce dernier fût enfin venu le voir. 


     Alexandre Alexeïevitch Avinovitski était un homme d’aspect lugubre, semblant naturellement disposé à admonester et morigéner les gens. Jouissant d’une santé de fer – il se baignait dans la rivière entre deux glaçons –, il semblait pourtant maigrichon, couvert qu’il était d’une barbe noire à reflets bleus. Il inspirait à tout le monde, sinon la peur, du moins le malaise, car il fulminait toujours contre quelqu’un, et passait son temps à menacer tel ou tel du bagne et de la Sibérie.


     — Je viens pour une affaire, dit Peredonov avec gêne.


     — Vous vous avouez coupable ? Vous avez tué quelqu’un ? Allumé un incendie ? Dévalisé la poste ? s’écria d’un ton rude Avinovitski3 en faisant entrer Peredonov dans la salle de réception. Ou bien êtes vous au contraire la victime de quelque délit, chose plus qu’imaginable dans notre ville ? Notre ville est moche, et sa police est encore pire. Je m’étonne même que les cadavres ne s’entassent pas, chaque matin sur cette place. Eh bien monsieur4, asseyez-vous, je vous en prie. De quoi s’agit-il ? Vous êtes criminel, ou victime ?


     — Non, dit Peredonov, je n’ai rien fait de tel. Mon directeur serait ravi de me faire coffrer, mais je n’ai rien fait de tel.


     — Ainsi, vous ne vous reconnaissez pas coupable ? demanda Avinovitski.


     — Non, je n’ai rien fait de tel, bredouillait peureusement Peredonov.


     — Bon, mais si vous n’avez rien fait de tel, dit le procureur en martelant férocement les mots, je vais vous offrir quelque chose.


     Il prit une clochette sur la table et appela. Personne ne vint. Avinovitski attrapa la clochette à deux mains et carillonna furieusement, puis il jeta la sonnette par terre, tapa du pied et s’écria d’une voix sauvage :


     — Malania5 ! Malania ! Démons, diables, lutins !


     Des pas se firent entendre sans hâte et un lycéen entra, le fils d’ Avinovitski, un garçon trapu d’environ treize ans, aux cheveux noirs, à l’air très autonome et aux façons très assurées. Il salua Peredonov, ramassa la clochette et la posa sur la table, puis déclara tranquillement :


     — Malania est allée au potager.


     Avinovitski s’apaisa instantanément et, regardant son fils avec une tendresse ne convenant pas à son visage barbu et courroucé, dit :


     — Fiston, cours donc lui dire de venir nous apporter à boire et à manger.


     Le garçon sortit de la pièce en prenant son temps. Son père le regardait avec un sourire joyeux et orgueilleux. Mais, alors que le garçon franchissait le seuil, Avinovitski fronça soudain les sourcils avec irritation et cria d’une voix effrayante qui fit tressaillir Peredonov :


     — Dépêche-toi !


     Le lycéen se mit à courir, et l’on entendit les portes claquer, s’ouvrant et se fermant bruyamment. Le père écouta, sourit de ses lèvres rouges et épaisses, puis reprit de sa voix irritée :


     — Mon héritier. Il est bien, non ? Que deviendra-t-il, hein ? Qu’en pensez-vous ? Un imbécile peut-être, mais un salopard, un froussard, une chiffe, certainement pas.


     — Oui, sans doute, balbutia Peredonov.


     — De nos jours, les gens ne sont plus qu’une parodie d’espèce humaine, tonnait Avinovitski. La santé n’est pour eux qu’une chose triviale. Un Allemand a inventé la flanelle. Cet Allemand, je l’aurais envoyé aux travaux forcés. Une flanelle sur mon Vladimir ! Lui qui, à la campagne, l’été, n’a jamais mis de souliers, une flanelle ! Lui qui, sortant tout nu de l’étuve, court se rouler dans la neige, une flanelle ! Cent coups de verges à ce maudit Allemand !


     Avinovitski passa de l’Allemand inventeur de la flanelle à d’autres criminels.


     — Monsieur, la peine de mort n’est pas de la barbarie ! criait-il. La science a reconnu l’existence de criminels-nés. Là, mon cher, tout est dit. Il faut les anéantir, et non les entretenir aux frais de l’État. Assurer à vie à un scélérat un coin au chaud dans quelque pénitencier ? Il a assassiné, incendié, violé, et c’est le contribuable qui paierait de sa poche pour l’entretenir ? Non monsieur4, il est bien plus juste et plus économique de le pendre.




     Dans la salle à manger, la table ronde était recouverte d’une nappe blanche à liseré rouge, sur laquelle étaient disposées des assiettes remplies de saucissons gras et d’autres victuailles salées, fumées ou marinées, ainsi que des carafes et de bouteilles de formes et tailles diverses contenant vodkas, eaux-de-vie et liqueurs. Tout était au goût de Peredonov, jusqu’à l’incertaine propreté du mobilier qui lui convenait fort bien.


     Le maître de maison continuait à tonner. Il tomba, à propos des mets, sur les boutiquiers, puis se mit à parler, pour quelque raison inconnue, de l’hérédité.


     — L’hérédité est une grande chose ! criait-il avec rage. Vouloir faire des messieurs des paysans est stupide, ridicule, irréfléchi et immoral. La campagne s’appauvrit, les villes se remplissent de brigands6, ça vous plaît, les mauvaises récoltes, l’ignorance, les suicides ? Instruisez le moujik autant que vous voulez, mais ne lui donnez pas de rang7 pour cela. La paysannerie perd déjà ses meilleurs représentants, il ne reste qu’une populace simple d’esprit, et la noblesse souffre aussi de l’afflux d’éléments incultes. Dans son village, le paysan pouvait être le meilleur, en passant chez les nobles il introduit dans cette couche sociale quelque chose de grossier, de non chevaleresque, de vil. Il place au premier plan le gain et les intérêts du ventre. Non, mon cher, les castes étaient un sage dispositif. 


     — Eh bien, voyez, chez nous aussi, au lycée, le directeur laisse entrer toutes sortes de racailles, dit d’un ton fâché Peredonov. Il y a même des enfants de paysans et beaucoup de petits bourgeois.


     — C’est du joli, il n’y a pas à dire ! cria son hôte.


     — Une circulaire dit bien de ne pas admettre n’importe quel vaurien, mais lui n’en fait qu’à sa tête, se plaignait Peredonov. Il ne refuse presque personne; Selon lui, la vie n’est pas chère, dans notre ville, et il y a vraiment peu de lycéens. Il y en a peu, et alors ? Il pourrait même y en avoir moins. On ne vient pas à bout de la correction des cahiers. On n’a plus le temps de lire des livres. Et les élèves font exprès, dans leurs rédactions, d’employer des mots douteux : il faut tout le temps recourir au dictionnaire de Grot8 pour s’en sortir.


     — Buvez un peu de cette vodka aux herbes, lui proposa Avinovitski, et dites-moi ce qui vous amène.


     — J’ai des ennemis, marmonna Peredonov en regardant tristement le petit verre plein de vodka jaune, avant de l’avaler.


     — Un cochon vivait sans ennemi, il fut quand même égorgé, répondit Avinovitski. Mangez-en, c’était un bon cochon.


     Peredonov prit une tranche de jambon et dit :


     — On raconte à mon sujet toutes sortes d’absurdités.


     — Je peux déjà vous dire, s’exclama son hôte avec férocité, qu’en matière de potins, notre ville est la pire de toutes ! Quelle ville ! Dès que la moindre saleté y est faite, tous les cochons se mettent à grogner à ce sujet.


     — La princesse Voltchanskaïa a promis de m’obtenir un poste d’inspecteur, et voilà qu’on jase à mon sujet. Cela peut me nuire. Tout cela par jalousie. Il y a aussi que le directeur a laissé le lycée se dévergonder : les lycéens prenant pension à l’extérieur fument, boivent et courent après les lycéennes. Même des gens d’ici. C’est lui qui a lâché la bride aux lycéens, et moi il me persécute. Il est possible qu’on lui ait dit du mal de moi. Cela parviendra aux oreilles de la princesse. 


     Peredonov exposa longuement ses craintes, de façon décousue. Avinovitski l’écoutait avec irritation, s’écriant par moments avec fureur :


     — Les canailles ! Les coquins ! Fils d’Hérode !


     — J’ai l’air d’un nihiliste ? disait Peredonov. C’est même ridicule. J’ai une casquette à cocarde9 que je ne mets pas toujours, c’est vrai, mais lui aussi porte un chapeau. Et si j’ai accroché chez moi le portrait de Mickiewicz10, c’est pour ses vers et non parce qu’il s’est insurgé. Et je n’ai pas lu sa Cloche. 


     — Ah, vous vous trompez d’opéra, dit sans façons Avinovitski. C’est Herzen11 qui éditait La Cloche, et non Mickiewicz.


     — C’est une autre Cloche, dit Peredonov. Mickiewicz éditait aussi une Cloche12.


     — Je ne connais pas ça, monsieur. Publiez-le. Une découverte scientifique qui vous rendra célèbre.


     — Il n’y a rien à publier à ce sujet, dit Peredonov, courroucé. Il n’est pas question que je lise des livres interdits. Je n’en lis jamais. Je suis un patriote.


     Avinovitski comprit, après de longues jérémiades de Peredonov, que quelqu’un essayait de faire chanter celui-ci et, dans ce but, faisait courir des bruits à son sujet pour l’effrayer et préparer le terrain avant d’exiger soudain de l’argent. Que ces bruits ne fussent pas parvenus aux oreilles d’ Avinovitski, ce dernier se l’expliquait en se disant que le maître chanteur n’agissait que dans le cercle le plus proche de Peredonov, puisqu’il avait besoin d’agir seulement sur lui. Avinovitski demanda :


     — Qui soupçonnez-vous ? 


     Peredonov réfléchit. Il repensa par hasard à Grouchina, se souvint vaguement de la récente discussion avec elle, quand il l’avait interrompue en menaçant de la dénoncer13. Cette menace de dénonciation se mélangeait de façon confuse dans sa tête avec l’idée générale de la délation. Dénoncerait-il, ou serait-il dénoncé, ce n’était pas clair, et Peredonov n’avait pas envie de faire l’effort de se rappeler précisément les faits : une seule chose était claire – que Grouchina était son ennemie. Et le pire était qu’elle avait vu où il avait caché Pissarev. Il faudrait le cacher à un autre endroit.


     Peredonov dit :


     — Il y a une certaine Grouchina…


     — Je la connais, une coquine de premier ordre, jugea brièvement Avinovitski.


     — Elle vient tout le temps chez nous, se plaignit Peredonov, elle renifle partout. Elle est cupide, il faut toujours lui donner quelque chose. Elle veut peut-être que je la paie pour qu’elle ne me dénonce pas pour avoir eu des livres de Pissarev chez moi. Peut-être veut-elle se marier avec moi. Mais je ne veux pas payer, et j’ai une autre fiancée, elle peut toujours me dénoncer, je suis innocent. Il m’est seulement désagréable que cette histoire sorte, elle peut nuire à ma nomination.


     — C’est une fameuse friponne, dit le procureur. Elle a joué un temps à dire la bonne aventure, en mystifiant des imbéciles, j’ai dit à la police qu’il fallait y mettre un terme. Pour une fois, ils ont eu la bonne idée de m’obéir.


     — Elle continue à dire la bonne aventure, annonça Peredonov. Les cartes lui ont prédit pour moi une lettre officielle, suivie d’une longue route.


     — Elle sait bien quoi dire à qui. Attendez un peu, elle va tendre son piège, puis elle cherchera à vous extorquer de l’argent. Venez directement me voir à ce moment-là. Je lui ferai donner cent coups de verges brûlantes, dit Avinovitski : c’était sa maxime favorite.


     Il ne fallait pas le prendre au pied de la lettre, cela signifiait juste qu’il lui passerait un savon de première.


     Ainsi, Avinovitski promettait à Peredonov de le défendre. Mais ce dernier sortit de chez le procureur en proie à de vagues frayeurs ; les propos bruyants et menaçants d’ Avinovitski n’avaient fait que les renforcer.




     Ainsi procédait Peredonov, faisant chaque jour une visite avant le dîner14 : il ne pouvait en faire plus d’une, car il lui fallait partout donner des explications circonstanciées. Le soir, comme d’habitude, il allait jouer au billard.


     Comme par le passé, Verchina cherchait à l’attirer chez elle grâce à ses gestes de sorcière, et Routilov continuait à faire l’éloge de ses sœurs. chez lui, Varvara l’exhortait à l’épouser au plus tôt – mais il ne prenait aucune décision. Bien sûr, songeait-il parfois, le plus avantageux serait de se marier avec Varvara, seulement… et si la princesse allait ne pas tenir sa promesse ? En ville, on rirait de lui, se disait-il, et cela l’arrêtait.


     La chasse que lui donnaient ses fiancées éventuelles, la jalousie de ses collègues (davantage dans sa tête que dans la réalité), les intrigues de tel ou tel qu’il soupçonnait – tout cela rendait sa vie triste et ennuyeuse, à l’image de ce temps maussade qui persistait quelques jours de suite, se concluant par des pluies lentes, parcimonieuses, mais longues et froides. Peredonov sentait que sa vie prenait une mauvaise tournure – mais il se disait qu’il serait bientôt inspecteur, et qu’alors tout irait pour le mieux.




Notes


  1. Dans le texte russe, on trouve un mot composé difficile à rendre. Michel Delarche m’a suggéré cette adaptation.  
  2. Voir le chapitre IV, note 7.
  3. Encore une mécanique de type gogolien. Le nom du procureur est forgé sur la racine du mot « faute »…
  4. Voir le chapitre VIII, note 8.
  5. Déformation de Mélania (Mélanie).
  6. Le terme russe signifie « membre de la Compagnie dorée » : anciens militaires du tsar mal revenus à la vie civile, appauvris et se faisant voleurs.
  7. C’est-à-dire, laissez-le rester un simple moujik, sans le faire rentrer dans les autres ordres : petits bourgeois (commerçants et artisans), ecclésiastiques et fonctionnaires civils ou militaires, ces derniers relevant du Tchin, la Table des rangs de Pierre le Grand, la noblesse étant connférée à partir d’un certain rang, et devenant même héréditaire en montant dans la Table…
  8. Iakov (Jacob) Karlovitch Grot 1812-1893), philologue russe. La circulaire à laquelle le texte fait allusion quelques lignes plus haut est celle du ministre de l’Instruction publique I. D. Délianov, en 1887 (trouvé dans une notice russe).
  9. Insigne de fonctionnaire de l’État, et de la noblesse. Le chapeau à larges bords fut porté, à partir de 1860, par les roturiers, notamment par ceux que Tourguéniev décrivit le premier comme « nihilistes ».
  10. Voir chapitre VI, note 3.
  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Herzen
  12. Sologoub se moque sans doute de son anti-héros.
  13. Au milieu du chapitre V.
  14. Rappel : c’est le repas principal, pris vers quinze heures, parfois plus tard.






(à suivre)