vendredi 17 novembre 2023

Deux hobereaux (Ivan Tourguéniev)

     J’ai déjà eu l’honneur de vous présenter, ô mes bienveillants lecteurs, quelques-uns de mes voisins ; à propos (nous autres écrivains sommes toujours dans l’à propos), permettez-moi à présent de vous faire faire la connaissance de deux gentilshommes campagnards chez qui j’ai eu souvent l’occasion de chasser : des gens tout à fait respectables, bien pensants et jouissant de l’estime générale dans plusieurs districts de la région.

     Je vous décrirai d’abord le général-major à la retraite Viatcheslav Illarionovitch Khvalynski. Figurez-vous un homme de haute taille, autrefois svelte, maintenant quelque peu enflé et flasque, mais nullement décrépit, pas du tout un vieillard mais un homme dans la pleine force de l’âge, comme on dit. Certes, ses traits, naguère réguliers, mais agréables encore aujourd’hui, ont un peu changé, ses joues pendent, de nombreuses rides rayonnent autour de ses yeux, quelques dents manquent à l’appel, comme disait Saadi, si l’on en croit Pouchkine2 ; des cheveux châtain clair, du moins ceux restés intacts, devenus lilas grâce à une mixture achetée, à la foire aux chevaux de Romny3, à un Juif4 se faisant passer pour un Arménien ; mais Viatcheslav Illarionovitch est plein de pétulance, son rire est sonore, il tortille sa moustache et fait sonner ses éperons, se baptisant « vieux cavalier », alors qu’on sait bien que les vieillards véritables ne disent jamais d’eux-mêmes qu’ils sont vieux. Il porte d’ordinaire une redingote boutonnée jusqu’en haut, une haute cravate d’où émerge un col empesé, et un pantalon d’un gris vif, éclatant, de coupe militaire ; son chapeau est baissé directement sur le front, laissant la nuque à découvert. C’est un très brave homme, mais avec des conceptions étranges et des habitudes bizarres. Ainsi, il n’arrive pas à se comporter avec des gentilshommes sans fortune ou sans grade comme il le fait avec ses pairs. En bavardant avec eux, il a l’habitude de les regarder en biais, en faisant peser sa joue sur son col raide et blanc, ou alors il se met soudain à les éclairer de son regard net et immobile, en remuant sans rien dire son cuir chevelu ; il ne prononce pas les mots de la même façon, par exemple il ne dit pas : « Je vous remercie, Pavel Vassiltch », ou bien : « Je vous en prie, Mikhaïlo Ivanytch », mais : « M’ci, Pall Assilitch », ou : « J’vous prie, Mikhal Vanytch ». Il se conduit de façon encore plus étrange avec les gens des couches inférieures de la société : il ne les gratifie d’aucun regard et, avant de leur expliquer son désir ou de leur donner un ordre, il répète à plusieurs reprises, d’un air songeur et soucieux : « Comment t’appelles-tu ? Comment t’appelles-tu ? », en accentuant fortement le premier mot, comment, et en prononçant le reste à toute allure, ce qui fait ressembler son propos au cri du mâle de la caille. Homme toujours dans trente-six affaires et terriblement chicanier, c’est un piètre exploitant : il a pris pour administrer ses biens un maréchal des logis-chef à la retraite, un petit-Russe5 d’une stupidité extrême. Du reste, en matière de gestion, personne, chez nous, n’a encore surpassé ce haut fonctionnaire pétersbourgeois qui, informé par son intendant que ses séchoirs à blé étaient sujets à de fréquents incendies6, ce qui faisait perdre beaucoup de blé, donna expressément l’ordre de ne plus mettre de gerbes dans les séchoirs avant que le feu n’y fût éteint. Ce même dignitaire avait imaginé d’ensemencer tous ses champs en pavot, en vertu, apparemment, de ce simple calcul : le pavot se vend plus cher que le seigle, il est donc avantageux de semer du pavot. C’est lui aussi qui ordonna à toutes ses paysannes de porter le kokochnik7, d’après un certain modèle envoyé de Pétersbourg ; depuis lors, sur ses domaines, les bonnes femmes portent bien ce kokochnik… mais par-dessus leur kitchka8… Mais revenons à notre gentilhomme. Viatcheslav Illarionovitch est un amateur passionné du beau sexe, et dès qu’il aperçoit, sur un boulevard du chef-lieu de district, une agréable personne, il se met immédiatement à la suivre, mais là, il faut remarquer cette circonstance, il commence aussitôt à boiter. Il aime jouer aux cartes, mais seulement avec des inférieurs ; ceux-ci lui donnent du « Votre Excellence », tandis qu’il les houspille et les admoneste autant qu’il lui plaît.  Quand il lui arrive de jouer avec le gouverneur ou quelque autre haut personnage, une étonnante métamorphose s’opère en lui : il sourit, hoche la tête pour approuver, cherche à capter le regard de son partenaire, bref, le voilà tout sucre et tout miel. Même perdre ne le fait pas se plaindre. Viatcheslav Illarionovitch lit peu, et, en lisant, il fait sans cesse bouger sa moustache et ses sourcils, la première d’abord, les seconds ensuite, comme si une vague lui parcourait le visage de bas en haut. Cette ondulation sur le visage de Viatcheslav Illarionovitch est particulièrement prononcée lorsqu’il lui arrive (devant des visiteurs, bien entendu) de parcourir des yeux les colonnes du Journal des Débats9. Il joue un rôle assez important au moment des élections, mais refuse, par avarice, la fonction honorifique de maréchal de la noblesse10. « Messieurs, a-t-il l’habitude de dire, d’une voix pleine d’assurance et d’un ton protecteur, aux gentilshommes venant le solliciter, je vous suis très reconnaissant de l’honneur que vous me faites ; mais j’ai décidé de mener à présent une vie retirée. » Et, ayant prononcé ces paroles, il tourne sa tête à droite et à gauche, à plusieurs reprises, puis fait peser d’un air digne son menton  et ses joues sur sa cravate. Dans sa jeunesse, il a servi comme aide de camp chez un grand personnage, dont il ne parle qu’en citant son prénom et son patronyme11 ; on raconte qu’il ne lui servait pas seulement d’ordonnance, mais que, par exemple, tout sanglé dans son grand uniforme, il jouait les garçons de bain auprès de son maître – mais de là à croire tout ce qui se dit ! D’ailleurs, le général Khvalynski n’aime guère parler de sa carrière, ce qui est plutôt curieux ; il semble qu’il n’ait pas non plus fait la guerre. Le général Khvalynski vit seul dans une petite maison ; il n’a jamais connu le bonheur conjugal, ce qui fait qu’il passe encore de nos jours pour un parti possible, et même un bon parti. Il a cependant chez lui une gouvernante12, une femme de quelque trente-cinq ans, à l’œil noir, au sourcil noir, forte, fraîche et moustachue qui, en semaine, circule en robe empesée, et, le dimanche, porte des engageantes13 de mousseline. Viatcheslav Illarionovitch porte beau lors des dîners14 d’apparat donnés par nos hobereaux en l’honneur des gouverneurs et d’autres autorités : on peut dire qu’il  est là absolument dans son élément. Dans de telles circonstances, il est habituellement assis, sinon à la droite du gouverneur, en tout cas pas loin de lui ; au début du repas, il s’en tient surtout au sentiment de sa propre dignité, et, renversé en arrière mais ne tournant pas la tête, il coule en biais des regards vers le bas, sur les nuques rondes et les cols raides des invités ; cependant, vers la fin du dîner, il devient plus gai, se met à sourire de tous les côtés (il souriait déjà depuis le début en direction du gouverneur) et propose parfois même un toast en l’honneur du beau sexe, ornement de notre planète, selon son expression. Le général Khvalynski figure aussi très bien à toutes les solennités publiques, examens, assemblées et autres expositions ; il est très fort pour s’approcher du prêtre et recevoir sa bénédiction. Aux sorties, dans les passages et les endroits similaires, les gens de Viatcheslav Illarionovitch se gardent de crier et de faire du tapage ; au contraire, en écartant la foule ou en appelant la calèche, ils barytonnent d’une voix agréable : « Veuillez laisser passer le général Khvalynski », ou encore : « La voiture du général Khvalynski… » Son équipage est certes d’aspect assez suranné ; la livrée des laquais est passablement usée (inutile de dire qu’elle est grise à passepoils rouges15) ; les chevaux ne sont pas non plus de première jeunesse, mais Viatcheslav Illarionovitch n’a aucune prétention à l’élégance et juge peu conforme à son rang de chercher à éblouir. Khvalynski ne montre pas de talent particulier comme orateur, à moins qu’il n’ait pas l’occasion de déployer son éloquence, car il ne supporte pas la contradiction, et même ne tolère pas la moindre objection ; il évite soigneusement les discussions trop longues, notamment avec les jeunes gens. Ce qui est en effet plus sûr : c’est malheureux, mais les gens, de nos jours, refusent de se soumettre et perdent le sens du respect. Devant les gros bonnets, Khvalynski garde le plus souvent le silence, quant aux personnes de condition inférieure, qu’il méprise visiblement – mais il n’a pas d’autres fréquentations –, il leur tient des propos tranchants, avec un débit saccadé, en employant des expressions du type : « Vous dites là des sot-ti-ses », « Je me vois obligé, cher m’sieur, de vous faire observer que… », ou encore : « Vous devez tout de même comprendre à qui vous vous adressez », etc. C’est la terreur des maîtres de postes, des inévitables inspecteurs de relais et autres assesseurs de tribunaux. Il ne reçoit personne et vit, à ce qu’on dit, comme un grigou. Avec tout cela, c’est un joli hobereau. « Un vieux militaire, un homme incorruptible, à principes, un vieux grognard16 », disent de lui ses voisins. Seul le procureur de région se permet un sourire lorsqu’on évoque en sa présence les qualités remarquables, éminentes, du général Khvalynski – mais un envieux, n’est-ce pas…

     Sur ce, passons au deuxième gentilhomme campagnard. 

     Mardari Apollonytch Stiégounov17 ne ressemble pas du tout à Khvalynski ; on peut se demander s’il a un jour rempli quelque fonction, et il n’a jamais passé pour bel homme. Mardari Apollonytch est un petit vieillard replet et chauve, avec un double menton, des mains d’une douceur molle et une respectable bedaine. Il est très hospitalier, et c’est un grand boute-en-train ; il ne connaît que son plaisir, comme on dit ; il circule été comme hiver dans une robe de chambre ouatée à rayures. Le seul point commun qu’il ait avec le général Khvalynski, c’est qu’il est célibataire, lui aussi. Il possède cinq cent âmes18. Mardari Apollonytch s’occupe de son domaine de façon assez superficielle ; pour ne pas être en retard sur son époque, il a acheté voilà dix ans, chez Bootenop à Moscou19, une machine à battre le blé qu’il a enfermée dans un hangar, bien tranquille comme ça. Tout juste si l’été, par une belle journée, il fait atteler un drojki léger pour aller dans les champs jeter un coup d’œil sur les blés, et cueillir quelques bleuets. Mardari Apollonytch vit complètement comme autrefois. Jusqu’à sa maison, qui est construite « à l’ancienne ». Le vestibule sent, comme il se doit, le kvas20, le suif des chandelles et le cuir21 ; on y trouve, sur la droite, un buffet contenant des pipes22 et des serviettes ; dans la salle à manger, on voit des portraits de famille, des mouches, un grand pot de géraniums et un clavicorde criard ; au salon, trois canapés, trois tables, deux miroirs et une pendule enrouée, à l’émail du cadran noirci et aux aiguilles de bronze ciselé ; dans le cabinet, un bureau encombré de papiers, un paravent bleuâtre tapissé d’images découpées dans divers ouvrages du siècle passé, des armoires renfermant des livres à l’odeur fétide, des araignées et une poussière noire, un fauteuil au rembourrage mou, une fenêtre à l’italienne et une porte condamnée donnant sur le jardin… Bref, rien ne sortant de l’ordinaire. Mardari Apollonytch a de nombreux domestiques, tous habillés à l’ancienne : ils portent de longs caftans bleus à hauts collets droits, des pantalons d’un coloris terne et des gilets courts et jaunâtres. Ils donnent du batiouchka23 aux hôtes de leur maître. Le régisseur de sa propriété est un moujik à grande barbe ; une vieille à la tête nouée d’un fichu marron, toute ridée et fort avare, tient sa maison. Ses écuries comptent une trentaine de chevaux disparates ; il se déplace dans une calèche fabriquée maison, qui doit peser dans les cent cinquante pouds. il accueille très cordialement ses visiteurs et traite magnifiquement ses hôtes : l’hébétude causée par la cuisine russe aidant, ceux-ci se retrouvent privés jusqu’au soir de toute possibilité de faire quoi que ce soit, à part jouer à la préférence25. Lui-même ne fait jamais rien26, il a même cessé de lire L’Interprète des songes27. Mais de tels hobereaux, chez nous, en Russie, il y en a pas mal ; alors, on peut se demander en quel honneur je parle de celui-ci, dans quel but ?… Permettez-moi, en guise de réponse, d’évoquer l’une de mes visites à Mardari Apollonytch.

     J’arrivai chez lui un soir d’été, vers les sept heures. Les vêpres28 venaient de finir, et le prêtre, jeune homme, qui semblait fraîchement émoulu du séminaire et tout intimidé, était au salon, assis tout au bord d’une chaise. Comme d’habitude, Mardari Apollonytch m’accueillit avec une amabilité extrême : le plaisir que lui faisait chaque visite n’avait rien de feint, et c’était un excellent homme. Le prêtre se leva et prit son chapeau.

     — Attends un peu, batiouchka29, lui dit Mardari Apollonytch sans lâcher ma main – ne t’en va pas… J’ai donné l’ordre qu’on t’apporte de la vodka.

     — Je ne bois pas, monsieur30, balbutia le prêtre confus, en rougissant jusqu’aux oreilles.

     — Balivernes ! Un ecclésiastique qui ne boit pas ! répondit Mardari Apollonytch. Michka ! Iouchka ! Apportez de la vodka au batiouchka !

     Iouchka, grand et maigre octogénaire31, entra en portant un petit verre de vodka sur un plateau laqué de noir, émaillé de taches couleur chair.

     Le prêtre fit mine de refuser.

     — Ne fais pas de manières, batiouchka, ce n’est pas bien, lui reprocha le hobereau.

     Le pauvre jeune homme s’exécuta.

     — Eh bien, à présent, batiouchka, tu peux t’en aller…

     Le prêtre se mit à prendre congé.

     — C’est bien, c’est bien, vas-y… C’est un très brave homme, poursuivit Mardari Apollonytch en le suivant du regard, je suis très content de lui, sauf qu’il est un peu jeune. Il prêche à tout va, mais ne boit pas de vodka. Mais vous, mon cher, comment allez-vous ?… Hein, que devenez-vous ? Allons sur la terrasse : voyez-moi cette soirée magnifique !

     Nous sortîmes sur la terrasse pour nous y asseoir et commencer à bavarder. Mardari Apollonytch jeta un coup d’œil vers le bas et fut soudain en proie à une vive agitation.

     — À qui sont ces poules ? À qui sont ces poules ? se mit-il à crier. À qui sont ces poules qui se promènent dans le jardin?… À qui sont ces poules ? 

 Combien de fois l’ai-je interdit, combien de fois l’ai-je dit !?

     Iouchka partit en courant.

     — Quels désordres ! répétait Mardari Apollonytch. Quelle horreur !

     Les malheureuses poules, deux tachetées et une blanche et huppée, autant que je me souvienne, continuaient fort tranquillement à déambuler sous les pommiers, exprimant de temps à autre leurs sentiments par un gloussement32 prolongé, lorsque tout à coup Iouchka, tête nue et un bâton à la main, fondit sur elles, en compagnie de trois autres domestiques d’un âge certain. Ce fut le tintamarre. Les poules criaient, battaient des ailes, faisaient des bonds, caquetaient de façon assourdissante ; les serviteurs couraient, trébuchaient, tombaient ; d’en haut, le barine hurlait comme un possédé : « Attrape, attrape ! Attrape, attrape ! Attrape, attrape, attrape !… À qui sont ces poules, à qui sont ces poules ? » L’un des domestiques parvint enfin à s’emparer de la poule huppée en se jetant sur elle au risque de l’écraser, et au même moment, venant de la rue, une fillette de quelque onze ans, tout ébouriffée et tenant à la main une petite branche, sauta par-dessus la palissade bordant le jardin.

     — Eh bien, voilà à qui sont les poules ! s’écria triomphalement le hobereau. Ce sont les poules du cocher Irmil ! Il a envoyé sa Natalka33… Bien sûr, ce n’est pas Paracha34 qu’il a envoyée, ajouta-t-il à mi-voix, avec un sourire railleur et significatif. Hé, Iouchka, laisse les poules : amène-moi Natalka.

     Mais, avant que Iouchka, tout essoufflé, ait pu courir jusqu’à la fillette tout effrayée, la gouvernante, surgie on ne savait d’où, avait déjà empoigné la pauvre petite et lui avait flanqué quelques taloches dans le dos…

     — C’est ça, c’est ça, accompagna le hobereau : pan ! pan ! pan !… Et confisque les poules, Avdotia35 ! ajouta-t-il d’une voix forte, avant de revenir à moi, le visage lumineux : vous avez vu cette chasse à courre, mon cher ? Voyez, j’en suis tout en sueur.

     Et Mardari Apollonytch éclata de rire.

     Nous restâmes sur la terrasse. La soirée était en effet exceptionnellement belle.

     On nous servit le thé.

     — Dites-moi, Mardari Apollonytch, commençai-je, ces izbas sur la route, là-bas, tout à l’écart, de l’autre côté du ravin, ces gens sont à vous ? 

     — Mais oui… et puis ?

     — Comment pouvez-vous faire cela, Mardari Apollonytch ? Vraiment, c’est mal de votre part. Des izbas moches et minuscules, à l’écart, pas d’arbres aux alentours, ni de fosse à rouir36 ; le puits ne vaut rien. N’auriez-vous pas pu trouver un autre emplacement ?… Et, à ce qu’on dit, vous leur avez même retiré les vieilles chenevières ?

     — Que voulez-vous faire, avec le bornage ? me répondit Mardari Apollonytch. Ce bornage, j’en ai plein le dos – et il indiqua de la main sa nuque. Je ne prévois aucune utilité à ce bornage37. Quant aux chenevières que je leur ai retirées, et à la fosse à rouir que je ne leur ai pas fait creuser, mon cher, c’est mon affaire. Je suis un homme simple, qui agit comme on le faisait jadis. Selon moi, les barines sont les barines38, et les moujiks sont les moujiks… Voilà tout. 

     Il n’y avait bien entendu rien à répondre à cet argument net et convaincant.

     — En outre, poursuivit-il, ces moujiks-là sont mauvais, ce sont des gens tombés en disgrâce. Il y a là-bas deux familles en particulier ; mon défunt père, Dieu ait son âme, ne leur montrait aucune bienveillance, vraiment aucune. Et je l’ai remarqué : si le père est un voleur, le fils le sera aussi ; vous aurez beau dire… Oh, le sang, le sang est une grande réalité ! Je vous avouerai sincèrement que je les ai envoyés à l’armée ou expédiés où je pouvais ; ils sont toujours là, que faire ? Ils sont prolifiques, ces maudits39.

     L’air était maintenant d’un très grand calme. À peine si un filet de vent nous arrivait parfois, et, en venant mourir près de la maison, il finit par nous apporter le bruit de coups régulièrement répétés, en provenance des écuries. Mardari Apollonytch venait de porter à ses lèvres sa soucoupe pleine de thé40, élargissant déjà ses narines, chose sans laquelle, on le sait, aucun natif de Russie ne peut ingurgiter de thé – mais il s’arrêta net, tendit l’oreille, hocha la tête d’un air approbateur, avala une gorgée de thé, et, reposant sa soucoupe sur la table, se mit à dire avec un bon sourire, comme s’il accompagnait les coups sans le vouloir : « Tchiouki-tchiouki-tchiouk ! Tchiouki-tchiouki-tchiouk ! »

       Qu’est-ce donc ? demandai-je, étonné.

     — C’est un polisson que j’ai donné l’ordre de corriger… Vous savez, Vassia le buffetier.

     — Quel Vassia ?

     — Mais celui qui nous a servi le dîner. Celui qui a d’énormes favoris.

     L’indignation la plus violente n’aurait pu résister au regard doux et limpide de Mardari Apollonytch. 

     — Qu’avez-vous, jeune homme ? me dit-il en branlant du chef. Pourquoi me regardez-vous comme si j’étais un scélérat ? Vous le savez : « Qui aime bien châtie bien41. »

    Un quart d’heure après, je pris congé de Mardari Apollonytch. En traversant en voiture le village, j’aperçus le buffetier Vassia.. Il suivait la rue en croquant des noisettes. Je dis au cocher d’arrêter, et appelai Vassia.

     — Alors, mon ami, on t’a puni, aujourd’hui ? lui demandai-je.

     — Comment le savez-vous ? répondit Vassia.

     — Ton barine me l’a dit.

     — Le barine lui-même ?

     — Pourquoi t’a-t-il fait punir ?

     — Je l’avais mérité, batiouchka, je l’avais mérité. Chez nous, on ne punit pas les gens pour des broutilles ; non, chez nous, ça n’arrive pas. Notre barine n’est pas comme ça ; notre barine… il n’a pas son pareil dans toute la province.

     — En route ! dis-je au cocher. « La voilà bien, la vieille Russie ! » pensai-je sur le chemin du retour42.





 Notes


  1. Ce récit de 1851 occupe une position médiane dans le cycle des Mémoires d’un chasseur. Son ironie rappelle grandement Gogol, cela tient presque du pastiche. Cette ironie débute très tôt, dès le nom du premier gentilhomme, dont le nom a pour racine un verbe signifiant « se vanter ». Quant au deuxième, qu’on trouvera plus loin, son nom n’est pas très éloigné d’un verbe signifiant « fouetter », ce qui a du piquant, comme on le verra à la fin.
  2. La citation de Saadi (on écrit maintenant : Sa’di) renvoie à la toute fin d’Eugène Onéguine, chant VIII, strophe 51, c’est-à-dire la dernière : il parlait de ses auditeurs, Tourguéniev utilise plaisamment la citation pour évoquer la dentition désormais incomplète de son premier personnage…
  3. Chef-lieu de district de la province de Poltava, aujourd’hui en Ukraine :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Romny. 
  4. Le terme (Jid) utilisé pour présenter le Juif est méprisant, c’est quasiment youpin. On verra dans un autre récit une évocation de l’antisémitisme existant en Russie.
  5. C’est-à-dire un Ukrainien.
  6. Le blé séché à chaud se vendait pllus cher (note trouvée chez Henri Mongault).
  7. Coiffure traditionnelle russe, rappelant la crête de lcertains oiseaux.
  8. Autre coiffe traditionnelle. Comme l’écrit en note H. Mongault : « C’est à peu près comme si une Bretonne mettait par-dessus sa coiffe un bonnet de Cauchoise. »
  9. En français dans le texte.
  10. De district, ou même de la province. « Par avarice » peut-être parce que le représentant de la noblesse devait, dans certaines circonstances, prendre l’initiative de collectes de charité. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%A9chal_de_la_noblesse
  11. Ce qui prétend marquer, tout en restant poli, une proximité affectueuse.
  12. Le terme russe renvoie à « économe », mot à mot : celle qui tient les clés, mais ce terme d’économe s’emplloie pour une collectivité, pas pour un particulier. 
  13. J’ai pêché ce terme chez H. Mongault : https://fr.wikipedia.org/wiki/Engageante_(v%C3%AAtement)
  14. Grand repas pris vers quinze ou seize heures, dîner d’Ancien régime.
  15. Tenue ordinaire des généraux russes (note trouvée chez H. Mongault).
  16. En français dans le texte.
  17. Henri Mongault a francisé le prénom en Mardaire, ce qu’on peut discuter, d’autant qu’ici le patronyme suit : Apollonytch pour Apollonovitch, fils d’Apollon.
  18. C’est-à-dire que le vllage joint à son domaine (pluriel possible) compte cinq cent foyers paysans… Tout cela se passe avant l’émancipation des serfs en 1861.
  19. Maison anglaise de machines agricoles qui existait encore avant la révolution. Il s’agit de deux frères, fabricants à Moscou au XIXe siècle, Johann et Nikolaï, qui reconstruisirent l’horloge de la tour Saint-Sauveur du Kremlin, à partir de 1851.
  20. https://fr.wikipedia.org/wiki/Kvas. Le drojki rencontré quelques lignes plus haut est une  voiture très simple à quatre roues. Le poud qu’on va trouver un peu plus bas pesait 16,4 kg. 
  21. Et non pas le cuivre, comme on trouve chez Halpérine-Kaminsky : si ce cuir n’est pas une simple coquille, c’est une magnifique symbiose de la proximité phonétique des deux mots et de l’idée du cuivre des bougeoirs…
  22. H. Mongault signale que l’on fumait à cette époque des pipes au tuyau fort long – des chibouques. Une illustration du roman Les Âmes mortes par le peintre Alexeï Laptiev, que j’ai sous les yeux, en donne un exemple. On les rangeait dans un meuble spécial.
  23. À l’adresse d’un prêtre : « Mon père ». Autrement, entre égaux : « Mon cher ». Ici :« Petit père », mais sans familiarité, avec respect.
  24. Le poud faisait 16,4 kg.
  25. Jeu de cartes introduit en Russie en 1838 et y ayant connu un énorme succès.
  26. Un vrai précurseur d’Oblomov… Le roman éponyme parut quelques années plus tard. Son auteur, Ivan Gontcharov, devint sur le tard un peu paranoïaque et s’en prit à Tourguéniev, l’accusant de plagiat.
  27. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5494440k)
  28. Le terme russe désigne plutôt une vigile, mais c’est bien trop tôt, surtout l’été… Par ailleurs, le verbe employé est étrange : les vêpres venaient de se retirer.
  29. Vaut ici « mon Père, attendez un peu », mais en français, ce terme de respect envers un ecclésiastique appelle le vouvoiement, je suis donc obligé de garder le terme russe.
  30. Ce dernier terme signifié par l’enclitique sifflée habituelle.
  31. Comme le souligne H. Mongault, le diminutif Iouchka (pour Iouri) est plaisant vu l’âge du domestique et montre l’attitude extrêmement paternaliste du hobereau envers ses serviteurs.
  32. Le terme russe est plus proche du gémissement. Peut-être un parler local, un orlovisme
  33. L’une des formes (à  côté de Natacha) liées au prénom Natalia.
  34. Forme populaire de Praskovia (Prascovie). H. Mongault émet l’hypothèse que cette dernière est une jolie fille…
  35. Forme populaire de Ievdokia (Eudoxie) : c’est la gouvernante, voir la note 12, le terme est le même dans le texte russe. Voilà qui rapproche encore les deux « gentilshommes campagnards »…
  36. Confirmé par la suite. Autrement, le terme pourrait désigner un étang, qu’on peut toujours empoissonner…
  37. Je n’emploie pas le mot « cadastre », que l’on trouve aussi bien chez H. Mongault que chez É. Halpérine-Kaminsky, car il me semble trop moderne, et d’ailleurs ne correspond pas au terme du texte russe.
  38. Rappel : ce terme signifie « maître, seigneur ».
  39. On ne trouve ces trois dernières lignes ni chez Halpérine-Kaminsky, ni chez H. Mongault. Il est vraisemblable que cela résulte de la censure initiale du texte.
  40. Manière, sinon la plus distinguée, du moins la plus courante de boire le thé un peu refroidi, un morceau de sucre dans la bouche…
  41. Henri Mongault rappelle trois occurrences bibliques du proverbe, je les ai vérifiées : Proverbes 3, 11-12 ; Hébreux 12,7 ; Apocalypse 3,19.
  42. Là encore, la fin rappelle grandement Gogol : on croirait entendre Pouchkine s’exclamer, comme il le fit tandis que Gogol lui lisait le début des Âmes mortes : « Mon Dieu ! Qu’elle est triste, notre Russie ! »

dimanche 29 octobre 2023

Lgov (Ivan Tourguéniev)

      Voici le septième récit, datant de 1847, du cycle reconstitué des Mémoires d'un chasseur. Il prend place entre L'"odnodvorets" Ovsianikov et Le pré Béjine...


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     — Allons à Lgov, me dit un jour Iermolaï, que les lecteurs connaissent déjà1. Nous pourrons y tirer le canard à volonté.

     Bien que, pour un vrai chasseur2, le canard sauvage ne présente pas d’intérêt particulier, je suivis, à défaut d’autre gibier (nous étions au début de septembre, les bécasses n’étaient pas encore arrivées et j’en avais assez de battre la campagne à la recherche des perdrix), son conseil et partis pour Lgov.

     Lgov est un gros bourg de la steppe doté d’une très vieille église à coupole unique3 et de deux moulins le long de la Rossota, petite rivière marécageuse. À environ cinq verstes4 de Lgov, cette rivière se transforme en un large étang envahi, sur les bords et par endroits au milieu, de joncs poussant en rangs serrés – cette variété de jonc que, du côté d’Orel ,on appelle maïer. Sur cet étang, ans les anses paisibles entre les jonchaies, pullulaient en quantité innombrable les canards de toutes sortes : barboteurs, semi-barboteurs, pilets, sarcelles, plongeons, etc. De petites bandes d’oiseaux voletaient sans cesse au-dessus de l’eau, et il s’en élevait, au premier coup de feu, de telles nuées que le chasseur portait involontairement la main à sa chapka en disant d’une voix traînante: « Fou-ou ! » Nous commençâmes, Iermolaï et moi, par longer l’étang, mais, primo, le canard, oiseau prudent, ne se tient pas là ; secundo, même lorsque quelque sarcelle inexpérimentée et restée en arrière se retrouvait exposée à nos fusils et en perdait la vie, nos chiens n’étaient pas en état d’aller la retirer de la masse compacte des maïers : malgré leur abnégation pleine de noblesse, ils ne pouvaient ni nager ni poser les pattes sur le fond, et se coupaient inutilement leurs museaux précieux aux bords acérés des joncs. 

     — Non, finit par dire Iermolaï, nous n’y arriverons pas comme ça : il nous faut une barque… Retournons à Lgov.

     Nous partîmes. À peine avions-nous fait quelques pas que courut à notre rencontre, sortant d’un buisson d’osiers, un chien couchant5 d’aspect assez misérable ; à sa suite apparut un homme de taille moyenne, vêtu d’un surtout bleu très élimé, d’un gilet jaunâtre et d’un pantalon gris de lin ou bleu d’amour6 hâtivement fourré dans des bottes trouées, un foulard rouge au cou et un fusil à canon unique en bandoulière. Cependant que nos chiens s’abouchaient, en observant le rite chinois propre à leur race, avec le nouveau venu qui, visiblement peu rassuré, baissait la queue de peur, rejetait les oreilles en arrière et tournait sur lui-même sans plier les jarrets et en montrant les dents, l’inconnu s’approcha de nous et nous salua avec une extrême politesse. À le voir, on lui donnait vingt-cinq ans ; ses longs cheveux châtain clair fortement imprégnés de kvas7 pointaient en petites tresses rigides, ses petits yeux noisette clignaient aimablement, tout son visage, enveloppé d’un foulard noir comme s’il souffrait d’une rage de dents, souriait avec douceur. 

     — Permettez-moi de me présenter, commença-t-il d’une voix douce et insinuante : je suis Vladimir, un chasseur local… Ayant appris votre arrivée, et votre présence sur les bords de notre étang, je suis venu vous proposer mes services, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

     Le chasseur Vladimir parlait, à s’y méprendre, comme un acteur de province jouant des rôles de jeune premier. J’acceptai sa proposition et eus le temps, avant d’arriver à Lgov, d’apprendre son histoire. C’était un ancien domestique, un serf affranchi8 ; dans sa prime jeunesse, il avait appris la musique, puis servi comme valet de chambre, savait lire et écrire et avait, pour autant que je pus en juger, mis son nez dans quelques petits livres ; il vivait à présent, chose assez répandue en Russie, sans un sou, sans emploi fixe et comptant quasiment sur la manne céleste pour sa pitance. Il s’exprimait avec une remarquable élégance et aimait visiblement faire étalage de ses manières ; c’était aussi un coureur invétéré, connaissant sans doute de grands succès : les jeunes filles russes sont sensibles aux beaux discours. Il me fit remarquer, entre autres choses, qu’il allait parfois rendre visite à des propriétaires du district, qu’on l’invitait en ville, qu’il jouait à la préférence9 et connaissait des gens dans les deux capitales10. Il souriait à la perfection, avec une gamme étonnamment variée de sourires ; celui qui lui allait le mieux était un sourire modeste, plein de retenue, qui jouait sur ses lèvvres lorsqu’il écoutait les autres parler. Il vous écoutait, était complètement d’accord avec vous, sans toutefois perdre le sentiment de son propre mérite et semblait vous donner à entendre qu’il pourrait, à l’occasion, exprimer sson propre avis. Iermolaï, homme point trop instruit ni trop subtil, commençait déjà à le tutoyer. Il fallait voir le sourire ironique avec lequel Vladimir lui donnait du « vous11… »

     — Pourquoi ce foulard autour de votre tête ? lui demandai-je. Vous avez mal aux dents ?

     — Non monsieur12, répliqua-t-il, c’est la conséquence plus funeste d’une imprudence. J’avais un ami, quelqu’un de bien, mais pas du tout chasseur, ce sont des choses qui arrivent. Voilà qu’un jour, il me dit : « Mon cher ami, emmène-moi à la chasse : je suis curieux d’apprendre en quoi consiste ce divertissement. » Bien sûr, je n’eus pas le cœur de refuser cela à un camarade : je lui procurai un fusil et le pris avec moi. Nous avons donc bel et bien chassé ; il nous est ensuite venu à l’idée de nous reposer. Je m’assis sous un arbre ; lui, de son côté, se mit à s’amuser à manier son fusil, en me visant, qui plus est. Je le priai d’arrêter, mais son manque d’expérience fit qu’il ne m’obéit pas. Le coup de feu partit et m’enleva le menton et l’index de la main droite.

     Nous arrivâmes à Lgov. Auussi bien Vladimir que Iermolaï étaient d’avis qu’il était impossible de chasser sans barque. 

     — Le Nœud13 a un canot à fond plat, observa Vladimir – mais je ne sais pas où il l’a mis. Il faut passer en vitesse chez lui.

     — Chez qui ? demandai-je.

     — Il y a ici un homme dont le sobriquet est le Nœud.

     Vladimir se rendit chez le Nœud, accompagné par Iermolaï. Je leur dis que j’allais les attendre près de l’église. En examinant les sépultures dans le cimetière14, je tombai sur une urne à base carrée, noircie par le temps. portant des inscriptions. On lisait sur un côté, en français : « Ci-gît Théophile Henri, vicomte de Blangy » ; sur un autre, en russe : « Sous cette pierre repose le corps du comte de Blangy, sujet français ; il naquit en 1737 et mourut en 1799, à l’âge de 62 ans » ; sur un troisième : « Paix à ses cendres », et sur le quatrième :


          Sous cette pierre repose un émigré français ;

          D’origine noble, il ne manquait pas de talent.

          Ayant pleuré son épouse et sa famille abattues,

          Il quitta sa patrie foulée par les tyrans ;

          Ayant atteints les bords du pays des Russes,

          Il y trouva pour ses vieux jours l’hospitalité d’un toit ;

          Il instruisit les enfants et rassura les parents…

          Le Très-Haut lui donna ici le repos15.


     L’arrivée de Iermolaï, de Vladimir et de l’homme étrangement surnommé le Nœud interrompit mes réflexions.

     Nu-pieds, hirsute et déguenillé,  le Nœud semblait être un ancien domestique d’une soixantaine d’années.

     — Tu as un bateau ? lui demandai-je.

     — J’en ai un, répondit-il d’une voix sourde et cassée, seulement il est très mauvais.

     — Qu’est-ce qu’il a ?

     — Les planches sont disjointes, et les chevilles sont sorties des trous.

     — Pas grave, dit aussitôt Iermolaï, avec de l’étoupe on peut boucher les trous.

     — Pour sûr, confirma le Nœud.

     — Au fait, tu es qui ?

     — Je suis le pêcheur seigneurial16.

     — Comment peux-tu te dire pêcheur, alors que tu laisses ton bateau en si mauvais état ?

     — Bah, dans notre rivière, il n’y a pas de poisson.

     — Le poisson n’aime pas la rouille palustre, observa d’un air important mon chasseur.

     — Eh bien, dis-je à Iermolaï, procure-toi de l’étoupe et remets en état le bateau, dépêche-toi.

     Iermolaï partit.

     — Ne risquons-nous pas de couler ? dis-je à Vladimir.

     — Avec l’aide de Dieu, tout se passera bien, répondit-il. En tout cas, on peut supposer que l’étang n’est pas profond.

     — Il n’est pas profond, fit remarquer le Nœud, qui parlait d’une voix étrange, à moitié endormie, mais au fond, il y a de la vase des herbes, plein d’herbes. Du reste, il y a aussi des trous d’eau17.

     — Tout de même, si l’herbe est si épaisse, observa Vladimir, il n’y aura pas moyen de ramer.

     — Mais qui rame sur un bateau plat ? Il faut le pousser. J’irai avec vous ; j’ai une perche, sinon, on peut aussi utiliser une pelle.

     — Une pelle, ce ne serait pas commode, dans certains endroits on n’atteindrait sans doute pas le fond, dit Vladimir.

     — Pas commode, y a du vrai.

     Je m’assis sur une tombe pour attendre Iermolaï. Vladimir s’écarta un peu, par décence, et s’assit également. Le Nœud resta debout au même endroit, tête, baissée, les mains derrière le dos, vieille habitude chez lui, visiblement.

     — Dis-moi, je te prie, il y a longtemps que tu es pêcheur ? lui demandai-je.

     — Bientôt huit ans, répondit-il en s’animant.

     — Et que faisais-tu auparavant ?

     — J’étais cocher. 

     — Et qui t’a rétrogradé ?

     — La nouvelle maîtresse.

     — Quelle maîtresse ?

     — Ben, celle qui nous a achetés18. Vous ne devez pas la connaître : Aliona Timofeïevna, une grosse… pas jeune.

     — Qu’est-ce qui lui a donné l’idée de faire de toi un pêcheur ?

     — Allez savoir. Elle est arrivée de son domaine de Tambov, elle a réuni tous les domestiques et s’est montrée à nous. Nous lui avons baisé la main, elle ne s’est pas fâchée… Ensuite, elle s’est mise à demander à chacun ce qu’il faisait, quel était son emploi. Arrive mon tour ; la voilà qui me demande : « Qu’étais-tu ? » –« Cocher. » – « Cocher ? En voilà un cocher ! Regarde-toi : drôle de cocher ! Cocher, ce n’est pas pour toi, chez moi tu seras pêcheur, et rase ta barbe. À chacune de mes venues, tu pourvoiras ma table en poisson, tu m’entends ? » Depuis ce temps-là, je suis devenu pêcheur. Elle m’a encore dit : « Prends bien garde d’entretenir l’étang… » Mais comment faire pour l’entretenir ?

     — À qui apparteniez-vous auparavant ?

     — À Sergueï Serguéitch20 Pekhtériev. Il nous avait obtenus par héritage. Mais il ne nous a pas gardé plus de six ans. Chez lui, j’étais cocher, je le conduisais… mais au village seulement – en ville, il en avait d’autres.

     — Et tu as été cocher depuis ta jeunesse ?

     — Pour ça, non ! Je suis devenu cocher du temps de Sergueï Serguéitch, avant j’étais cuisinier, mais là aussi au village, pas en ville.

     — Et chez qui étais-tu cuisinier, alors ?

     — Mais chez le barine précédent, Afanassi21 Néfédytch, l’oncle de Sergueï Serguéitch. Afanassi Néfédytch avait acheté Lgov, et Sergueï Serguéitch a hérité du domaine.

     — À qui Afanassi Néfédytch l’avait-il acheté ?

     — Mais à Tatiana Vassilievna.

     — Quelle Tatiana Vassilievna ?

     — Mais celle qui est morte il y a deux ans, du côté de Bolkhov22… je veux dire du côté de Karatchev, une vieille fille… Elle ne s’était jamais mariée. Vous ne l’avez pas connue ? Elle nous tenait de son père, Vassili Sémionytch. Nous avons été en sa possession un bon petit moment, une vingtaine d’années.

     — Et alors, tu étais son cuisinier ?

     — Au début, son cuisinier, oui, ensuite je suis devenu kofichenk23.

     — Tu es devenu quoi ?

     Kofichenk.

     — Qu’est-ce que c’est que cet emploi ?

     — Mais je ne sais pas, petit père. Je me tenais à l’office et m’appelais Anton au lieu de Kouzma. C’étaient les ordres de la maîtresse.

     — Ton véritable nom est Kouzma ?

     — Kouzma, oui.

     — Et tu es resté tout le temps kofichenk ?

     — Non, pas tout le temps : j’ai aussi été akhteur24.

     — Pas possible !

     — Si fait, je l’ai été… je jouais sur le kéïâtre. Notre maîtresse avait installé un kéïâtre chez elle.

     — Et quels rôles jouais-tu ?

     — Je vous demande pardon ?

     — Qu’est-ce que tu y faisais, au théâtre ?

     — Quoi, vous ne savez pas ? Voilà, on me prenait et on m’habillait chic ; après, je déambulais comme ça, ou je me tenais debout, ou je restais assis, comme il le fallait. On me disait de dire quelque chose, et je le faisais. J’ai représenté un aveugle, une fois… On m’avait mis un pois sous chaque paupière… Parfaitement !

     — Et ensuite, qu’es-tu devenu ?

     — Et ensuite, je suis redevenu cuisinier.

     — Pourquoi as-tu été ainsi rétrogradé ?

     — C’est que mon frère s’était enfui.

     — Bon, et chez le père de ta première patronne, que faisais-tu ?

     — Oh, j’ai occupé différents emplois : j’ai d’abord été petit cosaque25, puis postillon, jardinier, chef piqueur.

     — Chef piqueur ? Tu menais les chiens ?

     — Tout à fait, mais je me suis fait du mal : je suis tombé de cheval, et le cheval s’est blessé. Le vieux maître était très sévère, il m’a fait fouetter, puis m’a envoyé en apprentissage à Moscou chez un cordonnier.

     — En apprentissage ? Tu n’étais plus un enfant, si tu étais chef piqueur…

     — Oui, je devais avoir un peu plus de vingt ans.

     — En apprentissage à vingt ans ?

     — Faut croire que c’était possible, du moment que le barine l’avait ordonné. Mais heureusement, il est mort peu après, et on m’a fait revenir au village. 

     — Et quand as-tu appris l’art de la cuisine ?

     le Nœud leva son visage jaune et émacié et eut un sourire ironique.

     — Depuis quand cela s’apprend-il ? Les paysannes font bien la popote !

     — Eh bien Kouzma, dis-je, tu en as vu des vertes et des pas mûres, dans ta vie ! Que fais-tu donc à présent, toi le pêcheur, alors qu’il n’y a pas de poisson chez vous ?

     — Oh, je ne me plains pas, petit père. Je remercie Dieu qu’on m’ait nommé pêcheur. Tenez, il y en a un autre, de vieux comme moi – André le Pustuleux – que la maîtresse a placé aux cuves, à la fabrique de papier26. C’est pécher de ne pas gagner le pain que l’on mange, a-t-elle dit… Et le Pustuleux qui comptait sur une faveur ! En effet, il a un petit-cousin27 employé aux écritures au comptoir de cette dame, qui lui avait promis de parler de lui à la patronne. Ah ouiche, il lui en a parlé !… Et j’avais vu de mes propres yeux le Pustuleux se jeter aux pieds de son petit-cousin pour l’implorer.

     — Tu as de la famille ? Tu as été marié ?

     — Non, petit père. La défunte Tatiana Vassilievna – que Dieu ait son âme ! – n’autorisait personne à se marier. Surtout pas ! Il lui arrivait de dire : « Je reste bien fille, moi, en voilà des caprices ! Que leur faut-il donc ? »

     — De quoi vis-tu, à présent ? Tu touches des gages ?

     — Des gages, petit père, quels gages ?… On me donne des vivres, Dieu soit loué ! Je suis bien content. Que Dieu accorde longue vie à notre maîtresse !

     Iermolaï revint.

     — La barque est arrangée, dit-il d’une voix rude. Va donc chercher ta perche, toi !…

     Le Nœud courut chercher la perche. Pendant tout mon entretien avec le pauvre vieux, le chasseur Vladimir l’avait observé, un sourire méprisant aux lèvres.

     — Un véritable imbécile28, dit-il après le départ de l’autre – un homme absolument inculte, un moujik et rien d’autre. On ne saurait voir en lui un serviteur. Et il n’a fait que se vanter… comment voulez-vous qu’il ait été acteur, je vous le demande ?! Vous vous êtes donné de la peine pour rien en discutant avec lui !

     Un quart d’heure plus tard, nous étions installés dans le bateau à fond plat du Nœud — nous avions laissé les chiens dans une izba, confiés à la garde du cocher Iégoudiil29. Ce n’était pas très commode, mais les chasseurs ne sont pas gens difficiles. Debout à l’arrière arrondi de la barque se tenait le Nœud, qui poussait avec sa perche ; Vladimir et moi étions assis sur la traverse au milieu du bateau. Iermolaï avait trouvé place tout à l’avant. Malgré l’étoupe de calfeutrage, l’eau se montra bientôt à nos pieds. Par bonheur, le temps était calme, et l’étang paraissait dormir. 

     Nous avancions assez lentement. Le vieillard avait du mal à retirer de la vase visqueuse sa longue perche, tout enchevêtrée des filaments verts des herbes aquatiques ; lla masse compacte es feuilles rondes des nénuphars entravaient aussi la progression de notre barque. Nous arrivâmes enfin aux jonchaies, et le tintamarre commença. Effrayés par notre soudaine apparition dans leur domaine, les canards s’élevaient avec bruit, s’arrachant à l’étang, les coups de feu se succédaient en rafales, et c’était plaisant de voir ces oiseaux à courte queue culbuter dans les airs et retomber lourdement dans l’eau, avec de grands « plouf ! ». Nous ne pûmes bien sûr pas récupérer tous les oiseaux atteints30 : ceux qui étaient légèrement blessés plongeaient ; d’autres, tués raides, tombaient dans un tel buisson de maïers que même les yeux de lynx de Iermolaï ne pouvaient les dénicher ; tout de même, à l’heure du déjeuner31, notre barque était pleine à ras bords de gibier.

     À la grande joie de Iermolaï, Vladimir était médiocre tireur et, après chaque coup de fusil raté, faisait mine de s’étonner, examinait son fusil et soufflait dedans, restait perplexe et finissait par nous expliquer pourquoi il avait manqué sa cible. Iermolaï tirait à la perfection, comme toujours, et moi plutôt mal, comme d’habitude. Le Nœud nous regardait avec les yeux d’un homme au service d’un maître depuis l’enfance, nous criant de temps en temps : « Là-bas, encore un canard ! » et se grattant le dos sans cesse, non pas avec les mains mais en remuant ses épaules. Le temps demeurait magnifique : haut dans le ciel, de gros nuages blancs filaient silencieusement au-dessus de nous, se reflétant dans l’eau ; les joncs chuchotaient ; par endroits, l’étang luisait au soleil comme de l’acier. Nous nous apprêtions à revenir au village lorsqu’il nous arriva soudain un événement assez désagréable.

     Nous avions remarqué depuis un moment que l’eau envahissait peu à peu notre  barque. Vladimir fut chargé d’écoper à l’aide d’un puisoir dérobé à tout hasard par mon chasseur prévoyant à une paysanne bayant aux corneilles. Tout alla pour le mieux tant que Vladimir s’acquitta de ses obligations. Mais, vers la fin de la chasse, comme si les canards voulaient nous dire adieu, il s’en éleva de telles volées que nous avions à peine le temps de recharger nos fusils. Dans le feu de la fusillade, nous ne fîmes plus attention à l’état de notre bateau, jusqu’à ce qu’un mouvement violent de Iermolaï – il s’efforçait d’attraper un oiseau abattu et appuya de tout son corps sur un bord en se penchant – fit brusquement s’incliner notre embarcation délabrée, qui se remplit d’eau et coula majestueusement, à un endroit par chance peu profond. Nous poussâmes un cri, mais c’était trop tard : en un instant, nous eûmes de l’eau jusqu’au menton, avec les corps des canards morts qui flottaient autour de nous. À présent, je ne puis m’empêcher de rire en repensant aux visages blêmes et effarés de mes compagnons – le mien ne devait pas non plus afficher un teint bien rouge ; mais j’avoue que, sur le moment, je n’avais guère envie de rire. Chacun de nous tenait son fusil au-dessus de sa tête, et le Nœud, sans doute à cause de son habitude d’imiter ses maîtres, brandissait sa perche en hauteur. Iermolaï fut le premier à rompre le silence.

     — Saloperie ! marmonna-t-il en crachant dans l’eau, en voilà une histoire ! C’est de ta faute, vieux démon ! ajouta-t-il avec courroux en s’adressant au Nœud : a-t-on idée d’avoir un bateau comme ça ?

     — Faites excuse, balbutia le vieillard.

     — Et toi non plus, tu n’es pas mal, continua mon chasseur en tournant la tête vers Vladimir. Tu regardaiis quoi ? Pourquoi tu n’écopais plus ? Tu, tu, tu…

     Mais Vladimir était loin de songer à répliquer : il tremblait comme une feuille, claquait des dents et souriait d’un air stupide. Qu’étaient devenus sa verve, son sens délicat des convenances et de sa propre dignité ?

     La maudite barque oscillait légèrement sous nos pieds… Au moment du naufrage, l’eau nous avait semblé extrêmement froide, mais nous nous y étions vite habitués; Une fois passé le premier effroi, je regardai autour de moi : à une dizaine de pas de nous, un peu partout poussaient les joncs ; au loin, le bord de l’étang se montrait au-dessus de leurs têtes. « Pas fameux ! » me dis-je.

     — Que faire ? demandai-je à Iermolaï.

     — On va bien voir : il ne s’agit pas de passer la nuit ici, répondit-il. Hé, toi, prends mon fusil, dit-il à Vladimir.

     Celui-ci obéit sans murmurer.

     — Je vais tâcher de trouver un gué, poursuivit Iermolaï avec assurance, comme si dans chaque étang se trouvait immanquablement un gué ; il prit la perche des mains du Nœud et se dirigea vers le bord en tâtant précautionneusement le fond.

     — Mais tu sais nager ? lui demandé-je.

     — Non, fit sa voix de derrière les joncs.

     — Alors, il va se noyer, observa sans s’émouvoir le Nœud ; c’était notre colère qui l’avait effrayé, plus tôt, et non le danger ; à présent, parfaitement calme, il se contentait de souffler fort de temps à autre, et ne semblait nullement ressentir le besoin de modifier sa situation.

     — Et il va périr sans la moindre utilité, monsieur32, ajouta plaintivement Vladimir. 

     Iermolaï mit plus d’une heure à revenir. Cette heure nous parut une éternité. Au début, nous échangions des appels fréquents avec lui, puis ses réponses se firent plus rares, et il finit par se taire complètement. Au village, la cloche sonna les vêpres. Nous ne parlions pas entre nous, nous nous efforcions même de ne pas nous regarder. Des canards volaient au-dessus de nos tête ; d’autres faisaient mine de se poser à côté de nous, mais remontaient soudain en chandelle et repartaient avec de grands cris. Nous commencions à nous engourdir. Le Nœud battait des paupières comme s’il se préparait à dormir.

     Enfin, et ce fut pour nous une joie indescriptible, Iermolaï revint.

     — Eh bien ?

     — J’ai regagné le bord ; j’ai trouvé un gué… Venez.

     Nous faisions déjà mouvement pour partir, mais il commença par sortir, sous l’eau, une ficelle de sa poche, attacha par les pattes les canards tués, prit entre ses dents les deux bouts de la ficelle et se mit à avancer ; Vladimir le suivit, avec moi derrière lui. Le Nœud fermait la marche. La rive était à deux cent pas environ ; Iermolaï avançait hardiment et sans marquer d’arrêt – tant il avait bien observé le chemin –, en nous criant juste de temps en temps : « Prenez à gauche, sur la droite il y a un trou d’eau ! », ou : « Serrez à droite, à gauche vous allez vous embourber… » Nous avions parfois de l’eau jusqu’au menton, et à deux reprises ce pauvre Nœud, le plus petit d’entre nous, but la tasse et lâcha des bulles à la surface de l’eau. « Allez, allez, allez ! » le grondait Iermolaï, et le Nœud s’efforçait de remonter, tricotait des jambes, faisait des bonds et réussissait à trouver un endroit moins profond ; il n’osait pas, même aux instants critiques, attraper un pan de mon surtout. Fourbus, sales et trempés, nous atteignîmes enfin la rive.

     Deux heures plus tard, séchés autant que c’était possible, nous étions installés dans une vaste grange et nous apprêtions à souper. Le cocher Iégoudiil, lambin remarquablement mou, raisonneur et somnolent, se tenait à la porte et offrait sans barguigner – j’ai remarqué qu’en Russie les cochers se lient très facilement – du tabac au Nœud. Ce dernier prisait avec acharnement, jusqu’à avoir la nausée : il crachait, toussait et semblait y prendre grand plaisir. Vladimir prenait des airs languissants, penchait la tête de côté et parlait peu.Iermolaï essuyait nos fusils. Les chiens remuaient la queue à toute vitesse en attendant leur pâtée d’avoine ; les chevaux piaffaient et hennissaient sous l’auvent… Le soleil se couchait ; ses derniers rayons se dispersaient en larges bandes pourpres ; de petits nuages dorés traînaient dans le ciel, s’amenuisant comme une longue mèche lavée et démêlée33… Des chants montaient du bourg.



     

     Notes


  1. Iermolaï est un serf accompagnant parfois le narrateur à la chasse. Voir notamment : https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/220321/iermolai-et-la-meuniere-ivan-tourgueniev
  2. Le narrateur ne chasse que du gibier à plumes. C'était le cas, à quelques lièvres près, de Tourguéniev.
  3. « Signe d’ancienneté : à la fin du XVIIe siècle, on revint à la tradition byzantine des églises à cinq coupoles » (note due à Henri Mongault).
  4. La verste faisait un peu moins de 1,1 km.
  5. Et non pas chien courant, erreur d’H. Mongault.
  6. En français transcrit en russe.
  7. Boisson fermentée. H. Mongault précise que les paysans l’utilisaient comme pommade.
  8. Rappel : ce récit fut publié en 1847, donc une quinzaine d’années avant l’oukaze (l’édit) d’Alexandre II abolissant le servage. Tout au long du cycle des Récits d’un chasseur, Tourguéniev passe en revue diverses situations et différents types de serfs. Profondément libéral (il fut épinglé pour cela par Dostoïevski, notamment dans Les Démons), il détestait le système en vigueur en Russie avant 1861, et manifesta une certaine fierté d’avoir pu, par ses écrits, contribué à mettre à bas le servage.
  9. Jeu de cartes introduit en Russie en 1838 et y ayant connu un énorme succès.
  10. Moscou et Saint-Pétersbourg. Le texte russe ne permet d’ailleurs pas de savoir s’il s’agit d’une des capitales, ou des deux.
  11. Et même « vous monsieur », le deuxième mot signalé comme d’habitude par l’enclitque sifflée « s », initiale de l’ancien terme signifiant « monsieur ».
  12. Idem. L’enclitique se retrouve un peu partout dans la réponse de Vladimir…
  13. Dans le bois. Au sens figuré : l’anicroche. H. Mongault a traduit par « La Branche », ce qui n’est pas absurde, mais me semble fade.
  14. Le cimetière est dans l’enceinte de l’église.
  15. Tournures poétiques et archaïques, comme il se doit. Michel Delarche, que je remercie, a trouvé au sujet du personnage évoqué ici une légende fort intéressante : https://www.fern-flower.org/en/places/suryaninsky-forest (une polésie est une région historique de l'Europe slave)
  16. Seigneur du coin, propriétaire du domaine, barine.
  17. Avec une note de l’auteur indiquant qu’il s’agit d’endroits, dans un étang ou une rivière, où l’eau est profonde.
  18. Voir la note 8 : avec un domaine, on achète le village qui en fait partie, c’est-à-dire les âmes, les foyers…
  19. Forme populaire de Iéléna (Hélène). À noter que, depuis 1980, le prénom Aliona a droit de cité à part entière.
  20. Pour Sergueïevitch, fils de Serge. Le nom de famille peut auss, le cas échéant, se prononcer Pekhtériov, et peut être russe, bulgare, juif ou azerbaïdjanais, paraît-il.
  21. Athanase. Je garde la forme russe puisque le patronyme suit : Néfédytch pour Néfédovitch, plutôt Néfiodovitch, d’ailleurs.
  22. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bolkhov . Karatchev est à une centaine de kilomètres.
  23. Préposé au café. Du turc kafatgi (ou kafetgi), en passant par l’allemand Kaffeeschenk, cafetier (d’après une note d’H. Mongault et quelques recherches).
  24. Le mot « acteur » est estropié, de même que « théâtre » un peu plus loin.
  25. Jeune laquais habillé en Cosaque.
  26. Pour des détails sur cette industrie, se reporter au récit Le pré Béjine : https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/070923/le-pre-bejine
  27. Et non pas petit-neveu, comme on trouve chez H. Mongault. Mais ce n’est rien à côté des contresens que l’on trouve dans la vieille traduction d’É. Halpérine-Kaminsky…
  28. réapparition de l’enclitique sifflée, voir la note 11.
  29. Jéhudiel : https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9hudiel
  30. Erreur, ici, chez H. Mongault qui écrit : « Nous ne pouvions songer à les atteindre tous. »
  31. Tardif, a lieu vers quinze heures.
  32. Retour de l’enclitique sifflée marquant l’obséquiosité de Vladimir.
  33. Il semble que le terme russe, qui signifie ordinairement « vague », ait eu ce sens du côté d’Orel, jadis. Le pauvre H. Mongault avait renoncé à traduire des quelqus mots. Quant au brave Halpérine-Kaminsky, il y va carrément, parlant d’une « vague lavée et peignée »…