mardi 29 mai 2018

Deux autres poèmes de Serge Essénine


      Né en 1895 et mort suicidé en décembre 1925, Serge Essénine, officiellement poète imaginiste, est un poète lyrique russe marqué par sa naissance dans un milieu paysan et chrétien. Comme l’écrit Nikita Struve : « Après avoir adopté une attitude patriotique pendant la guerre, il accueille la Révolution avec la foi illuminée du paysan, comme l’avènement apocalyptique de la nouvelle terre et des nouveaux cieux. Il ne l’avait pas attendu, d’après le témoignage de Iouri Annenkov (in Journal de mes rencontres, dans lequel il mentionne le premier poème donné ici, qui lui arrache des larmes) pour être un noceur au fort penchant alcoolique. En lui coexistent le lyrisme spontané d’un poète passionnément attaché à la Russie et à la nature de son pays, qu’il chantera sans cesse, et des tendances dépressives, une insatisfaction et une pulsion suicidaire (s’exprimant notamment par un petit attrait pour la pègre) qui s’aggraveront, de mariage raté en union également ratée, au fur et à mesure que se refermera son ciel politique d’adoption. Sans le secours de la religion, désemparé devant « une modernité qui l’étouffe » (N. Struve) et qu’il retrouve en dehors de la Russie – lors de ses voyages en compagnie d’Isadora Duncan – il se réfugie de plus en plus dans l’alcool, jusqu’à son suicide spectaculaire à la fin de l’année 1925. En janvier 1926, Léon Trotski fit paraître dans la Pravda un magnifique article à la mémoire d’Essénine, commençant par : « Nous avons perdu Essénine, poète admirable, d’une telle fraîcheur, d’une telle authenticité » et se concluant ainsi : « Un poète est mort. Vive la poésie ! Un enfant des hommes sans défense s’est précipité dans l’abîme ! Vive la vie de créateur que Sergueï Essénine a contribué à tisser jusqu’au dernier instant avec les fils précieux de la poésie ! »








Le cantique de la chienne



Au matin, dans la réserve au seigle,
Où rutile la toile des sacs alignés,
La chienne a mis bas une portée 
De sept petits chiots roux.


Elle les a caressés jusqu’au soir,
Les peignant et les brossant de sa langue,
Et de la neige fondue
A coulé sous son ventre chaud.


Et le soir, à l’heure où les poules
Siègent sur leur perchoir,
Est ressorti le maître à l’air sombre,
Qui les avait fourrés, tous les sept, dans un sac.


Elle courait dans les congères,
S’efforçant de le suivre.
Et la surface de l’eau non gelée
Longtemps, si longtemps a frémi.


Et à peine était-elle revenue en se traînant,
Léchant la sueur de ses flancs,
Que s’est montré le croissant de la lune,
Tel un de ses chiots au-dessus de la maison.


Elle regardait en l’air, vers les hauteurs bleues,
Avec de sonores geignements,
Mais le mince croissant s’est faufilé
Derrrière la colline, il s’est caché dans les champs.


Et, comme lorsqu’en guise d’aumône
On lui lance, pour rire, une pierre,
La chienne a roulé sourdement des yeux,
Comme des étoiles tombant dans la neige.



(1915)








     Le deuxième poème donné ici est le dernier. Il fut écrit avec le sang du poète, qui s’était coupé les veines avant de se pendre…




Au revoir, ami, au revoir.
Mon cher ami, tu vis dans mon cœur.
Une séparation voulue par le destin
Est la promesse d’une rencontre future.

Au revoir, ami, sans phrase ni geste,
Que l’affliction ne fasse pas trembler tes sourcils –
Si dans cette vie mourir n’a rien de nouveau,
Vivre ne l’est certes pas davantage.

mercredi 23 mai 2018

Le nez (Nicolas Gogol)


     Cette célèbre nouvelle, dont la publication fut refusée en 1835, fut finalement publiée en 1836 dans la revue Le contemporain par Pouchkine, que Gogol avait rencontré cinq ans plus tôt et qui lui avait donné les thèmes du Revizor et surtout, des Àmes mortes.
Elle fait partie des « Nouvelles de Pétersbourg » . Ce Pétersbourg que l’écrivain, né en Ukraine, n’aimait pas, disant de cette ville où « tout est humide, plat, lisse, blême, gris et brumeux » qu’elle est irréelle, transforme les étrangers en Russes et vice-versa, qu’elle fait des hommes des êtres « qui ne ressemblent plus à rien » – citations tirées de l’introduction de G. Nivat, voir plus bas.

     Freud ne pouvait guère passer à côté de cette castration imaginaire, d’autant que son premier acolyte, Fliess, avait insisté tant et plus sur la fonction sexuelle du nez. Mais je n’ai pas trouvé de texte précis à ce sujet, seulement la référence à un psychanalyste soviétique qui aurait rudement traité le cas Gogol : onaniste culpabilisé, « névrotique souffrant d’auto-érotisme anal » … Il est clair que Gogol avait un monde intérieur lourd à porter – Il est surtout autiste, pour B. Goriély, et il est exact qu’il est incapable de donner vie à des personnages ayant une vie intérieure, notamment à des femmes qui soient autre chose que des ectoplasmes  – et s’efforçait de se protéger de ses démons par un recours à la religion de plus en plus envahissant, jusqu’à la crise nerveuse, encore peu élucidée de nos jours, qui l’emportera. En tout cas, le nez est chez Gogol un thème récurrent, obsessionnel : on le rencontre dans la Perspective Nevski (voir la note 1 de la traduction), où il est déjà question de le couper, dans Le journal d’un fou, dans les Âmes mortes et c’est ici le personnage principal. L’auteur était lui-même pourvu d’un appendice nasal volumineux et plongeant…

     Tandis qu’on peut encore rapprocher l’histoire du Marchand de cercueils de Pouchkine (traduite sur ce blog) du conteur allemand ETA Hoffmann, pareil pour le Portrait ou la… Perspective Nevski de Gogol, il n’en est plus de même ici, d’après G. Nivat : « Avec le Nez et le Manteau, le fantastique gogolien s’est considérablement éloigné de Hoffmann, il a envahi tout le réel, le vidant de tout contenu… Mais peut-être ce fantastique gogolien est-il avant tout un vertige verbal, l’appréhension que le monde épais des mots, des locutions et de la quotidienneté, tous ces slogans dont s’enrobe la vie sociale ne soit fissuré profondément et qu’à travers la brèche ne remonte l’informe… » 

     Gogol est un écrivain à la verve étonnante, un satiriste-né, sa langue foisonne, il est le troisième pilier, avec Pouchkine et Lermontov, de la littéraure classique russe, selon l’appréciation de B. Goriély dans son article « Littérature russe » inclus dans l’Histoire des littératures, tome II, dans la Pleiade, sous la direction de R. Queneau – dont un extrait fut reproduit en avant-propos du Portrait, éditions Folio bilingue. Tourguéniev raconte quelque part qu’il connaissait presque par cœur l’œuvre de Gogol… La formule « Nous sommes tous sortis du Manteau de Gogol  » a longtemps été attribuée à Dostoïevski (voire initialement à Tourguéniev), il semble, d’après ce qu’on peut lire à ce sujet, qu’elle soit due en fait à un Français, Vogüé (https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2014-1-page-65.htm#no2), reprise ensuite par Dostoïevski. Le Manteau, c’est une autre nouvelle dont Pétersbourg est le cadre, commencée à peu près en même temps que le Nez, semble-t-il, mais terminée nettement plus tard. 

La nouvelle a donné matière à un opéra de Dmitri Chostakovitch, à des dessins animés et à des films.

Une analyse de l’œuvre de Gogol peut s’écouter ici :


Je me suis appuyé sur la traduction, datant d’une cinquante d’années mais fort savante, de Lucile Nivat, dont la richesse est aussi due à l’introduction de Georges Nivat, aux références bibliographiques russes et à l’appareil de notes – édition Aubier Flammarion bilingue. Le texte russe utilisé est donc celui de cette édition, reproduisant le texte établi en 1938 par l’Académie des sciences de l’URSS, alors que le texte publié un siècle plutôt en Russie avait subi à maintes reprises les ciseaux de la censure.
La traduction est dédiée à Olala, blogueuse sur Mediapart qui m’a confectionné mon deuxième répertoire, celui que j’utilise à l’heure actuelle.






Le nez

(Nicolas Gogol1)





I

     Le 25 mars survint à Pétersbourg un événement extrêmement étrange. Le barbier Ivan Iakovliévitch2, demeurant avenue de l’Ascension (son nom de famille s’est perdu, et même sur son enseigne – où est représenté un monsieur à la joue recouverte de savon, avec l’inscription : « On pratique aussi la saignée » – on ne lit rien de plus), le barbier Ivan Iakovliévitch, donc, se réveilla assez tôt et sentit une odeur de pain tout chaud. Se soulevant un peu sur son lit, il vit son épouse, dame de respectable corpulence qui adorait le café, en train de retirer du four des pains qui venaient de cuire.

     « Aujourd’hui, Prascovia Ossipovna3, je ne prendrai pas de café. » déclara Ivan Iakovliévitch. « À la place, j’ai envie de manger un petit pain avec de l’oignon. » (C’est-à-dire qu’il aurait bien voulu et l’un et l’autre, mais savait absolument impossible de prétendre aux deux : ce genre de caprice ne plaisait pas du tout à Prascovia Ossipovna. ) « Que cet imbécile mange son pain ; c’est tout bénéfice pour moi » pensa l’épouse en son for intérieur : « j’aurai du café en plus. » Et elle jeta un pain sur la table.
     
     Ivan Iakovliévitch passa son habit par-dessus sa chemise de nuit, par décence, et se mit à table, se versa du sel, se prépara deux têtes d’oignon et, l’air important, le couteau en main, commença à couper son pain. Ayant partagé son pain en deux moitiés, il jeta un coup d’œil au milieu du pain et aperçut, à son grand étonnement, quelque chose de blanc. Ivan Iakovliévitch creusa prudemment le pain avec son couteau et tâta avec le  doigt : « C’est solide ? Qu’est-ce que ça pourrait bien être ? » se demanda-t-il. 

     Enfonçant les doigts, il retira… un nez ! Ivan Iakovliévitch en eut les jambes coupées ; se frottant les yeux, il se mit à palper : un nez, tout ce qu’il y a de plus nez ! et même un nez qui ne lui était pas étranger, semblait-il. L’effroi se peignit sur le visage d’ Ivan Iakovliévitch. Mais cet effroi n’était rien en comparaison de l’indignation qui s’empara de son épouse.

     « Où as-tu coupé ce nez, espèce de brute ? »   s’exclama-t-elle avec fureur. « Filou ! Ivrogne ! Je vais te dénoncer moi-même à la police. En voilà un brigand ! J’ai déjà entendu trois personnes dire qu’en les rasant, tu leur tirais le nez si fort que c’était tout juste s’ils le gardaient sur la figure. »
     Pendant ce temps, Ivan Iakovliévitch était plus mort que vif. Il avait reconnu le nez, lequel était tout bonnement celui de l’assesseur de collège4 Kovaliov, qu’il avait l’habitude de raser le mercredi et le dimanche.

     — Minute, Prascovia Ossipovna ! Je vais l’envelopper dans un chiffon et le mettre de côté : qu’il reste là un petit moment, et puis je l’emporterai. 

     — Et puis quoi encore ? Que je laisse un nez coupé rester chez moi ? Espèce de croûton ! Ça sait juste astiquer son coupe-chou sur le cuir à rasoir, bientôt ça ne sera plus du tout en état de faire son devoir5, roulure , bon à rien ! Que je réponde de toi à la police ? Ah, saligaud, lourdaud stupide ! Vire-moi ça ! Emporte-le où tu veux, que je n’en voie plus la couleur !

     Ivan Iakovliévitch était complètement anéanti. Il avait beau se creuser la tête, il ne savait que penser. « Du diable si je sais comment c’est arrivé » , dit-il enfin en se grattant derrière l’oreille. « Suis-je ou non rentré saoul hier, ma foi, je n’en sais rien. Mais tous les indices montrent qu’il y a là quelque chose de pas ordinaire : car un pain, on le fait cuire – mais un nez, jamais. C’est à n’y rien comprendre ! Ivan Iakovliévitch se tut. La pensée que la police allait découvrir chez lui le nez et l’inculper le plongea dans une complète hébétude. Il voyait déjà surgir le col vermeil avec son beau liseré d’argent, l’épée… et il tremblait de tous ses membres. Il finit par récupérer son linge de corps et ses bottes, enfila toutes ces nippes et, escorté par les exhortations peu amènes de Prascovia Ossipovna, enroula le nez dans un chiffon et sortit.

     Il avait l’intention de glisser le nez quelque part : par exemple dans une borne6, près d’un portail, ou encore de le laisser tomber, comme par mégarde, et de tourner dans une ruelle. Mais, pour son malheur, il survenait toujours une connaissance qui s’empressait de lui demander : « où vas-tu donc ? » ou « qui viens-tu raser de si bon matin ? » , si bien 
qu’ Ivan Iakovliévitch ne pouvait trouver le moment favorable. Une fois, le nez se trouvait déjà par terre qu’un factionnaire le lui indiqua du bout de sa hallebarde, en ajoutant : « ramasse ! là, tu as fait tomber quelque chose ! » Et Ivan Iakovliévitch dut ramasser le nez et le faire disparaître dans sa poche. Le désespoir le submergea, d’autant plus que la foule grossissait sans cesse dans le rue, au fur et à mesure qu’ouvraient magasins et boutiques.

     Il décida d’aller vers le pont Saint-Isaac7, pour voir s’il n’y aurait pas moyen de jeter le nez dans la Néva… Mais j’éprouve quelque remords à n’avoir rien dit jusqu’ici à propos d’Ivan Iakovliévitch, homme respectable à maints égards.

     Comme tout artisan russe qui se respecte, Ivan Iakovliévitch était un ivrogne invétéré. De plus, quoiqu’il rasât chaque jour le menton des autres, le sien était en permanence fort mal rasé. L’habit d’Ivan Iakovliévitch (lequel ne portait jamais de redingote) était de couleur pie, c’est-à-dire qu’il était noir, mais tout pommelé de gris et de marron tirant sur le jaune ; son col luisait ; trois fils pendouillaient à l’emplacement des trois boutons. Ivan Iakovliévitch était un grand cynique, et lorsque l’assesseur de collège Kovaliov lui répétait, tandis qu’il le rasait : « Ivan Iakovliévitch, tu as toujours les mains qui puent ! » , Ivan Iakovliévitch lui répondait par cette question : « Comment pourraient-elles bien puer ? » « Je n’en sais rien, mon petit vieux, toujours est-il qu’elles puent. » , disait l’assesseur de collège, et Ivan Iakovliévitch, ayant reniflé une prise de tabac, le lui faisait payer en lui mettant du savon et sur la joue, et sous le nez, et derrière l’oreille, et sous la barbe, bref, il savonnait partout où ça lui chantait.

     Voilà que ce respectable citoyen était arrivé au pont Saint-Isaac. Il commença par regarder à la ronde ; puis il se pencha par-dessus la rambarde comme pour regarder sous le pont si l’on apercevait beaucoup de poissons, et il lança subrepticement le chiffon contenant le nez. Il se sentit comme soulagé d’un poids de dix pouds8 : il eut même un petit rire. Au lieu d’aller raser des mentons de fonctionnaires, il prit la direction d’un établissement sur la devanture duquel se lisait : « Plats chauds et thé » pour y demander un verre de punch ; c’est alors qu’il remarqua brusquement, à l’extrémité du pont, l’officier de police du quartier9, homme de belle apparence, avec ses larges favoris, son tricorne et son épée. Il se figea ; l’officier, pendant ce temps, lui faisait signe du doigt en disant : « Arrive un peu ici, mon ami ! »

     À la vue de l’uniforme, Ivan Iakovliévitch ôta de loin sa casquette puis, une fois promptement accouru, dit : « Je souhaite une bonne santé à Votre Noblesse ! »

     — Pas de Votre Noblesse, l’ami ; dis-moi plutôt ce que tu faisais là-bas, sur le pont.

     — Ma parole, Monsieur, j’allais raser des clients, j’ai seulement regardé s’il y avait beaucoup de courant. 

     — Des bobards ! Tu ne vas pas t’en tirer comme ça. Veux-tu bien me répondre !

     — Je suis prêt à raser Votre Bienveillance deux fois par semaine, voire trois, et sans la moindre objection…

     — Non, l’ami, aucun intérêt ! J’ai déjà trois barbiers, à qui je fais un grand honneur. Daigne donc m’expliquer ce que tu fabriquais là-bas !

     Ivan Iakovliévitch blêmit… Mais l’incident se perd ici dans un brouillard total, ce qui arriva ensuite, on n’en sait absolument rien10.      
  


  1. Je garde le prénom francisé sous lequel cet auteur est connu. Si l’on rajoute le patronyme, en revanche, il est plus correct d’écrire : Nikolaï Vassiliévitch Gogol. Je ferai une exception, voir la note 20 du deuxième chapitre. Plus gênant est le fait que des erreurs de traduction dues à des faux amis aient perduré – bel exemple d’inertie culturelle. Ainsi la prétendue « Perspective Nevski » n’est-elle que l’avenue Nevski….
  2. Nous n’avons ici que le prénom et le patronyme : Ivan, fils de Jacob.
  3. Fille d’Ossip.
  4. Fonctionnaire de rang moyen : https://fr.wikipedia.org/wiki/Table_des_Rangs
  5. Conjugal ? C’est l’interprétation de G. Nivat.
  6. Elles sont creuses, d’après G. Nivat. En tout cas, comme à Paris autrefois, ces bornes protègent les passants et les porches du passage des voitures
  7. Donnant sur l’île Vassilievski.
  8. Le poud pèse un peu plus de seize kilogrammes.
  9. Troisième allusion à une présence policière, visiblement omniprésente à l’époque à Saint-Pétersbourg…
  10. Escamotage du personnage secondaire. Gogol utilise aussi le brouillard – qu’on retrouvera ici à la fin du deuxième chapitre – dans Le manteau, lorsque Akaki Akakiévitch se fait dérober son manteau.





II

     L’assesseur de collège1 Kovaliov se réveilla assez tôt2 et fit « brrr… » avec les lèvres, ce qu’il faisait toujours à son réveil, sans lui-même savoir pourquoi. Kovaliov s’étira, se fit apporter une petite glace posée sur la table. Il voulait examiner un bouton qu’il avait vu sur son nez, la veille au soir ; mais, à sa grande stupéfaction, il aperçut une surface parfaitement lisse à la place de son nez ! Épouvanté, Kovaliov se fit apporter de l’eau et se frotta les yeux avec une serviette : toujours pas de nez ! Il se palpa pour savoir s’il dormait ou non. Non, apparemment. L’assesseur de collège Kovaliov sauta du lit, s’ébroua : point de nez ! Il réclama ses habits et courut directement chez le préfet de police. 

     Mais il est indispensable, par ailleurs, de dire quelque chose au sujet de Kovaliov, afin que le lecteur puisse voir quel genre d’homme était cet assesseur de collège. Les assesseurs de collège qui doivent ce grade à leurs diplômes ne sont en rien comparables à ceux du Caucase3. Ce sont deux races très différentes. Les assesseurs diplômés… Mais la Russie est un pays si étrange que tous les assesseurs de collège, de Riga au Kamtchatka, se sentiront immanquablement concernés par ce que l’on dit d’un seul. Ce qui vaut également, il faut le savoir, pour tous les rangs et grades. Kovaliov était un assesseur de collège caucasien. Il n’avait acquis ce grade que depuis deux ans, ce qui faisait qu’il s’en souvenait à chaque instant ; et, pour se conférer plus de noblesse et davantage d’importance, il ne se désignait jamais lui-même comme assesseur de collège, mais se donnait le titre de major4. « Écoute, ma bonne – disait-il à une vendeuse de plastrons rencontrée dans la rue – viens me voir chez moi ; j’habite rue Sadovaïa5 ; tu n’auras qu’à demander si c’est bien là qu’habite le major Kovaliov – on t’indiquera mon appartement. » Et s’il rencontrait un joli minois, il lui donnait en sus une directive secrète, en ajoutant : « Tu demanderas l’appartement du major Kovaliov, ma mignonne. » En vertu de quoi, nous appellerons par la suite major cet assesseur de collège.

     Le major Kovaliov avait l’habitude de faire une promenade quotidienne sur l’avenue Nevski6. Le col de son plastron était toujours immaculé et fortement empesé. Ses favoris étaient du genre de ceux que portent encore de nos jours les gouverneurs, les arpenteurs de province, les architectes et les médecins militaires, ainsi que les personnes exerçant diverses fonctions de police, bref, en général, tous les hommes présentant des joues pleines et rubicondes et sachant très bien jouer au boston7 : ces favoris descendent jusqu’au milieu de la joue et filent directement sous le nez8. Le major Kovaliov avait sur lui moult cachets en cornaline, les uns avec armoiries, d’autres sur lesquels était gravé : mercredi, jeudi, lundi, etc. Le major Kovaliov était venu à Pétersbourg par nécessité, c’est-à-dire pour y trouver un emploi correspondant à son grade : vice-gouverneur avec de la chance, sinon, chef de service dans un ministère en vue. Le major Kovaliov ne demandait pas mieux que de se marier ; à condition toutefois que la fiancée eût un capital de deux cent mille roubles. Aussi le lecteur peut-il juger lui-même de la situation dans laquelle se retrouva notre major en apercevant, au lieu du nez qu’il avait assez bien fait et de taille raisonnable, un espace lisse et plat, d’une parfaite stupidité.

     Par malheur, aucun fiacre ne se montrait dans la rue, il fut donc obligé d’aller à pied, emmitouflé dans son manteau, un mouchoir sur la figure, affectant de saigner du nez. 
« J’espère bien que tout ceci n’est qu’une illusion : il est impossible que ce nez ait eu la bêtise de s’égarer. » , se dit-il, et il entra dans un salon de thé, rien que pour se regarder dans une glace. Heureusement, il n’y avait personne : des garçons balayaient les salles et installaient les chaises ; d’autres, les yeux ensommeillés, portaient des plateaux avec des petits pâtés brûlants dessus ; des journaux de la veille, maculés de café, jonchaient les tables et les chaises. « Eh bien, Dieu merci, il n’y a personne, dit-il. Profitons-en pour regarder. » Il s’approcha avec appréhension d’une glace et jeta un coup d’œil : « Du diable si je comprends quelque chose à cette saloperie ! » dit-il en crachant. « Si encore, à la place du nez, j’avais quelque chose, mais là, rien ! »

     Se mordant les lèvres de dépit, il quitta le salon de thé et résolut, contrairement à son habitude, de ne regarder personne et de ne faire de sourire à personne. Soudain, il s’arrêta, cloué sur place devant la porte d’une maison ; ses yeux avaient aperçu un spectacle inexplicable : un carrosse s’était arrêté devant l’entrée ; les portières s’ouvrirent ; un monsieur en uniforme en sauta, tête baissée, pour s’élancer dans l’escalier. Quels ne furent pas le stupeur et l’effroi de Kovaliov, quand il se rendit compte qu’il s’agissait de son propre nez ! À ce spectacle inouï, tout se mit à tourner devant ses yeux ; ses jambes se dérobaient ; mais il décida de rester coûte que coûte pour attendre le retour de l’individu, alors qu’il tremblait, comme pris de fièvre. Deux minutes plus tard, en effet, le nez ressortit. Il portait un uniforme chamarré d’or, avec un grand col montant ; des culottes en daim, avec une épée lui battant le flanc. Du plumet de son chapeau, on pouvait  déduire qu’il avait le rang de conseiller d’État9. Tout indiquait qu’il se rendait en visite. Jetant un coup d’œil de chaque côté, il cria au cocher d’avancer le carrosse, y monta et partit.
     Le pauvre Kovaliov faillit en perdre la raison. Il ne voyait pas comment appréhender un événement aussi bizarre. Incroyable, en effet, de retrouver ce nez en uniforme, lui qui, la veille encore, était sur sa figure, incapable aussi bien de marcher que d’aller en voiture ! Il courut après la voiture qui, heureusement, ne partit pas loin et s’arrêta devant la cathédrale de Kazan10.
     Il alla en toute hâte à la cathédrale, se fraya un chemin à travers la rangée de vieilles mendiantes aux têtes couvertes de fichus, avec deux trous en guise d’yeux, dont il se moquait tant et plus, auparavant, et entra dans l’église. Il y avait peu de fidèles à l’intérieur ; ils se tenaient tous à l’entrée, près des portes. Kovaliov éprouvait un tel désarroi qu’il n’était absolument pas en mesure de prier, il cherchait des yeux le monsieur dans tous les coins. Il l’aperçut enfin sur un côté. Le nez se cachait entièrement la figure dans son grand col montant et priait avec une expression de très grande piété.
     « Comment l’aborder ? » réfléchissait Kovaliov. « L’uniforme comme le chapeau, tout montre qu’il est conseiller d’État. Du diable si je sais comment faire ! »
     Il se mit à toussoter à côté de lui ; mais le nez, sans se départir un seul instant de sa pieuse attitude, continuait à s’incliner profondément.
     — Monsieur… dit Kovaliov, rassemblant tout son courage, monsieur…
     — Vous désirez ?  répondit le nez en se tournant vers lui.
     — Monsieur, je ne comprends pas… il me semble… vous devez rester à votre place. Et voilà que vous retrouve, et où cela ? À l’église. Convenez que… 
     — Veuillez m’excuser, je ne saisis pas bien ce dont vous me parlez… Expliquez-vous.

     « Comment lui expliquer ? »  songea Kovaliov et, prenant son courage à deux mains, il commença : « Bien entendu, je… du reste, je suis major. Il n’est pas décent que je me promène sans nez, convenez-en. Une marchande vendant des oranges épluchées sur le pont Vosskressienski11peut rester sans nez ; mais quand on brigue un poste de gouverneur… en étant de plus reçu chez de nombreuses dames : madame Tchekhtariev, épouse d’un conseiller d’État, d’autres encore… Jugez vous-même… je ne sais, monsieur (le major Kovaliov eut alors un haussement d’épaules)… Pardonnez-moi… si l’on considère les faits conformément aux principes du droit et de l’honneur… vous êtes vous-même en mesure de comprendre… »

     — Je ne comprends absolument rien, répondit le nez. Expliquez-vous de façon plus satisfaisante. 

     — Monsieur… dit Kovaliov, plein de dignité, je ne sais comment interpréter vos paroles… L’affaire présente est, me semble-t-il, absolument claire… À moins que vous ne vouliez… Tout de même, vous êtes mon propre nez ! 

     Le nez regarda le major en fronçant légèrement les sourcils.

     — Vous faites erreur, Monsieur. Je m’appartiens. En outre, nous ne saurions être étroitement liés. À en juger par les boutons de votre uniforme, vous devez travailler au Sénat ou, à la rigueur, à la Justice. Je suis, moi, dans l’Instruction publique12.
     Là-dessus, le nez se détourna et se remit à prier.

     En pleine confusion d’idées, Kovaliov ne savait que faire, ni même quoi penser. À ce moment se fit entendre un agréable frou-frou de robe. : une dame d’un certain âge s’avançait, tout en dentelles, accompagnée d’une mince jeune fille portant une robe blanche prenant très bien sa taille fine, ainsi qu’un chapeau de couleur paille léger comme un gâteau. Derrière elles fit halte et ouvrit sa tabatière un grand heiduque13 aux larges favoris, nanti d’une bonne douzaine de cols.

      Kovaliov s’approcha, tira le col de batiste de son plastron, arrangea ses cachets accrochés à une chaînette en or et, souriant à la ronde, accorda son attention à la dame fluette qui, un peu penchée, telle une fleur printanière, portait à son front sa menotte blanche aux doigts diaphanes. Le sourire de Kovaliov s’élargit encore quand le major aperçut, au-dessous du chapeau, un petit menton rond d’une blancheur éclatante et l’ombre d’une joue au teint des premières roses de printemps. Mais soudain, il recula d’un bond, comme sous le coup d’une brûlure. Il venait de se rappeler qu’à la place du nez, il n’avait strictement rien, et des larmes lui jaillirent des yeux. Il se retourna pour dire au monsieur en uniforme qu’il ne faisait que jouer au conseiller d’état, que c’était un coquin et une canaille, et qu’il n’était absolument rien d’autre que son nez à lui… Mais le nez n’était plus là : il avait eu le temps de décamper, galopant sans doute pour rendre visite à quelqu’un d’autrre.

     Cela plongea Kovaliov dans le désespoir. Revenant sur ses pas, il s’arrêta quelques instants sous la colonnade pour regarder de tous côtés, au cas où il apercevrait le nez. Il se souvenait très bien du plumet sur son chapeau et de son uniforme chamarré d’or ; mais il n’avait pas fait attention à son manteau, pas plus qu’à la couleur de son carrosse ou de ses chevaux, il ne savait même pas si un laquais se tenait à l’arrière du carrosse, et dans quelle livrée. En outre, il circulait tant de voitures dans les deux sens, et avec une telle rapidité, qu’il était difficile de remarquer quoi que ce soit ; et s’il avait remarqué l’un de ces détails, il n’avait aucun moyen d’arrêter l’équipage. La journée était belle, ensoleillée.  La Nevski était noire de monde ; depuis le pont Politséiski14 jusqu’au pont Anitchkov, c’était un déversement fleuri de dames sur toute la largeur du trottoir. Là-bas, marche un conseiller aulique de ses relations, auquel il donnait du lieutenant-colonel, surtout devant des tiers. Et là, c’est Iaryjkine, chef de bureau au Sénat, un grand ami à lui qui chutait invariablement, au boston, quand il annonçait huit levées. Et l’autre qui lui fait signe de le rejoindre, c’est encore un major qui a reçu son rang d’assesseur au Caucase…
     « Ah, sapristi ! » fit Kovaliov. « Hep, cocher, chez le préfet de police, d’une traite ! »
     Kovaliov monta dans le drojki15 et ne fit que crier à l’adresse du cocher : « Allez ! plus vite ! »
     — Le préfet est là ?  cria-t-il dans l’antichambre.
     — Nullement, répondit le portier, il vient de partir.
     — Quelle tuile ! 
     — Oui, ajouta le portier, il n’y a pas bien longtemps, mais il est sorti. Il y a une minute, vous l’auriez peut-être trouvé là. 
     Maintenant le mouchoir contre sa figure, Kovaliov remonta dans le drojki et cria avec désespoir :
     — En route ! 
     — Où va-t-on ? fit le cocher.
     — Tout droit.
     — Comment ça, tout droit ? Voilà un tournant : alors, à droite, ou à gauche ?
     Cette question retint Kovaliov, de nouveau obligé de réfléchir. Dans sa situation, il convenait avant tout d’aller au Tribunal des petits délits16, non que l’affaire relevât directement de la police, mais parce cette instance pouvait prendre des mesures bien plus rapidement que d’autres ; il eût en effet été imprudent d’aller demander satisfaction aux chefs du service dont le nez avait déclaré relever, puisque l’on pouvait voir, d’après les propres réponses du nez, qu’il n’y avait rien de sacré pour cet individu et qu’il pouvait tout aussi bien mentir dans ce cas-là que lorsqu’il avait assuré n’avoir jamais rencontré Kovaliov. Kovaliov était donc sur le point d’ordonner au cocher de se rendre au Tribunal des petits délits, lorsque la nouvelle pensée lui vint que cette fripouille, ce filou qui avait montré tant d’impudence lors de leur première rencontre, pouvait fort bien mettre à profit le temps qui passait pour s’esquiver en-dehors de la ville – et alors les recherches seraient vaines ou pourraient durer un mois, ce qu’à Dieu ne plaise. Il faut croire que le Ciel lui vint finalement en aide. Il décida de s’adresser au préalable à la presse et d’y faire paraître un avis circonstancié, indiquant toutes les particularités du nez, afin que toute personne le rencontrant puisse le lui amener séance tenante, ou du moins lui rapporter en quel endroit il se trouvait. Ayant pris cette décision, il se fit amener au service de messagerie, bourrant le cocher de coups de poing dans le dos17 tout le long du chemin, en lui répétant : « plus vite, canaille ! plus vite, fripouille ! » « Eh, monseigneur ! » faisait le cocher en hochant la tête et en cinglant des rênes son cheval, qui avait le poil aussi long que celui d’un bichon. Le drojki finit par s’arrêter et Kovaliov, tout essouflé, surgit dans un petit bureau d’accueil où un employé à cheveux blancs, portant un vieil habit et des bésicles sur le nez, était assis derrière un bureau et, une plume entre les dents, comptait la monnaie de cuivre qu’on venait de lui amener.

     — Qui reçoit les petites annonces, ici ? cria Kovaliov. Ah, bonjour !

     — Je vous salue, dit l’employé aux cheveux gris, levant un instant les yeux pour les ramener ensuite aux tas de pièces devant lui.

     — Je voudrais faire insérer…

     — Permettez. Je vous prie d’attendre un petit moment, articula l’employé en écrivant un chiffre de la main droite, tandis que la gauche déplaçait deux boules sur son boulier18. Un laquais galonné, dont la fière allure annonçait son appartenance à une maison aristocratique et qui se tenait près du bureau, un billet à la main, jugea de bon ton de se montrer sociable : « Le croiriez-vous, monsieur, un toutou qui ne vaut pas quatre-vingts kopecks, en fait, pour moi, il ne vaut pas un clou ; mais la comtesse en est folle – et voilà, cent roubles à qui le retrouvera ! À parler honnêtement, comme nous le faisons vous et moi en ce moment, chacun ses goûts : si l’on est chasseur, on  a un chien couchant ou un barbet ; et il ne faut pas pleurer à la dépense, on peut y aller de cinq cents ou de mille roubles, mais à condition que ce soit un excellent chien. »

     Le respectable employé écoutait cela d’un air intéressé, tout en évaluant la somme à exiger en faisant le compte des lettres du billet. Des deux côtés, un tas de petites vieilles, de commis et de portiers, tous un billet à la main. L’un proposait les services d’un cocher sobre de conduite, un autre une calèche presque neuve, ramenée de Paris en 1814 ; là, on proposait une jeune serve de dix-neuf ans, ayant de l’expérience comme blanchisseuse mais pouvant aussi être employée à d’autres travaux ; un drojki robuste auquel il manquait un ressort, un jeune cheval fougueux, gris pommelé, âgé de dix-sept ans, des semences nouvelles de navets et de radis, en provenance de Londres, une datcha avec toutes ses dépendances : deux stalles pour chevaux, ainsi qu’un emplacement pour y planter une superbe boulaie ou une magnifique sapinière ; là, on invitait les amateurs de vieilles semelles à se présenter à la revente aux enchères, chaque jour de huit heures du matin à trois heures de l’après-midi19. La pièce renfermant tout ce monde était petite, et l’air en était terriblement épaissi ; mais l’assesseur de collège Kovaliov ne pouvait être sensible aux odeurs, puisqu’il tenait son mouchoir sur sa figure, et puisque son nez, en outre, se trouvait Dieu sait où.

     — Monsieur, permettez-moi de vous demander… c’est très urgent, dit-il enfin avec impatience.

     — Tout de suite, à l’instant même ! Deux roubles quarante-trois kopecks ! Je suis à vous dans un instant ! Un rouble soixante-quatre kopecks ! faisait le monsieur à cheveux blancs en jetant leurs billets aux petites vieilles et aux concierges, en pleine figure. « Qu’y a-t-il pour votre service ? » demanda-t-il enfin à l’adresse de Kovaliov.

     — Je voudrais… dit ce dernier. S’agit-il d’une escroquerie ou d’une filouterie, je ne puis jusqu’à présent le démêler. Je voudrais seulement faire savoir que celui qui me ramènera cette fripouille recevra une juste récompense.

     — Puis-je vous demander votre nom ?

     — Mon nom, pourquoi faire ? En aucun cas. J’ai de nombreuses relations : Madame Tchekhtariev, dont le mari est conseiller d’État, Pélagie20 Grigorievna Podtotchine, épouse d’un officier supérieur… Si elles venaient à l’apprendre, Dieu m’en préserve ! Vous n’avez qu'à mettre : assesseur de collège ou, ce sera encore mieux, ayant grade de major.

     — Et c’est l’un des vos serfs domestiques21 qui s’est enfui ?

     — De quel serf domestique parlez-vous ? La friponnerie serait d’ailleurs moins grave ! Non, c’est… mon nez qui a filé.

     — Hum ! voilà bien un nom étrange ! Et ce monsieur Monnez, il vous a volé une grosse somme ?
     — Mon nez, quoi… Vous n’y êtes pas du tout ! Mon nez, mon propre nez a disparu je ne sais  où. Le diable aura voulu me jouer un tour !

     — Mais, disparu de quelle façon ? Quelque chose ne me paraît pas clair.

     — De quelle façon, je suis incapable de vous le dire ; mais le principal, c’est qu’il se promène à présent dans toute la ville en se prétendant conseiller d’État. C’est pour cela que je désire faire passer l’annonce demandant à celui qui mettrait la main dessus de me l’amener immédiatement et au plus vite. Jugez vous-même, en effet,  comment voulez-vous que je me passe de cette partie si visible du corps ? Ce n’est pas comme un petit orteil, une fois ma botte enfilée – personne ne peut savoir s’il est là ou non. Je vais le jeudi aux soirées de la conseillère22 Tchekhtariev ; Pélagie Grigorievna Podtotchine, dont le mari est officier supérieur, et sa ravissante fille, sont aussi au nombre de mes excellentes relations, jugez vous-même de ma situation actuelle… Il m’est impossible de me présenter chez elles à l’heure actuelle.

     L’employé était devenu songeur, ce dont témoignaient le pincement de ses lèvres.

     — Non, je ne peux pas insérer une telle annonce dans les journaux, finit-il par dire après un long silence.

     — Comment ? Pourquoi donc ?

     — Comme ça. Un journal peut ruiner sa réputation. Si chacun se met à écrire que son nez a déguerpi, alors… On dit déjà bien assez que les journaux impriment un tas d’inepties et de fausses rumeurs.

     — En quoi cette affaire est-elle une ineptie ? Il me semble qu’il s’agit de tout autre chose.

     — C’est votre impression. Mais, tenez, un cas semblable s’est présenté la semaine dernière. Un fonctionnaire est arrivé, tout comme vous maintenant, amenant aussi un billet, il en a eu pour 2 roubles et 73 kopecks, et l’annonce disait simplement qu’un barbet au pelage noir s’était enfui. Et alors, me direz-vous ? Seulement c’était un pamphlet : le fameux barbet était le trésorier de je ne sais plus quelle administration.

     — Mais enfin, je ne vous parle pas de barbet, moi, mais de mon propre nez : c’est donc presque comme s’il s’agissait de moi.

     — Non, je ne peux en aucun cas insérer une telle annonce.

     — Mais si, puisque mon nez a bel et bien disparu !

     — S’il a disparu, l’affaire regarde la médecine. D’après ce qu’on dit, il y a des gens capables de vous adjoindre n’importe quel nez. D’ailleurs, je remarque que vous devez être quelqu’un d’humeur enjouée, aimant plaisanter en société.

     — Je vous jure  que c’est aussi vrai que Dieu est saint ! Et puis, soit ! au point où j’en suis, je vais vous faire voir.

     — Pourquoi se mettre en peine ? poursuivit l’employant en aspirant une prise de tabac. Cela dit, si c’est sans dérangement, ajouta-t-il dans un mouvement de curiosité, je jetterais volontiers un coup d’œil.

     L’assesseur de collège ôta son mouchoir.

     — En effet, c’est tout ce qu’il y a de plus étrange ! dit l’employé. L’endroit est absolument lisse, comme un crêpe venant de cuire. La surface est incroyablement plane !

     — Alors, vous allez continuer à discuter, à présent ? Vous constatez vous-même qu’il est impératif de passer cette annonce. Je vous en serai particulièrement reconnaissant, et je suis très heureux que cette histoire m’ait donné le plaisir de faire votre connaissance… Le major, comme on voit, avait pris cette fois le parti de recourir à la basse flatterie.

     — Insérer l’annonce n’est certes pas une bien grosse affaire, dit l’employé. Mais je n’y vois aucun avantage pour vous. Laissez plutôt à une plume adroite le soin de décrire ce qui vous arrive comme un rare phénomène naturel, et confiez ce petit article à L’Abeille du Nord23 (il reprit du tabac), dans l’intérêt de la jeunesse (il s’essuya le nez), ou simplement comme ça, offert à la curiosité de chacun.

     L’assesseur de collège était complètement découragé. Comme il baissait les yeux, son regard tomba sur l’annonce des spectacles ; il eut un début de sourire en voyant le nom d’une actrice bien faite, et sa main se portait déjà à sa poche, à la recherche d’un billet bleu24, car les officiers supérieurs, d’après Kovaliov, se devaient de prendre des fauteuils, mais le souvenir de son nez vint tout gâcher.

     L’employé lui-même paraissait ému de la situation embarrassante dans laquelle se trouvait Kovaliov.  Souhaitant atténuer un peu son chagrin, il estima correct de lui exprimer en quelques mots sa sympathie : « Vraiment, je regrette au plus haut point l’histoire qui vous arrive. Vous plairaît-il de priser un peu de tabac ? Cela élimine les maux de têtes et la mélancolie ; c’est même bénéfique, rapport aux hémorroïdes25. » En disant ces mots, l’employé présenta sa tabatière à Kovaliov après avoir fait glisser assez habilement par dessous son couvercle orné du portrait d’une dame en chapeau.

     Ce geste spontané fit sortir Kovaliov de ses gonds. « Je ne saisis pas où vous trouvez matière à plaisanter » dit-il avec humeur : « vous ne voyez donc pas qu’il me manque justement ce qu’il me faudrait pour priser ? Au diable votre tabac ! Sa seule vue m’incommode, et pas seulement votre sale Bérézino, ce serait la même chose avec le meilleur tabac râpé. » Là-dessus, il sortit du bureau, profondément irrité, et se rendit chez le commissaire de police de l’arrondissement, homme extrêmement porté sur le sucre. Dans cette maison, tout le vestibule, qui faisait aussi office de salle à manger, s’ornait de rangées de pains de sucre, amenés là par les marchands en signe d’amitié. Pour l’heure, la cuisinière était en train de retirer au commissaire ses bottes d’uniforme ; son épée et toutes les pièces de sa panoplie militaire étaient déjà accrochées pacifiquement dans les coins et son fils âgé de trois ans effleurait déjà son redoutable tricorne ; quant à lui, après une vie de guerre et de jurons guerriers, il s’apprêtait à goûter les douceurs du temps de paix27.

     Kovaliov entra au moment où, s’étirant, gloussant, le commissaire déclarait : « Eh, je m’en vais dormir deux petites heures ! » On pouvait donc prévoir que l’assesseur de collège arrivait vraiment au mauvais moment. Quand bien même il eût apporté avec lui quelques livres de thé ou un bout de tissu, je me demande si on l’eût accueilli moins froidement. Le commissaire était un ardent soutien des arts et des manufactures ; mais il aimait par dessus tout les billets sortant de la banque d’État. « C’est quelque chose » avait-il coutume de dire, « on n’a rien trouvé de mieux que cette chose-là : ça ne mange pas de pain, ça prend peu de place, une poche lui suffit, et quand ça tombe, ça ne casse pas. »

     Le commissaire reçut Kovaliov avec une certaine sécheresse et déclara qu’après le déjeuner n’était pas le bon moment pour effectuer une enquête, que la nature elle-même prescrivait, après s’être rassasié, de faire un petit somme (l’assesseur de collège put ainsi se rendre compte que le commissaire n’ignorait pas les maximes des sages de l’Antiquité), qu’une personne correcte ne se faisait pas arracher le nez et que toutes sortes de majors se rencontraient, au linge de corps assez douteux et traînant dans toutes sortes de lieux mal famés.

     Le coup était bien porté ! Kovaliov, il faut le savoir, était extrêmement susceptible. Il pouvait oublier ce qu’on disait de lui, sauf si l’on s’en prenait à son rang et à son grade, là, il ne pardonnait jamais. Il acceptait même que la censure laissât passer, au théâtre, ce qui visait les officiers subalternes, mais il n’était pas question de toucher aux officiers supérieurs. L’accueil du commissaire lui fit perdre contenance, à tel point que, secouant la tête, il déclara dignement : « J’avoue qu’après des remarques aussi blessantes de votre part, j’en resterai là… » et il sortit.

         Il rentra chez lui dans un grand état de fatigue. C’était déjà le crépuscule. Après toutes ces recherches infructueuses, son appartement lui parut triste, et même affreux. Parvenu dans le vestibule, il trouva sur le canapé de cuir couvert de taches son domestique Ivan, allongé sur le dos, occupé à cracher au plafond, visant avec un certain succès toujours le même endroit28. Une telle indifférence universelle mit Kovaliov en fureur ; il lui donna un coup de chapeau sur le front en lui disant : « Tu passes ton temps à des stupidités, espèce de porc ! »

     Ivan bondit et se précipita pour le débarrasser de son manteau.

     Une fois dans sa chambre, le major, triste et las, s’écroula dans un fauteuil, soupira à plusieurs reprises et finit par dire :

     « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi une telle infortune ? S’il me manquait un bras ou une jambe, je serais en meilleure posture ; être privé de mes oreilles serait moche, mais tout de même plus supportable ; mais un homme sans nez, le diable seul sait ce que c’est : un oiseau qui n’en est pas un, un citoyen sans citoyenneté ; une chose  tout juste bonne à attraper pour la flanquer par la fenêtre !  Et si encore je m’étais fait trancher le nez à la guerre, voire dans un  duel, ou que j’y sois pour quelque chose ; mais c’est qu’il a disparu sans raison, pour des prunes ! Mais non, cela ne peut pas être », ajouta-t-il après avoir réfléchi quelques instants. « C’est invraisemblable, qu’un nez se volatilise ; ça n’a aucune espèce de vraisemblance. Je dois plutôt rêver, ou m’imaginer la chose ; j’aurai bu par mégarde, non pas de l’eau, mais de cette vodka dont je m’humecte la peau après le rasage. Cet imbécile d’Ivan a dû l’oublier et moi, je l’ai attrapée. » Pour s’assurer qu’il n’était pas en état d’ébriété, le major se pinça si fortement qu’il poussa un cri. La douleur le convainquit que tout cela n’était pas un rêve. Il s’approcha en catimini du miroir et ferma un peu les paupières au début, avec l’arrière-pensée que, peut-être, le nez se montrerait à sa place ; mais il fit aussitôt un bond en arrière en disant : « En voilà une caricature ! »   

     C’était tout bonnement incompréhensible. Un bouton, une cuillère en argent, une montre… mais qu’il se soit volatilisé, et dans son propre appartement ! Passant en revue les événements circonstanciés, le major Kovaliov en venait à penser que, selon toute vraisemblance, la responsabilité de tout cela en revenait à nul autre que Madame Podtotchine, qui souhaitait le voir épouser sa fille. Lui faire un brin de cour ne lui déplaisait pas, mais il fuyait tout engagement définitif. Lorsque Madame Podtotchine lui avait carrément déclaré qu’elle avait l’intention de lui donner sa fille, il avait tout doucement pris le large en présentant ses compliments, disant qu’il était encore trop jeune, qu’il lui restait encore cinq années de service pour atteindre l’âge de quarante-deux ans. Ainsi l’épouse de l’officier supérieur, sans doute pour se venger, avait-elle résolu de l’abîmer et avait-elle payé pour cela des sorcières, puisqu’il était exclu de penser qu’on lui avait coupé le nez : il n’avait reçu personne dans sa chambre ; le barbier Ivan Iakovliévitch l’avait encore rasé le mercredi, et son nez était resté entier tout le restant de la journée, il était même entier le jeudi – il s’en souvenait parfaitement ; de plus, il aurait ressenti une douleur et la blessure n’aurait certainement pas pu cicatriser si vite, au point de devenir aussi lisse qu’une crêpe. Il en était à bâtir des plans : allait-il poursuivre en justice Madame Podtotchine, ou viendrait-il en personne la confondre ? Ses réflexions furent interrompues par une lumière qui filtra par toutes les fentes de la porte, indiquant qu’Ivan avait déjà allumé la chandelle dans le vestibule. La tenant devant lui, Ivan fit peu après son apparition, illuminant toute la pièce. Le premier mouvement de Kovaliov fut pour attraper son mouchoir et l’appliquer là où, hier encore, se trouvait son nez, afin que ce crétin n’aille pas rester bouche bée devant ’étrange spectacle offert par son maître. 

     Ivan n’avait pas eu le temps de regagner son réduit, qu’une voix inconnue résonna dans le vestibule, demandant : « Est-ce bien ici qu’habite l’assesseur de collège Kovaliov ? »

     — Entrez. Le major Kovaliov est ici, dit Kovaliov en se relevant d’un bond pour ouvrir sa porte.

     Fit son entrée un fonctionnaire de police de belle apparence, portant des favoris ni trop clairs, ni trop sombres, aux joues assez pleines, celui-là même qui, au début de ce récit, se tenait au bout du pont Saint-Isaac.

     — C’est vous qui avez perdu votre nez ?

     — Exactement.

     — On l’a retrouvé.

     — Qu’est-ce que vous dites ? s’écria le major Kovaliov. La joie lui fit perdre sa langue. Il regardait de tous ses yeux l’officier de police debout devant lui, dont la lueur vacillante de la chandelle éclairait fugitivement les lèvres et les joues pleines. — De quelle façon ?

     — Par un étrange hasard : on l’a arrêté presque en route. Il était déjà dans la diligence et voulait gagner Riga. Et il avait un passeport de fonctionnaire, déjà ancien. Et moi, curieusement, je l’ai d’abord pris pour un monsieur. Mais heureusement, j’avais mes lunettes, et j’ai tout de suite identifié un nez. Vous comprenez, je suis myope, et si vous vous tenez devant moi, je verrai seulement que vous avez un visage, sans distinguer ni le nez, ni la barbe, ni quoi que ce soit. C’est pareil avec ma belle-mère, je veux dire la mère de ma femme, elle n’y voit goutte.

     Kovaliov ne tenait plus en place :

     — Mais où est-il ? Où ? J’y cours à l’instant. 

     — N’ayez pas d’inquiétude. Sachant que vous en aviez besoin, je l’ai amené avec moi. Et, bizarrement, celui qui a le plus trempé dans l’affaire, c’est ce filou de barbier de la rue de l’Ascension, qui est derrière les verrous, à l’heure actuelle. Il m’était suspect depuis longtemps, je flairais l’ivrognerie et le vol, et pas plus tard qu’avant-hier, il a encore volé unne douzaine de boutons dans une boutique. Votre nez est resté rigoureusement le même. Là-dessus, le policier mit la main dans sa poche et en retira le nez enveloppé dans un bout de papier.

     — C’est lui, c’est bien lui ! s’écria Kovaliov. Acceptez de boire une petite tasse de thé avec moi.

     — C’eût été avec grand plaisir, mais c’est impossible : je dois passer à la maison d’arrêt… Le coût de la vie a considérablement augmenté… J’ai chez moi ma belle-mère, je veux dire la mère de ma femme, en plus de mes enfants ; l’aîné nous donne de grands espoirs : c’est un petit gars très intelligent, mais les moyens pour son éducation font totalement défaut.

     Kovaliov comprit et, ramassant sur la table un billet rouge29, le fourra dans la main du policier qui claqua des talons et sortit, et Kovaliov l’entendit aussitôt qui, au-dehors, appuyant son discours d’un coup de poing dans les dents, exhortait un crétin de moujik à dégager le boulevard qu’il encombrait avec sa charrette.
     Après le départ du policier, l’assesseur de collège demeura quelques minutes dans un état assez indéfinissable, retrouvant à peine sa faculté de voir et de sentir au bout de ces quelques minutes : tant la joie l’avait plongé dans une demi-inconscience. En le ménageant, il prit dans ses deux mains réunies le nez retrouvé, et l’examina une fois encore sous toutes les coutures. 
     « C’est bien lui, c’est vraiment lui ! » fit le major Kovaliov. « Et voici le bouton qui avait surgi hier sur le côté gauche. » Le major fut bien près de rire gaiement. 
     Mais rien ne dure, en ce monde, et la gaieté d’une minute a vite fait de s’atténuer la minute suivante, avant de s’estomper encore un peu la minute d’après, pour se fondre insensiblement dans le cours ordinaire de notre âme, comme un plan d’eau finit par absorber la ride circulaire née de la chute d’une pierre. Kovaliov se mit à réfléchir, et comprit qu’il n’était pas encore tiré d’affaire : le nez était retrouvé, encore fallait-il le remettre en bonne et due place.
     « Et s’il venait à ne pas tenir ? »
     En se posant lui-même cette question, le major blêmit. 
     Mû par une angoisse indescriptible, il se rua vers la table et approcha le miroir pour éviter de remettre le nez de travers. Ses mains tremblaient. Avec prudence et circonspection, il l’appliqua à son ancienne place. Oh, quelle horreur ! Le nez n’adhérait pas ! Il l’approcha de sa bouche, souffla légérement dessus pour le réchauffer et le ramena sur l’espace lisse entre ses joues ; mais le nez refusait de tenir.

     « Allons ! Reprends donc ta place, triple buse ! » lui disait-il. Mais le nez avait l’air d’être en bois et retombait sur la table avec un bruit étrange, comme si c’était un bouchon. La figure du major se crispa convulsivement. « Alors, il ne va pas tenir ? » se dit-il, épouvanté. Il eut beau multiplier les tentatives pour faire réintégrer son emplacement au nez, elles demeurèrent aussi infructueuses que les précédentes.

     Il appela Ivan et l’envoya chercher le docteur qui habitait le meilleur appartement de la maison, à l’entresol. Ce docteur, bel homme, possédait de magnifiques favoris noirs comme le goudron, une fraîche et robuste épouse, mangeait le matin des pommes crues et gardait sa bouche dans un extraordinaire état de propreté en se lavant les dents près de trois quarts d’heures tous les matins, en usant pour cela de cinq brosses de type différent30. Le docteur se montra aussitôt. Après avoir demandé à Kovaliov à quand remontait son infortune, il lui attrapa le menton et lui décocha du pouce, à l’endroit précis qu’occupait naguère son nez, une pichenette qui contraignit le major à reculer sa tête si vivement que sa nuque vint heurter le mur. Le médecin déclara que ce n’était rien et, lui ayant recommandé de s’écarter un peu du mur, lui fit plier la tête d’abord à droite, tâta l’ancien emplacement du nez, émit un « hum ! » . Il lui fit ensuite plier la tête du côté gauche, fit « hum ! » et conclut en lui envoyant une nouvelle pichenette avec le pouce, si bien que le major Kovaliov tira brusquement la tête comme un cheval dont on examine les dents. À la suite de cet essai, le praticien secoua la tête et déclara : « Rien à faire. Vous feriez mieux de vous en tenir là, car on peut aggraver les choses. On peut certes fixer le nez ; je vous le ferais bien tout de suite ; mais croyez-moi, vous n’en tirerez aucun bénéfice. »

     — Elle est bonne, celle-là ! Comment pourrais-je rester sans nez ? s’écria Kovaliov. Vraiment, pire que maintenant, c’est impossible. Le diable seul peut s’y retrouver ! Où puis-je aller montrer cette odieuse caricature ? J’ai de bonnes relations : je dois par exemple aujourd’hui aller à deux soirées. Je connais bien du monde : la conseillère d’État Tchekhtariev, Madame Podtotchine, dont le mari est officier supérieur… quoique, en raison de ses agissements actuels, je n’aie plus d’autre relation avec elle qu’à travers la police. Faites-moi une grâce, prononça Kovaliov d’une voix suppliante, n’y aurait-il pas quelque moyen ? Ajustez-le d’une façon ou d’une autre, tant bien que mal, pourvu qu’il tienne ; je peux même le soutenir légèrement de la main en cas de danger. Du reste, je ne danse pas, ce qui pourrait lui être nuisible à cause d’un mouvement inconsidéré. Vous pouvez le croire, je saurai exprimer ma gratitude pour vos visites autant que mes moyens me le permettront…

     — Vous savez, dit le docteur sens élever ni baisser le ton, d’une voix extrêmement caressante et pleine de magnétisme, je ne soigne jamais pour en retirer un profit. Cela est contraire à mes principes et s’oppose à mon art. J’accepte bien d’être rétribué pour mes visites, mais seulement pour ne vexer personne par mon refus. Je vous remettrais bien votre nez, évidemment, mais je vous déclare sur l’honneur, si vous ne vous contentez pas de ma simple parole, que ça sera bien pire. Il vaut mieux que vous laissiez faire la nature. Lavez souvent la zone à l’eau froide, et je vous assure que vous vous porterez aussi bien sans nez qu’avec. Quant au nez, je vous conseille de le tenir dans un bocal plein d’alcool ou, mieux encore, d’y verser deux cuillerées à soupe d’eau-forte et de vinaigre tiédi – et là, vous pourrez en retirer une coquette somme. Je peux moi-même me porter acquéreur, si toutefois vous n’en demandez pas trop cher.
     — Non, non ! Je ne le vendrai pour rien au monde ! s’écria avec désespoir le major Kovaliov. Qu’il disparaisse, plutôt !
     « Excusez-moi, fit le docteur en prenant congé, je voulais vous rendre service… Mais que faire ? Vous avez au moins pu constater mon zèle. » Sur ce, le docteur à la belle prestance quitta la pièce. Kovaliov n’avait même pas fait attention à son visage et, dans sa profonde indifférence, n’avait remarqué que les manchettes de sa chemise, d’une blancheur immaculée, émergeant des manches de son habit noir.
     Le lendemain, il décida, avant de porter plainte, d’écrire à la femme de l’officier supérieur, afin de voir si elle serait d’accord pour lui rendre, sans procès, ce qui lui revenait de droit. La lettre était ainsi rédigée :

     Madame,
          Alexandra Grigorievna !
     Je ne puis comprendre l’étrange comportement qui est le vôtre. Vous pouvez tenir pour certain qu’en agissant de la sorte, vous n’obtiendrez rien et ne me contraindrez aucunement à épouser votre fille. Croyez bien que je sais parfaitement à quoi m’en tenir quant à l’histoire relative à mon nez, et quant à votre responsabilité là-dedans, à vous et à personne d’autre. Son retrait subit, sa fuite et son déguisement, revêtant d’abord l’aspect d’un fonctionnaire avant de reprendre sa propre apparence, tout cela n’est que l’effet de manœuvres de sorcellerie pratiquées par vous-même ou par celles qui s’adonnent au même genre d’occupations que vous31. Je crois de mon devoir de vous avertir que si le nez susmentionné n’a pas regagné aujourd’hui sa place, je serai dans l’obligation de recourir à l’assistance et  à la protection de la loi.
     J’ai l’honneur d’être, au demeurant, et avec un respect total à votre endroit,
                                                                                      Votre humble serviteur
                                                                                      Platon Kovaliov.


     Monsieur,
          Platon Kouzmitch !
     Votre lettre m’a extrêmement étonnée. Je ne m’y attendais nullement, je vous l’avoue en toute franchise, encore moins aux reproches injustes que vous me faites. Je vous informe que je n’ai jamais reçu chez moi le fonctionnaire que vous mentionnez, ni déguisé, ni sous son véritable aspect. Il est exact que Philippe Ivanovitch Potantchikov a fréquenté ma maison. Et il est vrai qu’il cherchait à obtenir la main de ma fille mais, quoiqu’il fût lui-même bien de sa personne, sobre et fort érudit, je ne lui ai jamais donné le moindre espoir. Vous parlez également d’un nez. Si vous sous-entendez par là que j’ai voulu vous voir rester Gros-Jean comme devant32, c’est-à-dire vous opposer un refus clair et net : je suis surprise que vous abordiez vous-même le sujet, puisque j’étais, comme vous le savez, dans de tout autres dispositions, et si vous me demandez maintenant ma fille en mariage, je suis prête à vous donner satisfaction sur l’heure, car ce fut toujours mon vœu le plus cher, et je reste, dans cet espoir, votre dévouée
                                                                                      Alexandra Podtotchine

     « Non » , dit Kovaliov à la lecture de cette lettre. « Elle n’y est pour rien. C’est impossible ! Une criminelle ne saurait écrire une telle lettre. » L’assesseur de collège était expert en la matière, parce que, du temps où il servait au Caucase, on l’avait envoyé à plusieurs reprises enquêter. « De quelle façon, par quel coup du sort tout cela est-il arrivé ? Seul le diable peut le démêler ! » dit-il enfin, découragé.
     Pendant ce temps, la rumeur de cet événement extraordinaire s’était répandue dans toute la capitale, non sans les additifs de rigueur. À cette époque, tous les esprits étaient tournés vers le prodigieux : des expériences de magnétisme venaient de retenir l’attention de la ville entière. En outre, l’histoire des chaises tournantes de la rue des Écuries était encore toute fraîche ; rien d’étonnant, donc, à ce qu’il fût bientôt dit que le nez de l’assesseur de collège Kovaliov faisait ponctuellement sa promenade sur l’avenue Nevski à trois heures chaque après-midi. Il y avait tous les jours une grande affluence de curieux. On signala la présence du nez au magasin Junker : il se fit un tel attroupement à proximité, la presse fut telle que la police dut même intervenir. Un spéculateur d’apparence correcte, portant favoris, qui vendait des gâteaux à l’entrée d’un théâtre, fabriqua spécialement de solides bancs de bois, invitant les curieux à s’y tenir moyennant 80 kopecks par personne. Un honorable colonel sortit tout exprès de chez lui et se fraya difficilement un chemin à travers la foule ; mais, à sa grande indignation, il aperçut seulement dans la vitrine du magasin, au lieu du nez, l’habituel chandail de laine et l’habituelle lithographie représentant une jeune fille rajustant son bas ainsi qu’un gandin à petite barbiche et à gilet à col renversé, en train de l’épier derrière un arbre – gravure accrochée là depuis une bonne dizaine d’années. En s’éloignant, il exprima son dépit : « Comment peut-on troubler l’ordre public avec de tels ragots stupides et invraisemblables ? » Le bruit courut ensuite que le nez du major Kovaliov faisait sa promenade, non pas avenue Nevski, mais au jardin de Tauride, et ce depuis longtemps ; qu’encore lorsque Khosriev-Mirza33 y résidait, cette extravagance de la nature avait causé son étonnement.Des étudiants de l’Académie de chirurgie s’y rendirent. Une grande dame jouissant de la considération générale écrivit tout spécialement au directeur du jardin pour lui demander de montrer aux enfants ce rare phénomène, en assortissant autant que possible la visite de considérations édifiantes destinées à la jeunesse.
     Tous ces événements divertissaient au plus haut point tous les mondains, les inévitables coureurs de raouts fort désireux d’amuser les dames, et dont la réserve d’anecdotes se trouvait épuisée en ce temps-là. Une minorité de gens bien-pensants épris de respectabilité était extrêmement mécontente. Un monsieur déclara avec indignation ne pas comprendre que puissent se répandre, à l’époque éclairée qui était la nôtre, d’ineptes fictions, et s’étonna de l’indifférence du gouvernement. Le monsieur en question, visiblement, était de ceux qui auraient souhaité impliquer le gouvernement en toutes choses, y compris dans leurs scènes de ménage quotidiennes. Là-dessus… mais voici que le brouillard, de nouveau, vient tout dissimuler, et ce qui advint ensuite reste un mystère.

               
     


  1. Voir la note 4 du premier chapitre.
  2. Comme le barbier au premier chapitre. Peut-être rêvent-ils tous les deux, comme le marchand de cercueils de Pouchkine, quelques années plus tôt. G. Nivat signale que dans la première version de la nouvelle, Kovaliov se réveillait pour de bon, à la fin…
  3. Note de G. Nivat : situation coloniale. Les promotions sont plus rapides au Caucase, en raison de l’éloignement et du danger.
  4. Grade militaire (notre homme est un civil) correspondant au huitième rang, lequel est aussi celui des assesseurs de collège…
  5. Rue du jardin : elle longeait déjà des parcs.
  6. Encore connue à tort comme étant « La perspective Nevski » . C’est le titre d’une autre des Nouvelles pétersbourgeoises. C’est la grande rue commerçante et mondaine au XIXe siècle, d’après G. Nivat.
  7. Ancien jeu de cartes répandu en Russie, supplanté ensuite par le wint, du temps de Tchékhov. http://www.lebridge.info/boston.html
  8. Le système pileux – détaillé dans la Perspective Newski – est une marque d’autorité.
  9. Le nez a fait une belle carrière, car le voilà au cinquième rang de la Table, alors que le sans-nez n’est qu’au huitième rang…
  10. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cath%C3%A9drale_Notre-Dame-de-Kazan_de_Saint-P%C3%A9tersbourg
  11. Pont de la Résurrection, premier pont de pierre, avec plein d’échoppes et de boutiques dessus et autour. De nos jours, site de fouilles et d’expositions archéologiques.
  12. G. Nivat rappelle que chaque administration se signalait par un uniforme spécifique. Par ailleurs, on sait que Gogol fut un temps chargé de cours d’histoire à l’Université, où il ne fit pas long feu.
  13. Domestique en livrée à la hongroise.
  14. Pont de la Police. Curieusement, Gogol baptise « Anitchkine » le pont suivant, à l’extrémité de l’avenue Nevski…
  15. Voiture ouverte à quatre roues, assez primitive.
  16. Juridiction ressemblant au juge de paix, mais tenue par la police (note de G. Nivat)
  17. Vieille habitude russe de l’époque, d’après G. Nivat.
  18. La comptabilité sur boulier perdura même en URSS…
  19. Capharnaüm d’un comique grinçant, faisant penser à la réflexion qu’aurait eue Pouchkine alors que Gogol lui lisait le début des Âmes mortes : « Qu’elle est triste, notre Russie ! »
  20. Je francise pour éviter Palaguiéia…
  21. Comme pour la petite blanchisseuse de dix-neuf ans : rappelons que nous sommes en 1835, et que le servage sera (officiellement) aboli en 1861…
  22. Comme on disait la marquise…
  23. Journal tenu en sous-main par les autorités, hostile à Pouchkine.
  24. Billet de cinq roubles.
  25. Les bienfaits du tabac… Gogol manque rarement une occasion de parler d’hémorroïdes.
  26. G. Nivat signale l’importance du tabac chez Gogol : ne plus pouvoir priser est, pour Kovaliov, une perte de statut social.
  27. Passage burlesque, censuré à l’époque à cause du sucre et de la concussion détaillée plus bas (note de G. Nivat).
  28. Moins d’un quart de siècle plus tard, Oblomov reprendra la position, trop bien élevé – ou trop las ? – pour cracher…
  29. Billet de dix roubles.
  30. Avec ses tics, ce médecins entre dans la catégorie des « automates gogoliens » , suivant l’heureuse expression de G. Nivat.
  31. G. Nivat signale que magnétisme et spiritisme sont à la mode en Russie à l’époque.
  32. En russe : « Rester avec son nez »
  33. Prince perse envoyé à Saint-Pétersbourg présenter au tsar Nicolas les excuses du Shah après le massacre de Griboïedov à Téhéran en 1829.





III

    Notre monde est complètement aberrant. On voit les choses les plus invraisemblables :  ce même nez qui avait causé tant de tapage en courant la ville avec son rang de conseiller d’État se retrouva, comme si de rien n’était à sa place initiale, c’est-à-dire entre les deux joues du major Kovaliov. Cela se passa alors qu’on était déjà le 7 avril. Ayant par hasard jeté, à son réveil, un coup d’œil à son miroir, il y vit… son nez ! L’empoignant… c’était bien son nez ! « Ça alors ! » fit Kovaliov qui, de joie, faillit bien se mettre à danser pieds nus dans sa chambre, mais Ivan, en se montrant, l’en empêcha. Il lui ordonna aussitôt de lui amener de quoi se laver et, tout en faisant sa toilette, jeta encore un coup d’œil au miroir : le nez était là. En s’essuyant avec sa serviette, il regarda une fois de plus : toujours là !

     — Ivan, viens voir, j’ai l’impression d’avoir un bouton sur le nez, dit-il en se disant : « Quel malheur ce sera, s’il me répond : mais non, monsieur, je ne vois pas de bouton, d’ailleurs je ne vois pas de nez du tout ! »

     Mais Ivan répondit : « Non, il n’y a aucun bouton, monsieur : le nez est impeccable ! »
     « Bon sang, quel soulagement ! » se dit le major qui claqua des doigts. Au même moment, se montra sur le seuil le barbier Ivan Iakovliévitch ; mais il le fit craintivement, comme un chat qui a reçu le fouet pour avoir dérobé du lard.

     — Dis-moi d’abord : tu as les mains propres ? lui cria encore de loin Kovaliov.
     — Tout à fait. 
     — Tu racontes des histoires !
     — Ma parole, monsieur.
     — Ça va, mais prends garde.

     Kovaliov s’assit. Ivan Iakovliévitch le recouvrit d’une serviette et en un tournemain, avec son blaireau, il métamorphosa la barbe et, en partie, les joues du major en une crème semblable à celle que l’on sert lors des repas de fêtes chez les marchands. « Te voilà donc ! » se dit Ivan Iakovliévitch en regardant le nez puis, penchant la tête de l’autre côté, il le regarda de profil : « Voilà ! Décidément, c’est comme on veut » continua t-il, et il resta longtemps à contempler le nez. Enfin, tout doucement, avec toutes les précautions imaginables, il leva deux doigts pour l’attraper par son extrémité. C’était en effet la méthode d’ Ivan Iakovliévitch.

     — Ho là, ho là, doucement ! s’écria Kovaliov. Du coup, Ivan Iakovliévitch baissa les bras, tout effaré, désemparé comme cela ne lui était jamais arrivé.  À la fin, il se mit à chatouiller prudemment de son rasoir le menton du major et, bien que cela lui fût fort malcommode et compliqué de raser sans tenir l’appendice nasal du client, il réussit tout de même, en appuyant tant bien que mal son pouce rugueux contre la joue et la gencive inférieure du major, à surmonter enfin tous les obstacles, et il procéda au rasage.

     Lorsque tout fut prêt, Kovaliov se hâta de s’habiller, prit un fiacre et partit directement au salon de thé. Il y entra en criant : « Garçon, un chocolat ! » et se dirigea sans tarder vers la glace : le nez était là. Il revint joyeusement sur ses pas et observa d’un air railleur, en plissant un peu les paupières, deux militaires dont l’un avait le nez pas plus gros qu’un bouton de gilet. Après quoi, il se rendit au secrétariat du ministère où il briguait un poste de vice-gouverneur ou sinon, de chef de service. En traversant l’antichambre, il jeta un coup d’œil à une glace : le nez était là. Puis il se fit conduire chez un autre assesseur de collège ou major, homme très caustique à qui il disait souvent, en réponse aux piques acides de l’autre : « Ah, toi, le cactus, on te connaît ! » En chemin, il se dit : « Si le major ne se tord pas de rire en me voyant, alors ce sera le signe indubitable que tout est rentré dans l’ordre. » Mais l’assesseur de collège n’eut aucune réaction. « Voilà une bonne chose, sapristi ! » pensa Kovaliov. En chemin, il croisa madame Podtotchine et sa fille ; il les salua et fut salué en retour avec de joyeuses exclamations, tout était donc normal, il n’avait pas subi de perte. Il bavarda un long moment avec ces dames et, sortant à dessein sa tabatière, bourra très longuement devant elles les deux entrées de son nez, en se disant in petto : « Qu’en dites-vous, mes poulettes ? Pourtant, je n’épouserai pas la fille. Mais, juste par amour1 soit ! » Et dès lors, le major Kovaliov se promena comme si de rien n’était, il se montra avenue Nevski, alla au théâtre et un peu partout. Et le nez aussi, comme si de rien n’était, siégeait à sa place sur sa figure, l’air de ne s’être jamais baguenaudé de son côté. Et dès lors, on vit toujours le major Kavaliov de bonne humeur, souriant, pourchassant toutes les jolies dames et même un jour; arrêté devant une boutique de la Galerie marchande, achetant un petit ruban sans qu’on en sût la raison, puisqu’il n’était chevalier d’aucun ordre2.
     Voilà donc l’événement survenu dans la capitale septentrionale de notre vaste État ! La réflexion nous fait y voir à présent bien des invraisemblances. Sans même mentionner le caractère étrangement surnaturel de cette sécession d’un nez qui se met  à apparaître dans divers endroits sous les traits d’un conseiller d’État – comment se fait-il que Kovaliov n’ait pas compris qu’il n’était pas possible de parler de son nez dans une petite annonce ? Je ne veux pas dire par là que je trouverais cela cher, de payer pour une telle annonce : ce sont des bêtises et je n’ai nullement l’amour de l’argent. Mais c’est indécent, c’est malséant, c’est mal ! Et puis encore ceci – comment le nez a-t-il pu se retrouver dans le pain défourné, et comment Ivan Iakovliévitch… ? Non, décidément, je ne peux pas l’envisager, d’aucune façon ! Mais le plus étrange, le plus incompréhensible, c’est que des auteurs puissent traiter de sujets pareils3. Je l’avoue, c’est totalement inconcevable, c’est comme si…  Non, non, je ne puis le concevoir. Premièrement, la patrie ne peut en retirer aucun profit ; deuxièmement… non, ce n’est toujours d’aucun profit. Je ne sais tout simplement pas ce que c’est…

     Et pourtant, en dépit de tout cela, même si, bien entendu, on peut admettre ceci, ou cela, voire encore autre chose… dites-moi où l’on ne rencontre jamais de choses absurdes – oui, tout de même, en y réfléchissant un peu, il y a quelque chose de réel dans tout cela. On a beau dire, de pareils événements ont lieu en ce bas monde ; ils sont rares, mais il y en a.






  1. en français dans le texte.
  2. Je résume la note de G. Nivat : son nez revenu, Kovaliov a retrouvé ses prétentions d’imposteur.
  3. Dernière note de G. Nivat : Gogol pastiche ici le critique Boulgarine, dans L’Abeille du nord – pour, in fine, réaffirmer le droit de la littérature à l’absurde, je rajouterais pour ma part qu’il y a un peu de l’ironie corrosive des Âmes mortes dans le sous-entendu final.