mardi 29 mai 2018

Deux autres poèmes de Serge Essénine


      Né en 1895 et mort suicidé en décembre 1925, Serge Essénine, officiellement poète imaginiste, est un poète lyrique russe marqué par sa naissance dans un milieu paysan et chrétien. Comme l’écrit Nikita Struve : « Après avoir adopté une attitude patriotique pendant la guerre, il accueille la Révolution avec la foi illuminée du paysan, comme l’avènement apocalyptique de la nouvelle terre et des nouveaux cieux. Il ne l’avait pas attendu, d’après le témoignage de Iouri Annenkov (in Journal de mes rencontres, dans lequel il mentionne le premier poème donné ici, qui lui arrache des larmes) pour être un noceur au fort penchant alcoolique. En lui coexistent le lyrisme spontané d’un poète passionnément attaché à la Russie et à la nature de son pays, qu’il chantera sans cesse, et des tendances dépressives, une insatisfaction et une pulsion suicidaire (s’exprimant notamment par un petit attrait pour la pègre) qui s’aggraveront, de mariage raté en union également ratée, au fur et à mesure que se refermera son ciel politique d’adoption. Sans le secours de la religion, désemparé devant « une modernité qui l’étouffe » (N. Struve) et qu’il retrouve en dehors de la Russie – lors de ses voyages en compagnie d’Isadora Duncan – il se réfugie de plus en plus dans l’alcool, jusqu’à son suicide spectaculaire à la fin de l’année 1925. En janvier 1926, Léon Trotski fit paraître dans la Pravda un magnifique article à la mémoire d’Essénine, commençant par : « Nous avons perdu Essénine, poète admirable, d’une telle fraîcheur, d’une telle authenticité » et se concluant ainsi : « Un poète est mort. Vive la poésie ! Un enfant des hommes sans défense s’est précipité dans l’abîme ! Vive la vie de créateur que Sergueï Essénine a contribué à tisser jusqu’au dernier instant avec les fils précieux de la poésie ! »








Le cantique de la chienne



Au matin, dans la réserve au seigle,
Où rutile la toile des sacs alignés,
La chienne a mis bas une portée 
De sept petits chiots roux.


Elle les a caressés jusqu’au soir,
Les peignant et les brossant de sa langue,
Et de la neige fondue
A coulé sous son ventre chaud.


Et le soir, à l’heure où les poules
Siègent sur leur perchoir,
Est ressorti le maître à l’air sombre,
Qui les avait fourrés, tous les sept, dans un sac.


Elle courait dans les congères,
S’efforçant de le suivre.
Et la surface de l’eau non gelée
Longtemps, si longtemps a frémi.


Et à peine était-elle revenue en se traînant,
Léchant la sueur de ses flancs,
Que s’est montré le croissant de la lune,
Tel un de ses chiots au-dessus de la maison.


Elle regardait en l’air, vers les hauteurs bleues,
Avec de sonores geignements,
Mais le mince croissant s’est faufilé
Derrrière la colline, il s’est caché dans les champs.


Et, comme lorsqu’en guise d’aumône
On lui lance, pour rire, une pierre,
La chienne a roulé sourdement des yeux,
Comme des étoiles tombant dans la neige.



(1915)








     Le deuxième poème donné ici est le dernier. Il fut écrit avec le sang du poète, qui s’était coupé les veines avant de se pendre…




Au revoir, ami, au revoir.
Mon cher ami, tu vis dans mon cœur.
Une séparation voulue par le destin
Est la promesse d’une rencontre future.

Au revoir, ami, sans phrase ni geste,
Que l’affliction ne fasse pas trembler tes sourcils –
Si dans cette vie mourir n’a rien de nouveau,
Vivre ne l’est certes pas davantage.

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