mercredi 30 décembre 2020

Le Veau d'or (Ilf et Petrov), chapitre 26

 Troisième partie

Un simple particulier






Chapitre 26


Le passager du train spécial




     Un petit train spécial stationnait contre le quai asphalté de la gare de Riazan, à Moscou. Il comportait seulement six voitures : un fourgon à bagages dans lequel se trouvait en fait non pas des bagages mais de la nourriture entreposée sur de la glace, un wagon-restaurant où un cuisinier vêtu de blanc se penchait par la fenêtre et un wagon-salon officiel, gouvernemental. Les trois wagons restants étaient des voitures de voyageurs dont les couchettes rembourrées et recouvertes de sévères housses rayées devaient accueillir une délégation de travailleurs de choc, ainsi que des journalistes étrangers et soviétiques.


     Le train se préparait à gagner le point de jonction des deux lignes du Turksib. 


     Le voyage serait long. Les travailleurs de choc fourraient dans le tambour des wagons des paniers de route munis de petits cadenas noirs se balançant au bout de tiges de fer. La presse soviétique se démenait sur le quai avec ses valises de contreplaqué verni. 


     Les étrangers suivaient du regard les porteurs transportant leurs grosses valises de cuir, leurs coffres et leurs cartons couverts d’étiquettes d’agences de tourisme et de compagnies maritimes.


     Les passagers avaient eu le temps de se procurer le petit livre titré  La grande Ligne de l’Est, dont la couverture affichait un chameau en train de renifler un rail. Ce livre était vendu sur place, dans un chariot à bagages. Son auteur, le journaliste Palamidov, était déjà passé plusieurs fois à côté du chariot en jetant des regards jaloux aux acheteurs. Il avait la réputation d’être un grand connaisseur du Turksib et se rendait là-bas pour la troisième fois.


     Le moment du départ approchait, mais les adieux ne rappelaient en rien la scène ordinaire accompagnant le départ d’un train de voyageurs. Il n’y avait pas de vieilles femmes sur le quai, personne ne tenait à bout de bras un bébé par la fenêtre pour qu’il pût voir une dernière fois son grand-père. Il n’y avait bien entendu pas non plus de ces grands-pères dont les yeux éteints reflètent, d’ordinaire, la crainte des courants d’air propres aux voyages en train. Personne ne s’embrassait, bien entendu. Les militants syndicaux avaient amené à la gare la délégation des travailleurs de choc sans avoir eu le temps de bien étudier la question des embrassades d’adieu. Les correspondants moscovites étaient accompagnés de travailleurs de leurs rédactions qui avaient l’habitude de s’en tenir à des poignées de mains. Quant aux correspondants étrangers, au nombre de trente, il allaient couvrir l’ouverture de la ligne en grand équipage, avec épouses et phonographes, de sorte que personne n’était venu assister à leur départ. 


     Leur attitude s’accordant avec le moment, les membres de l’expédition parlaient plus haut que d’ordinaire, s’emparaient sans raison de leur bloc-notes et blâmaient ceux qui les avaient accompagnés de ne pas faire un voyage si intéressant avec eux. Le journaliste Lavoisian était particulièrement bruyant. Il était jeune d’esprit, mais une calvitie luisait au milieu de ses boucles comme la lune au cœur d’une jungle.


     « Vous êtes répugnants à voir ! criait-il à l’adresse des gens venus le voir partir. Vous n’êtes même pas capables de comprendre ce que c’est que le Turksib ! »


     Si les mains du bouillant Lavoisian n’avaient pas été encombrées d’une grosse machine à écrire enveloppée d’une toile cirée de cocher, il eût peut-être même frappé l’un de ses amis, dans son dévouement passionné au journalisme d’information. Il avait déjà envie d’envoyer sur-le-champ un express à sa rédaction, seulement la matière lui manquait.


     Arrivé à la gare avant tout le monde, Oukhoudchanski, collaborateur d’un journal syndical, longeait le train sans se presser. Il avait avec lui Le Turkestan. Description géographique complète de notre patrie, livre de chevet et manuel de voyage pour les Russes, œuvre de Semionov-Tian-Chanski publiée en 1903. Il s’arrêtait devant chaque groupe de voyageurs ou de gens venus les accompagner à la gare et disait avec un rien de sarcasme dans la voix :


     « Vous partez ? Ça alors ! »


     Ou :


     « Vous restez ?  Ça alors ! »


     Il parvint ainsi à la tête du train et, la tête rejetée en arrière, étudia longuement la locomotive, pour dire enfin au mécanicien :


     « Vous travaillez ?  Ça alors ! »


     Puis le journaliste Oukhoudchanski rentra dans son compartiment, déploya le dernier numéro de son journal et se consacra à la lecture d’un article qu’il avait lui-même écrit, titré Il faut améliorer le travail des Commissions de contrôle des magasins, avec comme sous-titre La réorganisation des Commissions est insuffisante. L’article faisait le compte rendu d’une réunion quelconque, et l’attitude de l’auteur vis-à-vis de l’événement décrit aurait pu se résumer d’une phrase : « Vous tenez réunion ? Ça alors ! » Oukhoudchanski lut jusqu’au départ du train.


     L’une des personnes venus souhaiter bon voyage, un homme au nez rose en peluche et des tempes de velours, fit une prophétie qui causa à tout le monde un grand effroi :


     « Je connais ce genre de voyages, énonça-t-il, j’en ai fait moi-même. Votre avenir m’est connu. Vous êtes une centaine, ici. Vous allez, en gros, voyager un mois entier. Deux d’entre vous manqueront le départ du train dans une petite gare perdue où ils resteront sans argent ni papiers, ils vous rattraperont seulement au bout d’une semaine, affamés et déguenillés. La valise de quelqu’un sera volée, c’est une certitude. Ce sera peut-être celle de Palamidov, ou Lavouasian, ou encore Navrotski. La victime se lamentera tout au long du chemin et mendiera auprès de ses voisins un blaireau pour se raser. Il rendra la brosse sans l’avoir lavée, et aura perdu la cuvette. Bien entendu, l’un des voyageurs mourra, et ses amis devront ramener ses restes à Moscou au lieu d’aller au point de jonction. Accompagner les restes d’un défunt est une tâche très pénible et répugnante. En outre, la zizanie s’installera en cours de route. Croyez-moi ! Quelqu’un, peut-être ce même Palamidov, ou bien Oukhoudchanski, commettra un acte antisocial. Vous le désapprouverez longuement et tristement, tandis qu’il s’isolera en poussant des gémissements et des grognements. Tout cela m’est connu. Vous partez aujourd’hui avec des chapeaux et des casquettes sur vos têtes, vous reviendrez en portant des calottes orientales. Le plus bête d’entre vous achètera la panoplie complète d’un Juif de Boukhara : un chapeau de velours bordé de fourrure de chacal et une robe de chambre confectionnée dans une épaisse couverture de coton. Et bien sûr, le soir, vous chanterez tous Stienka Razine dans votre wagon, vous mugirez stupidement : “Et la jette par-dessus bord dans le cours du fleuve”. Ce n’est pas tout, les étrangers eux-mêmes chanteront : “En descendant la Volga, sur notre mère Volga, sur notre mère la Volga”.


     Lavoisian se mit en colère et brandit sa machine à écrire en direction du prophète.


     — Vous êtes jaloux ! dit-il. Nous ne chanterons pas.


     — Vous chanterez, mes petits amis. C’est inévitable. Je sais d’avance tout cela.


     — Nous ne chanterons pas.


     — Vous chanterez. Et si vous êtes honnêtes, vous m’enverrez aussitôt une carte postale pour me le dire.


     On entendit à cet instant un cri étouffé. Le photoreporter Mienchov venait de tomber du toit du fourgon à bagages. Il avait grimpé dessus pour photographier le moment du départ. Mienchov resta quelques secondes étendu par terre, tenant son appareil au-dessus de sa tête.  Puis il se releva, vérifia anxieusement l’obturateur et remonta sur le toit.


     — Vous tombez ? demanda Oukhoudchanski, se penchant par la fenêtre avec son journal.


     — Peut-on appeler cela une chute ? fit dédaigneusement le photoreporter. Si vous m’aviez vu tomber du toboggan spiralé au Parc du repos culturel !


     — Ça alors ! répliqua le représentant du journal syndical, disparaissant derrière la fenêtre.


     Sur le toit, Mienchov se mit sur un genou et se remit au travail. Il était observé avec la plus vive satisfaction par un écrivain norvégien qui qui se promenait sur le quai, ayant déjà mis ses affaires dans son compartiment. Il avait des cheveux clairs d’enfant et un grand nez de Varègue. Le Norvégien admirait si fort la hardiesse photographique de Mienchov qu’il se sentit dans l’obligation de faire partager ses sentiments à quelqu’un. il s’approcha à grands pas d’un vieux travailleur de choc de l’usine des Trois-Monts, appuya son index sur la poitrine de ce dernier et s’écria d’une voix perçante :


     « Vous ! »


     Montrant ensuite sa propre poitrine, il cria aussi fort :


     « Moi ! »


     Ayant ainsi épuisé tous les mots en russe dont il disposait, l’écrivain sourit aimablement et courut à son wagon alors que retentissait la deuxième sonnerie. Le travailleur de choc fit de même. Mienchov descendit de son toit. Il y eut des signes de tête, les derniers sourires furent adressés, on vit accourir un feuilletoniste dans un manteau à col de velours noir. L’arrière du train se balançait déjà sur le dernier aiguillage de sortie lorsque les frères jumeaux du journalisme, les correspondants Liev Roubahckine et Ian Skamiéïkine se ruèrent hors du buffet de la gare. Skamiéïkine tenait entre les dents une escalope viennoise. Bondissant comme des chiots, les frères cavalèrent le long du quai, sautèrent sur le sol taché de pétrole et seulement là, au milieu des traverses, se rendirent compte qu’ils ne pourraient pas rattraper le train.


     Le train, lui, quittant une Moscou en effervescence de construction, faisait déjà entendre son chant assourdissant. Il martelait le sol de ses roues, poussait des rires démoniaques en franchissant les ponts et ne commença à se calmer qu’au milieu des bois parsemés de datchas, poussant alors tranquillement sa vitesse. Il allait décrire sur le globe terrestre une courbe considérable, traverser différentes zones climatiques, passer de la fraîche Russie centrale au désert brûlant, laisser derrière lui une quantité de grandes et de petites villes et avancer de quatre fuseaux horaires par rapport à Moscou. 


     Au soir du premier jour, apparurent dans le wagon des correspondants soviétiques deux envoyés du monde capitaliste : monsieur Heinrich, représentant un journal autrichien de tendance libérale, et Hiram Burman, un Américain. Ils étaient venus faire connaissance. . Monsieur Heinrich était de petite taille. Mister Burman portait un chapeau mou aux bords relevés. Ils parlaient russe assez correctement tous les deux. Tous commencèrent par se tenir dans le couloir sans rien dire, se dévisageant les uns les autres avec intérêt. Pour chasser la gêne, on se mit à parler du Théâtre d’Art. Heinrich en fit la louange, tandis que mister Burman déclarait de façon évasive qu’en tant que sioniste, ce qui l’intéressait surtout en URSS, c’était la question juive. 


     — Cette question n’existe plus chez nous, dit Palamidov.


     — Comment peut-il ne pas y avoir de question juive ? s’étonna Hiram.


     — C’est ainsi. Elle n’existe pas.


     Mister Hiram était troublé. Il avait, sa vie durant, écrit dans son journal des articles à propos de la question juive, et il lui aurait été douloureux de l’abandonner. 


     — Il y a tout de même bien des Juifs en Russie ? dit-il prudemment.


     — Oui, répondit Palamidov.


     — Il y a donc aussi une question juive ?


     — Non. Il y a des Juifs, mais pas de question juive.


     L’atmosphère dans le couloir du wagon, qui s’était chargée d’électricité, se détendit quelque peu à l’arrivée d’Oukhoudchanski. Une serviette autour du cou, il se dirigeait vers le cabinet de toilette. 


     — Vous discutez ? dit-il alors que la vitesse du train le faisait osciller. Ça alors !


     Lorsqu’il revint, propre et rafraîchi, des gouttes d’eau à ses tempes, la discussion s’était étendue à tout le couloir. Les correspondants soviétiques étaient sortis d’un compartiment, quelques travailleurs de choc en avaient quitté un autre et deux étrangers s’étaient montrés : un correspondant italien qui portait l’insigne fasciste représentant un faisceau de licteur avec une hache, et un universitaire allemand, un orientaliste invité par la VOKS. Le front de la controverse était très étendu – il allait de la construction du socialisme jusqu’à la nouvelle mode masculine en Occident, le port du béret. Des désaccords surgissaient à propos de chacun des points abordés.


     « Vous discutez ? Ça alors… » dit Oukhoudchanski en repartant dans son compartiment.


     Dans le brouhaha général, on ne pouvait distinguer que des exclamations individuelles. 


     — S’il en est ainsi, disait monsieur Heinrich en attrapant la chemise russe de Souvorov, un travailleur des usines Poutilov, pourquoi vous contentez-vous de jacasser depuis treize ans ? Pourquoi n’organisez-vous pas la révolution mondiale dont vous ne faites que parler ? Vous n’en êtes donc pas capable ? Alors, arrêtez de jacasser !


     — Ce n’est pas nous qui allons faire la révolution chez vous ! Vous la ferez vous-même.


     — Moi ? Je ne ferai aucune révolution.


     — Eh bien, d’autres la feront sans vous demander votre avis.


     S’appuyant contre un panneau de cuir estampé entre deux fenêtres, mister Hiram Burman assistait aux débats d’un regard indifférent. La question juive s’était engloutie dans quelque crevasse rhétorique dès le début de la discussion, et les autres thèmes le laissaient froid. Du groupe où le professeur allemand niait catégoriquement la supériorité du mariage de type soviétique sur le mariage à l’église se détacha un feuilletoniste versificateur dont le pseudonyme littéraire était Gargantua. Il s’approcha du pensif Hiram et se mit avec animation à lui expliquer quelque chose. Hiram commença par l’écouter mais se rendit compte rapidement qu’il ne comprenait rien. Cependant, Gargantua n’arrêtait pas de rectifier la tenue de Hiram, lui renouant sa cravate, lui enlevant un brin de duvet collé, lui boutonnant son veston pour le déboutonner ensuite, tout en parlant d’une voix assez forte et très distinctement, semblait-il. Mais un défaut insaisissable dans ses propos les transformait en sciure de bois. Désagrément qui s’aggravait du fait que Gargantua aimait discourir et quêtait après chaque phrase l’approbation de son interlocuteur. 


     « N’est-ce pas vrai ? disait-il en remuant la tête comme s’il s’apprêtait, pour picorer quelque grain, à donner un coup de bec de son nez grand et bien formé. N’est-ce pas exact ? »


     C’étaient là les seules paroles compréhensibles dans les discours que tenait Gargantua. Tout le reste se fondait en un féérique murmure persuasif. Mister Burman opinait par politesse et s’esquiva rapidement. Tout le monde était toujours d’accord avec Gargantua, qui s’estimait capable de convaincre n’importe qui de n’importe quoi.


     « Voyez-vous, dit-il à Palamidov, vous ne savez pas discuter avec les gens. Moi, je l’ai convaincu. Je viens de lui prouver, et il s’est déclaré d’accord avec moi, qu’il n’existe plus chez nous de question juive d’aucune sorte. N’est-ce pas vrai ? N’est-ce pas exact ? »


     Palamidov n’avait rien compris et, hochant la tête, il se mit à prêter l’oreille à la discussion qui avait lieu entre l’orientaliste allemand et le chef de wagon. Celui-ci s’efforçait depuis un bon moment de participer à la conversation et venait seulement de dénicher un auditeur disponible et à sa mesure. Ayant au préalable appris la qualité de son interlocuteur, ainsi que son nom et son prénom, le chef de train mit de côté son balai et entama avec aisance :


     « Vous n’en avez sans doute pas entendu parler, Citoyen Professeur, il existe en Asie Centrale un animal qui s’appelle le chameau. Il a deux bosses sur le dos. Je connaissais un cheminot, vous en avez sans doute entendu parler, le camarade Doljnostiouk, il s’occupait des bagages. Il s’est un jour assis entre les bosses du chameau et lui a donné un coup de fouet. Le chameau était une sale rosse et s’est mis à exercer une pression sur lui avec ses bosses, tout juste s’il ne l’a pas écrasé complètement. Doljnostiouk a tout de même réussi à sauter à bas de l’animal. C’était quelqu’un de combattif, vous l’avez sans doute entendu dire ? Là, le chameau a couvert sa tunique de crachats, une tunique d’uniforme qui sortait de la blanchisserie… »


     La conversation vespérale se mourait. Le choc des deux mondes s’était bien terminé. On avait évité la brouille, en quelque sorte. La coexistence dans le train spécial des deux systèmes – le capitaliste et le socialiste – devait bon gré mal gré se prolonger durant près d’un mois. L’ennemi de la révolution mondiale, monsieur Heinrich, raconta une vieille histoire de voyage, puis tout le monde se rendit pour le dîner au wagon-restaurant, passant de wagon en wagon en suivant des sas métalliques tremblants et en clignant des yeux à cause des courants d’air. Dans le wagon-restaurant, toutefois, la population du train occupa des places séparées. Ce fut comme une première visite à une fiancée. L’étranger, représenté par les correspondants de journaux à fort tirage et d’agences télégraphiques du monde entier, rendit un hommage appuyé à la vodka en jetant des regards d’une  effrayante courtoisie sur les bottes des travailleurs de choc et le débraillé domestique des journalistes soviétiques, venus en pantoufles et affichant, pour toute cravate, leurs boutons de col.


     Les gens les plus divers se trouvaient au wagon-restaurant : mister Burman, provincial de New-York, une jeune Canadienne arrivée d’au-delà de l’océan juste une heure avant le départ du train spécial, ce qui expliquait qu’elle tournât la tête d’un air hébété au-dessus de la boulette de viande servie dans une assiette métallique oblongue, un diplomate japonais, un autre Japonais, un peu plus jeune, monsieur Heinrich, dont les yeux jaunes souriaient malicieusement sans qu’on sût pourquoi, un jeune diplomate anglais à la taille fine de joueur de tennis, l’orientaliste allemand écoutant fort patiemment la narration du chef de wagon quant à l’existence d’un étrange animal ayant deux bosses sur le dos, un économiste américain, un Tchécoslovaque, un Polonais, quatre correspondants américains dont un pasteur écrivant dans le journal de L’Union des Jeunes Chrétiens, une femme américaine à 100 % issue d’une famille de pionniers au nom Hollandais, célèbre pour avoir, l’année précédente, raté le train à Mineralnye Vody et s’être cachée quelque temps au buffet de la gare pour se faire de la publicité (ce qui avait eu un énorme écho dans la presse américaine. Les articles s’étaient succédé trois jours durant, avec des titres alléchants : Une jeune fille d’ancienne famille aux mains des sauvages montagnards du Caucase et Une rançon ou la mort, et bien d’autres encore. Les uns se montraient hostiles à tout ce qui était soviétique, d’autres espéraient élucider en deux temps trois mouvements les énigmes de l’âme asiatique, d’autres encore essayaient honnêtement de comprendre ce qui se passait, en définitive, au pays des Soviets.


     Assise à ses propres tables, la partie soviétique faisait du bruit. Les travailleurs de choc avaient apporté de la nourriture emballée dans du papier journal et buvaient force thé dans des porte-verres en métal blanc de chez Krupp. Davantage à leur aise, les journalistes avaient commandé des escalopes viennoises, et Lavoisian, pris d’un soudain accès de fierté slave, décida de ne pas se moucher du pied devant des étrangers, et exigea un sauté de rognons. Il ne toucha pas aux rognons, car il détestait cela depuis son enfance, mais se gonfla néanmoins d’orgueil en jetant des regards de défi aux étrangers. Du côté soviétique aussi, les gens étaient très divers. Il se trouvait là un ouvrier de l’usine de Sormovo, qu’une assemblée générale avait délégué, un constructeur venant de l’usine de tracteurs de Stalingrad qui, dix ans plus tôt, s’était retrouvé dans les tranchées luttant contre les troupes de Wrangel à l’endroit même où se dressait maintenant le géant producteur de tracteurs, et un ouvrier tisseur de Serpoukhov que le Turksib intéressait puisqu’il devait accélérer la livraison du coton aux régions de textile.


     Il y avait aussi des métallos de Léningrad, des mineurs du Donbass, un mécanicien arrivé d’Ukraine et le chef de la délégation, portant une chemise blanche à la russe, décorée de la grande étoile de Boukhara obtenue pour sa lutte contre l’émir. Le diplomate à la taille de tennisman aurait été bien étonné d’apprendre que le petit et courtois poète Gargantua s’était retrouvé à huit reprises prisonnier de divers atamans cosaques, qu’il avait même été une fois fusillé par les partisans de Makhno, ce sur quoi il n’aimait pas s’étendre car il en conservait de mauvais souvenirs, s’étant extrait de la fosse commune avec l’épaule percée d’une balle.


     Le représentant des Jeunes Chrétiens eût peut-être porté la main à son cœur s’il avait su que le joyaux Palamidov avait présidé un tribunal militaire, tandis que Lavoisian s’était, pour les besoins de la cause journalistique, habillé en femme et s’était glissé dans une réunion de baptistes, dont il avait ensuite fait un grand compte-rendu antireligieux, qu’aucun des citoyens soviétiques présents n’avait fait baptiser ses enfants, quatre écrivains se trouvant même au nombre de cette engeance de mécréants.


     Des gens très divers, oui, se trouvaient dans ce wagon-restaurant.


     Le second jour du voyage, la prédiction du prophète pelucheux se réalisèrent. Alors que leur train, cliquetant et grondant, traversait la Volga sur le pont de Syzragne, les passagers du train spécial entonnèrent, de leurs voix sans charme de citadins, la ballade du chevalier de la Volga. Ils s’efforçaient à ce moment de ne pas se regarder dans les yeux. Dans la voiture voisine, les étrangers qui ne savaient pas trop ce qu’il convenait de chanter, ni à quels moments, entonnèrent avec enthousiasme Elle est bien pleine, la petite boîte, en y mêlant un refrain étrange qui déformait le « Ho hisse ! » des Bateliers de la Volga. Nulle carte postale ne fut envoyée à l’homme au nez en peluche, on avait honte. Seul Oukhoudchanski tint bon. Il ne chanta pas avec tous les autres. Tandis que le train entier s’adonnait à une débauche de chansons, lui seul se taisait, serrant les dents et faisant mine de lire la Description géographique complète de notre patrie. Il fut sévèrement puni. Il fut saisi d’un accès musical paroxystique en pleine nuit, bien au-delà de Samara; Vers minuit, alors que train si inhabituel dormait, une voix hésitante se fit entendre en provenance du compartiment d’Oukhoudchanski :


                    Il est sur la Volga un rocher recouvert de mousse…


     Lui aussi payait son dû au voyage.


     Encore plus tard, quand Oukhoudchanski se fut à son tour endormi, la porte du tambour s’ouvrit, le tonnerre des roues se fit un instant entendre pleinement, et Ostap Bender entra dans le couloir désert et brillamment éclairé en regardant de tous les côtés. Il hésita une seconde, puis eut un geste indolent et résigné de la main et ouvrit la porte du premier compartiment se présentant. À la lueur bleue de la veilleuse, Gargantua, Oukhoudchanski et le photographe Mienchov dormaient. La quatrième couchette, en hauteur, était vide. Le Grand Combinateur n’hésita pas. Sentant la faiblesse de ses jambes après ses longues pérégrinations, ses pertes irréparables et ses deux heures de station debout sur le marchepied du wagon, il grimpa sur la couchette. Une vision miraculeuse s’offrit alors à lui : sur la tablette près de la fenêtre, les pattes pointant en l’air comme les brancards d’une charrette, se trouvait une poule bouillie toute blanche.


     « J’emprunte le chemin peu sûr de Panikovski » chuchota Ostap.


     Sur ces mots, il éleva la poule jusqu’à lui et la dévora sans pain ni sel. Il fourra les os sous le dur traversin recouvert de toile. Il s’endormit heureux, bercé par le grincement des cloisons et respirant l’odeur incomparable de la peinture des chemins de fer.


     












Notice synthétique



     À propos du Turksib : https://fr.wikipedia.org/wiki/Turksib

     N’y a-t-il eu que des travailleurs libres employés à la construction? C’est à vérifier. Il est vrai que les Colonies spéciales (dans le cadre de la « dékoulakisation », premières apparitions du Goulag en dehors des Solovki et d’Arkhangelsk), datent du début des années trente : 

(https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%8Eles_Solovki

https://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1997_num_54_1_3629


     Ce chapitre, les deux suivants et le 29 en partie ont été rajoutés pour l’édition en volume. Les deux auteurs avaient couverts, en tant que journalistes envoyés par la revue Ogoniok, l’inauguration du Turksib, à laquelle ils consacrèrent (volontairement ?) un article d’une extrême platitude qu’ils se permirent de signer F. Tolstoïevski (notes trouvées chez A. Préchac).



     La gare de Riazan est l’ancien nom de la gare de Kazan.


     Le tambour des anciens wagons est l’espace clos compris entre la porte intérieure et la porte extérieure du wagon.


     Suite du festival de noms : Oukhoudchat’ signifie empirer, aggraver… Plus loin, Roubahckine : Delachemise et Skamiéïkine : Dubanc.



     À propos de Semionov-Tian-Chanski :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Piotr_Semionov-Tian-Chanski


     Stienka Razine : sa révolte du dix-septième siècle fut récupérée par l’historiographie soviétique :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Stenka_Razine . La citation suivante (d’ailleurs incorrecte) est formée de deux vers tirés d’une célèbre chanson consacrée au chef cosaque. L’autre est le début d’une autre chanson populaire, célébrant la Volga. Au milieu, sur notre mère Volga est simplement transcris du français.


     Les Varègues sont les Vikings ancêtres des premiers Russes : ttps://fr.wikipedia.org/wiki/Var%C3%A8gues#:~:text=Var%C3%A8gues%20ou%20Varanges%20(vieux%20norrois,la%20garde%20var%C3%A8gue%20des%20empereurs


     alors que retentissait la deuxième sonnerie : à la troisième, le train part..


     Le Théâtre d’Art de Moscou, fondé en 1898 par Stanislavski et Némirovitch-Dantchenko, celui auquel Tchékhov donnait ses pièces, appelé par la suite Théâtre Gorki et ultérieurement scindé en Théâtre Tchékhov et Théâtre Gorki.


     Non. Il y a des Juifs, mais pas de question juive : comme le remarque A. Préchac, c’était la pétition de principe de l’époque. Les faits se sont chargés de montrer que la rancœur antisémite (voir à ce sujet la citation ironique du chapitre 13 : « ces Iceberg, ces Weisberg, ces Eisenberg, tous ces Rabinovitch ! ») subsistait et cet antisémitisme rampant ressurgira après l’invasion hitlérienne, lorsque les populations locales baltes, moldaves, ukrainiennes et même russes secondèrent souvent les nazis dans l’extermination des Juifs – ce que le Livre noir sur la destruction des Juifs d’URSS révélait trop, d’où les difficultés qu’il rencontra, jusqu’à son interdiction finale de publication. Arte y a consacré récemment une émission. Voir à ce sujet :

https://blogs.mediapart.fr/dominique-vidal/blog/161220/les-juifs-d-urss-du-genocide-nazi-la-repression-stalinienne

Voir aussi par exemple :

https://next.liberation.fr/livres/1995/11/16/comment-staline-enterra-l-holocauste_151051#:~:text=Et%20c'est%20l'interdiction,%2C%20les%20Ann%C3%A9es%2C%20la%20Vie.

     On sait également que seule la mort de Staline a empêché la « purge » antisémite qui se préparait, dans la foulée de l’Affaire (montée de toutes pièces) des Blouses blanches.


     La VOKS était la Société soviétique pour les liens culturels avec l’étranger :

https://fr.wikipedia.org/wiki/VOKS


     Vous n’en êtes donc pas capable ? Je souris en pensant à ce que cela donnerait probablement de nos jours : « Vous n’êtes donc pas en capacité de le faire ? »


     Comme le remarque A. Prochac, les inquiétude de M. Heinrich sont vaines, le « Socialisme dans un seul pays » ayant été adopté depuis 1925 et Trotski, d’un avis contraire, exilé en 1928 en Asie Centrale, puis en Turquie en 1929…

     

     L’Union des Jeunes Chrétiens : encore connue sous le nom de YMCA :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Young_Men%27s_Christian_Association


     Mineralnye Vody :  https://fr.wikipedia.org/wiki/Mineralnye_Vody


     À propos de Boukhara : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_sovi%C3%A9tique_populaire_de_Boukhara



     Sur les baptistes, revoir la notice du chapitre 3.


     Le pont de Syzragne : en général écrit Syzran, mais le signe mou final, en russe, me conduit de nouveau à adopter cette transcription.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Syzran


     Le chevalier de la Volga : il s’agit de Stienka Razine, déjà mentionné. La chanson est celle à laquelle je faisais allusion un peu plus haut, la plus célèbre consacrée au héros de la Volga – musique populaire, paroles de Dmitri Sadovnikov. Pouchkine a également écrit en 1826 des vers sur Stienka Razine.

     

     Elle est bien pleine, la petite boîte : Chanson sur des vers de 1861 de Nikolaï Nekrassov. Les Bateliers de la Volga : https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Bateliers_de_la_Volga_(chanson)


     La chanson qu’entonne Oukhoudchanski à minuit est encore une chanson à la gloire de Stienka Razine, sur des paroles d’Alexandre Navrotski.

jeudi 24 décembre 2020

mercredi 23 décembre 2020

Le Veau d'or (Ilf et Petrov), chapitre 25

 Trois routes




     Quelque chose n’allait pas chez l’« Antilope ». Elle s’arrêtait dans les côtes les plus douces et se laissait glisser en arrière sans réagir. Le moteur faisait entendre des bruits incongrus et une sorte de râle, comme si l’on eût étranglé quelqu’un sous le capot de l’automobile. La voiture était trop chargée. Outre l’équipage, elle transportait de grosses réserves de carburant. L’essence glougloutait à l’intérieur des bidons et des bonbonnes occupant tous les espaces libres. Kozlewicz hochait la tête en mettant les gaz et en jetant à Ostap des regards navrés.


     « Adam, disait le capitaine, vous êtes notre père, nous sommes vos enfants. Cap à l’Est ! Vous avez un splendide outil de navigation, votre boussole-breloque. Ne vous égarez pas ! »


     Les Antilopiens roulaient depuis plus de deux jours mais, en dehors d’Ostap, aucun d’eux ne savait vraiment où les menait leur nouveau voyage. Panikovski regardait avec mélancolie les champs de maïs hirsutes et disait timidement en zézayant :


     « Pourquoi roulons-nous encore ? À quoi tout cela rime-t-il ? On était si bien à Tchernomorsk. »


     Et, repensant à la merveilleuse femina, il soupirait convulsivement. En plus, il avait faim, et il n’y avait rien à manger : l’argent était épuisé.


     « En avant ! répondit Ostap. Arrêtez de geindre, le vieux. Une dentition en or vous attend, ainsi qu’une petite veuve plantureuse et tout une piscine de kéfir. J’achèterais à Balaganov une tenue de marin et l’inscrirai à l’école élémentaire. Il y apprendra à lire et à écrire, ce qui est absolument indispensable à son âge. Quant à Kozlewicz, notre fidèle Adam, il recevra une voiture neuve. Que souhaitez-vous, Adam Casimirovitch ? Une Studebaker ? Une Lincoln ? Une Rolls ? Une Hispano-Suiza ? »


     — Une Isotta-Fraschini, dit Kozlewicz en rougissant.


     — Très bien. Vous l’aurez. Elle s’appellera « La deuxième Antilope », ou « La fille de l’Antilope », comme il vous plaira. Et maintenant, il n’y a pas de quoi se laisser abattre. Le ravitaillement, je vous le procurerai. C’est vrai que ma trousse est partie en fumée, mais il me reste mes idées qui, elles, sont incombustibles. Si ça tourne vraiment mal, nous nous arrêterons dans une bonne petite ville et nous y organisons une corrida comme à Séville. Panikovski sera picador. Rien que cela éveillera l’intérêt malsain du public, et la recette sera donc énorme.


     La voiture avançait sur une grande piste portant les traces de chenilles de tracteurs. Le chauffeur freina de façon inopinée. 


     « Il y a trois routes, on prend laquelle ? » demanda-t-il.


     Les passagers sortirent de la voiture et firent quelques pas en avant pour dégourdir leurs jambes ankylosées. 


     À la croisée des chemins se dressait un poteau de pierre penché sur le côté ; un gros corbeau était perché dessus. Un soleil aplati se couchait derrière les tiges hirsutes du maïs. L’ombre étroite de Balaganov s’étirait vers l’horizon. La noirceur commençait à atteindre la terre et une étoile d’avant-garde annonça en temps et en heure la tombée de la nuit.


     Trois routes s’étendaient devant les Antilopiens : l’une était bitumée, la deuxième tenait encore de la grand-route, la troisième n’était qu’un chemin vicinal. L’asphalte chauffé par le soleil était encore jaune, une vapeur bleue se tenait au-dessus de la grand-route et le chemin vicinal était tout sombre et se perdait dans les champs aussitôt après le poteau. Ostap cria en direction du corbeau, lequel fut très effrayé mais ne s’envola pas, puis il se promena un peu au carrefour en méditant et dit :


     «  Je déclare ouverte la conférence des preux chevaliers russes ! Sont présents : Ilia Mouromiets en la personne d’Ostap Bender, Dobrynia Nikitine en celle de Balaganov et Aliocha Popovitch en celle de Mikhaïl Panikovski, que nous respectons tous. »


     Kozlewicz avait profité la halte pour se glisser avec une clé anglaise sous l’« Antilope », il n’avait donc pas été mis au nombre des preux chevaliers. 


     — Cher Dobrynia, décida Ostap, veuillez vous mettre à droite ! Monsieur Popovitch, prenez place à gauche ! Portez la main à votre front et regardez loin devant avec attention.


     — Qu’est-ce que c’est que ces blagues, encore ? s’indigna Aliocha Popovitch. Je suis affamé. Allons quelque part au plus vite !


     — C’est une honte, mon petit Aliocha   ; tenez-vous comme il sied à un preux d’autrefois. Et réfléchissez. Regardez comment se comporte Dobrynia. On pourrait même écrire une byline à son sujet, tout de suite. Donc, chevaliers, quelle route prendre ? Sur laquelle traîne l’argent indispensable à nos dépenses courantes ? Je sais que Kozlewicz choisirait la route goudronnée, les chauffeurs aiment les routes en bon état. Mais Adam est un homme honnête, il comprend mal la vie. L’asphalte ne vaut rien aux preux. Cette route-là mène sûrement à un sovkhoze céréalier géant. Nous serions perdus dans le rugissement des machines. Nous pourrions même être écrasés par quelque « Caterpillar » ou par une moissonneuse-batteuse.  Mourir sous une moissonneuse-batteuse, c’est assommant. Non, chevaliers, nous ne devons pas suivre la route goudronnée. Voyons à présent la grand-route. Bien sûr, Kozlewicz ne la refuserait pas non plus. Mais croyez-en Ilia Mouromiets, elle ne nous convient pas. On peut toujours nous taxer d’arriération, nous n’emprunterons pas cette route. Mon flair me suggère que ce serait aller au-devant d’une rencontre avec des kolkhoziens dépourvus de tact et autres citoyens modèles. En outre, ils n’ont pas de temps à perdre avec nous. Leurs terres collectivisées sont labourées d’une quantité de brigades littéraires et musicales rassemblant du matériel pour composer des poèmes agricoles et des cantates potagères. Il reste le chemin vicinal, citoyens chevaliers ! C’est la voie des contes antiques que va suivre l’« Antilope ». C’est là qu’est l’âme russe ! C’est là qu’on sent la Russie ! C’est là que vole encore l’Oiseau de feu aux lueurs mourantes, et que les gens de notre profession voient de temps en temps leur tomber dessus des plumes d’or. Là que trône encore sur ses coffres le koulak Kachtchieï, qui se croyait immortel et se rend compte à présent avec effroi que son terme arrive. Mais vous et moi, chevaliers, obtiendrons quelque chose de lui, tout particulièrement si nous nous présentons à lui en tant que moines errants. D‘un point de vue technique, pour rouler, cette voie féérique est détestable. Mais nous n’en avons pas d’autre. Adam ! En route !


     Kozlewicz amena tristement l’automobile sur le chemin vicinal, où la voiture se mit immédiatement à faire des huit, à donner de la bande et à secouer ses passagers en hauteur. Les Antilopiens s’accrochaient les uns aux autres, juraient d’une voix étranglée et leurs genoux venaient heurter les durs bidons d’essence.


     « J’ai faim ! gémissait Panikovski. Je veux une oie ! Pourquoi avons-nous quitté Tchernomorsk ? »


     La voiture grinçait en s’extirpant d’une profonde ornière et en y retombant.


     « Tenez bon, Adam ! criait Bender. Coûte que coûte, tenez bon !  Que l’« Antilope » nous amène seulement jusqu’au Turksib et nous lui offrirons en récompense des pneus en or avec des épées et des nœuds de rubans ! »


     Kozlewicz n’écoutait pas. Le volant lui échappait des mains en raison des soubresauts fous. Panikovski continuait à se morfondre.


     — Bender, râla-t-il soudain, vous savez le respect que j’ai pour vous, mais vous ne comprenez rien à rien ! Vous ne savez pas ce que c’est, une oie ! Oh, comme j’aime cet oiseau ! C’est un oiseau merveilleusement gras, parole d’honneur, de gentilhomme. Une oie ! Bender ! L’aile ! Le cou ! La cuisse ! Bender, vous savez comment j’attrape une oie ? Je la tue d’un coup, comme un toréador. C’est un opéra, quand je fonds sur une oie ! C’est Carmen !


     — Nous le savons, dit le capitaine, nous avons vu cela à Arbatov. Je vous déconseille de faire un nouvel essai.


     Panikovski se tut, mais une minute plus tard, alors qu’un nouveau cahot le projetait sur Bender, on entendit de nouveau son délire chuchoté :


     « Bender ! Elle marche sur la route. L’oie ! Ce merveilleux volatile se promène, et moi, je reste sur place, je fais mine que cela ne me concerne pas. Il s’approche. Il va venir me siffler dessus. Ces oiseaux se croient plus forts que tout le monde, c’est leur point faible, Bender, c’est leur point faible ! »


     Le violateur de la convention chantait presque, à présent :


     « L’oie marche vers moi en sifflant comme un phonographe. Mais je n’ai pas froid aux yeux, Bender. À ma place, un autre s’enfuirait, moi je reste et j’attends. La voilà qui s’approche et tend le cou, son blanc cou d’oie avec son bec jaune. Elle veut me mordre. Notez bien, Bender, que l’avantage moral est de mon côté. Ce n’est pas moi qui l’attaque, c’est le contraire. Et alors là, légitime défense, je lui attra… »


     Mais Panikovski ne put finir son discours. Un effroyable et écœurant craquement retentit et les Antilopiens se retrouvèrent en un instant à même la route, dans les postures les plus diverses.  Les pieds de Balaganov dépassaient d’un fossé. Le Grand Combinateur avait un bidon d’essence sur le ventre. Panikovski gémissait sous la pression d' un ressort de suspension. Kozlewicz se leva et fit quelques pas en chancelant.


     Il n’y avait plus d’« Antilope ». Un hideux tas de débris gisait sur la route : pistons, coussins, ressorts. Les viscères de cuivre brillaient sous la lune. La carrosserie disloquée  avait rejoint dans le fossé Balaganov en train de reprendre ses esprits. La chaîne de transmission rampait comme une vipère dans une ornière. Un faible bruit se fit entendre dans le silence qui s’était établi, et une roue, visiblement projetée au loin par le choc,  dévala d’un monticule. La roue décrivit un arc et vint doucement se coucher aux pieds de Kozlewicz.


     C’est alors seulement que le chauffeur comprit que l’automobile avait vécu, que c’en était fini de l’« Antilope ». Adam Casimirovitch s’assit par terre et se prit la tête dans les mains. Quelques minutes plus tard, le capitaine lui toucha l’épaule et lui dit d’une voix changée :


     « Il faut y aller, Adam. »


     Kozlewicz se leva, pour retomber assis à la même place.


     « Il faut y aller, répéta Ostap. L’« Antilope » était une fidèle voiture, mais il reste plein d’autres voitures sur terre. Vous pourrez bientôt choisir celle que vous voulez. Partons, il faut nous dépêcher. Il faut trouver un endroit où passer la nuit, il faut manger et nous procurer l’argent pour des billets de train. Ce sera un long voyage. Allez, allez, Kozlewicz ! La vie est belle, en dépit de ses lacunes. Où est Panikovski ? Où est ce voleur d’oies ? Choura ! Venez un peu aider Adam !


     Ils prirent Kozlewicz sous les bras et le firent avancer. Il se sentait comme un cavalier ayant laissé, par négligence, périr sa monture. Il avait l’impression que tous les piétons allaient se moquer de lui, à présent.


     À la suite de la perte de l’« Antilope », la vie devint aussitôt plus compliquée. Ils durent passer la nuit dans un champ.


     Ostap, dépité, s’endormit immédiatement, suivi par Balaganov et Kozlewicz, tandis que Panikovski restait toute la nuit à grelotter devant le feu.


     Les Antilopiens se levèrent à l’aube, mais n’atteignirent un village qu’à plus de trois heures de l’après-midi. Panikovski resta tout le temps à l’arrière, se traînant avec peine. Il clopinait. La faim lui mettait dans les yeux une lueur féline, et il ne faisait que se lamenter sur son sort et se plaindre du capitaine.


     Une fois dans le village, Ostap enjoignit à l’équipage de l’attendre sans bouger dans la Troisième rue, et il partit lui-même dans la Première, au Soviet local. Il en revint assez vite.


     « Ça marche, dit-il d’une voix enjouée, on va nous héberger et nous donner de quoi manger. Après le repas, nous irons nous prélasser dans le foin. Le lait et le foin, vous vous  souvenez ? Et ce soir nous donnons un spectacle. Je l’ai déjà vendu pour quinze roubles. J’ai l’argent. Choura ! Vous aurez à déclamer un morceau tiré de votre Lecteur public, moi je ferai des tours de cartes antireligieux et Panikovski… Où est Panikovski ? Où est-il passé ? »


     — Il était là à l’instant, dit Kozlewicz.


     Mais à ce moment, derrière la haie près de laquelle se tenaient les Antilopiens, on entendit une oie cacarder et une femme glapir, des plumes blanches volèrent et Panikovski sortit en courant. La main avait visiblement manqué au toréador et, en situation de légitime défense, il n’avait pas porté le bon coup à l’oiseau. La propriétaire de l’oie lui courait après en brandissant une bûche.


     « Misérable femme, nullité ! » criait Panikovski en se précipitant hors du village. »


     — Quel moulin à paroles ! s’exclama Ostap sans cacher son dépit. Notre spectacle est fichu à cause de ce vaurien. Filons avant qu’on ne nous reprenne les quinze roubles.


     Entretemps, la propriétaire courroucée avait réussi à rattraper Panikovski et lui envoyait une volée de coups sur le dos. Le violateur de la convention s’écroula à terre, mais se releva d’un bond et prit ses jambes à son cou avec une rapidité surnaturelle. Ayant châtié le coupable, la propriétaire s’en revint en vitesse, toute contente. Passant à côté des Antilopiens, elle les menaça de sa bûche.


     — C’en est fini de notre carrière artistique, dit Ostap en quittant d’un bon pas le village. Le dîner, le repos, tout est perdu.


     Il ne retrouvèrent Panikovski que trois kilomètres plus loin. Il gisait dans un fossé au bord de la route et poussait des plaintes. Il était livide de fatigue, de peur et de douleur et son visage avait perdu ses nombreuses taches rougeâtres de vieillard. Il était si pitoyable que le capitaine renonça au châtiment qu’il lui réservait.


     « Aliocha Popovitch a reçu une raclée sur sa puissante échine ! » dit Ostap en le dépassant.


     Tous regardèrent Panikovski avec dégoût. Il se retrouva de nouveau à traîner en queue de colonne, gémissant et balbutiant :


     « Attendez-moi, n’allez pas si vite. Je suis vieux, je suis malade, je me sens mal !… L’ Oie ! La cuisse ! Le cou ! La femina !… Misérables, nullités !… »


     Mais les Antilopiens avaient tant l’habitude des doléances du vieillard qu’ils n’y firent pas attention. La faim les poussait en avant. Ils ne s’étaient encore jamais retrouvés dans un situation si sombre et si inconfortable. La route s’étirait à l’infini et Panikovski restait toujours plus en arrière. Les amis étaient déjà descendus dans un vallon étroit et jaunâtre qu’on voyait encore la silhouette noire du violateur de la convention se détacher en haut de la colline, sur le fond verdâtre du ciel au crépuscule.


     « Le vieux est devenu impossible, dit l’affamé Bender. Il va falloir le renvoyer. Choura, allez nous chercher ce simulateur ! »


     À contrecœur, Balaganov partit remplir sa mission. Tandis qu’il montait la colline, la silhouette de Panikovski disparut.


     « Il s’est passé quelque chose », dit Kozlewicz un peu plus tard en regardant la crête de la colline, où Balaganov faisait des signaux avec ses bras.


     Le chauffeur et le capitaine gravirent la colline.


     Le violateur de la convention gisait au milieu de la route, inerte comme une poupée. Le ruban rose de sa cravate traversait de biais sa poitrine. Il avait une main repliée derrière le dos. Ses yeux fixaient effrontément le ciel. Panikovski était mort.


     « Le cœur a lâché, dit Ostap pour dire quelque chose. Je n’ai pas besoin de stéthoscope pour le diagnostiquer. Pauvre vieux ! »


     Il se détourna. Balaganov n’arrivait pas à détacher ses yeux du défunt. Son visage se crispa soudain et il articula avec difficulté :


     «  Et je l’ai battu à cause des poids. Et un peu plus tôt, nous nous étions bagarrés. »


     Kozlewicz repensa à la défunte « Antilope », regarda Panikovski avec épouvante et entonna une prière en latin.


     « Arrêtez, Adam ! dit le Grand Combinateur. Je sais tout ce que vous avez l’intention de faire. À la suite du psaume, vous allez dire : “Dieu donne, Dieu reprend », ensuite : “Nous sommes tous dans la main de Dieu”, et puis encore quelque chose n’ayant aucun sens du genre : “Son sort est plus enviable que le nôtre, à présent”. Nous n’avons nul besoin de tout cela, Adam Casimirovitch. Nous avons une simple tâche à accomplir : le corps doit être confié à la terre. »


     Il faisait tout à fait nuit lorsque fut trouvé le dernier refuge du violateur de la convention. C’était une tombe naturellement creusée par les pluies au pied d’une dalle de pierre fichée verticalement dans la terre. Cette dalle était visiblement là depuis une éternité. Peut-être s’était-elle ornée autrefois de l’inscription : « Domaine du propriétaire et commandant à la retraite Guéorgui Afanassiévitch Volk-Lissitski », peut-être que c’était une simple borne datant de l’époque de Potiomkine, mais cela n’avait plus d’importance. Panikovski fut mis dans la fosse, on creusa la terre avec des bouts de bois pour combler la fosse. Puis les Antilopiens appuyèrent leurs épaules sur la dalle déjà branlante d’ancienneté, et la firent retomber à terre.  La tombe était prête, maintenant. À la lueur d’allumettes frottées, le Grand Combinateur traça sur la dalle, avec un morceau de brique, l’épitaphe :



Ci-gît


MIKHAÏL SAMUELÉVITCH

PANIKOVSKI


Homme sans passeport



     Ostap ôta sa casquette de capitaine et déclara :


     « J’ai souvent été injuste envers le défunt. Mais le défunt était-il un homme moral ? Non, ce n’était pas un homme moral. C’était un ex-aveugle, un imposteur et un voleur d’oies. Il mettait tous ses efforts à vivre aux crochets de la société. Mais la société ne voulait pas qu’il vécût à ses crochets. Mikhaïl Samuelévitch ne pouvait supporter cette divergence d’opinions, car il avait un caractère emporté. C’est pourquoi il est mort. C’est tout ! »


     Kozlewicz et Balaganov restèrent insatisfaits de l’oraison funèbre prononcée par Ostap. Ils eussent trouvé plus approprié que le Grand Combinateur se fût étendu sur les bienfaits et les services rendus par le défunt à la société, sur l’aide qu’il avait apportée aux pauvres, sur l’âme délicate du défunt, sur son amour des enfants ainsi que sur tout ce qu’on attribue à n’importe quel défunt. . Balaganov s’approcha même de la tombe pour exprimer lui-même tout cela, mais le capitaine avait déjà remis sa casquette et s’éloignait à grands pas.


     Lorsque le restant de l’armée antilopienne, ayant traversé le vallon, franchit une nouvelle colline, en contrebas leur apparut une petite gare.


     « Voilà la civilisation, dit Ostap. Nous y trouverons peut-être un buffet, de la nourriture. Nous dormirons sur les bancs. Au matin, nous ferons mouvement vers l’Est. Qu’en dites-vous ? »


     Le chauffeur et le mécanicien de bord se taisaient.


     — Qu’avez-vous à rester muets comme des fiancés ?


     — Vous savez, Bender, finit par dire Balaganov, je ne partirai pas. Ne vous vexez pas, mais je n’ai pas confiance. Je ne sais pas où nous devons aller. Nous périrons tous, là-bas. Je reste.


     — Je voulais vous dire la même chose, lui fit écho Kozlewicz.


     — Comme vous voulez, répliqua Ostap d’un ton soudain très sec.


     Il n’y avait pas de buffet à la gare. Une lampe-tempête à pétrole brûlait. Dans la salle d’attente, deux paysannes sommeillaient sur leurs sacs. Tout le personnel ferroviaire faisait les cent pas sur le quai de planches, scrutant avec anxiété l’obscurité de la nuit finissante, au-delà du sémaphore.


     — Vous attendez quel train ? demanda Ostap.


     — Un train non numéroté, répondit avec nervosité le chef de gare en rajustant sa casquette rouge à galons d’argent. Affectation spéciale. Il est retenu depuis deux minutes, la voie d’évitement ne lui donne pas le feu vert. 


     Un grondement retentit, les fils de fer tremblèrent, deux petits yeux de loup émergèrent du grondement et un train court et tout brillant entra en coup de vent dans la gare. Les larges vitres des wagons de première classe étincelèrent, les bouquets de fleurs et les bouteilles de vin du wagon-restaurant passèrent sous le nez des Antilopiens ; armés de lanternes, les chefs de wagon sautèrent du train encore en marche et le quai se remplit aussitôt du joyeux parler russe et de propos en langues étrangères. Des guirlandes étaient accrochées aux wagons qui portaient aussi des slogans :


     BIENVENUE AUX HÉROÏQUES CONSTRUCTEURS DE LA GRANDE LIGNE DE L’EST !


     Le train spécial amenait les invités à l’inauguration du Turksib.


     Le Grand Combinateur disparut. Il réapparut trente secondes plus tard et chuchota :


     — J’y vais ! Comment, je n’en sais rien, mais j’y vais ! Je vous le demande pour la dernière fois : voulez-vous venir avec moi ?


     — Non, fit Balaganov.


     — Je ne pars pas, dit Kozlewicz. Je n’en peux plus. 


     — Mais qu’allez-vous faire ?


     — Et que puis-je faire ? répondit Choura. Je vais redevenir fils du lieutenant Schmidt, voilà tout.


     — Je pense remonter l’« Antilope », dit plaintivement Adam Casimirovitch. Je vais y retourner, l’examiner et me mettre à la réparer.


     Ostap voulait dire quelque chose mais un long sifflement lui imposa le silence. Il attira à lui Balaganov, lui tapota le dos, embrassa Kozlewicz, agita la main et courut vers le train dont les wagons se heurtaient déjà sous la première impulsion de la locomotive. Mais il fit demi-tour avant d’atteindre le train et fourra dans la main de Kozlewicz les quinze roubles qu’il avait reçus pour le spectacle, avant de sauter sur le marchepied du train qui avançait déjà.


     Jetant un coup d’œil en arrière, il vit à travers la brume violette deux petites silhouettes escalader le remblai. Balaganov regagnait la troupe tumultueuse des enfants du lieutenant Schmidt. Kozlewicz cheminait vers les débris de l’« Antilope ».


    











Notice synthétique



     À la croisée des chemins : dans les anciens contes russes, les Preux se retrouvent souvent devant une bifurcation. Une seule route est la bonne… La suite du texte va développer ce thème, ironiquement, car il est difficile de voir en nos lascars — notamment en Panikovski – de preux chevaliers… https://fr.wikipedia.org/wiki/Bogatyr

     A. Préchac rappelle qu’à l’époque stalinienne, le renouveau du nationalisme remit à l’honneur ces vieilles légendes épiques, les bylines


        Par ailleurs, le corbeau est un symbole de malheur, en Russie. Il y a un avertissement dans l’image du corbeau sur la borne.


      Dans le texte russe, la clé anglaise s’appelle… une clé française.


     des kolkhoziens dépourvus de tact et autres citoyens exemplaires : A. Préchac relève cette contraction [inversée !] de deux expressions courantes, celle de « kolkhozien exemplaire » et  d’ »individus dépourvus de tact ». Dans le contexte de la collectivisation imposée, cette ironie est très osée. Suite de la note trouvée chez A. Préchac : « Les “brigades littéraires et musicales” représentent la forme idéalisée du “rapprochement entre la ville et la campagne” [cf l’encrier du chapitre 15…] tenté dès cette époque : Pasternak dut ainsi, à son corps défendant, se rendre dans l’Oural en 1931 et en revint horrifié : voir les Lettres à Zina et les Mémoires de cette dernière qui lui font suite (Éditions Stock). Les cas de heurts avec les paysans étaient en fait bien plus fréquents que l’entente parfaite, comme en témoignent les nouvelles de Platonov. À côté de cas patents d’exploitation éhontée des pauvres par les riches, on traitait de “koulaks” et de “parasites” les paysans relativement aisés qui avaient acquis leurs biens à la sueur de leur front… »


     C’est là qu’est l’âme russe ! C’est là qu’on sent la Russie ! Vingt-huitième vers (sans compter la dédicace) du (très long) poème Rouslan et Lioudmila de Pouchkine, qui reprend nombre de thèmes du folklore russe, notamment l’Oiseau de feu et le magicien Kachtchieï, (« le tsar qui dépérit sur son or »), récupérés par le régime sous forme dépoétisée, affadie, d’où, ici, l’ironie grinçante de l’anachronisme « le koulak Kachtchieï » (d’après une note trouvée chez A. Préchac).


https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Oiseau_de_feu

https://ilibrary.ru/text/440/p.1/index.html


     Remarque phonologique sur Kachtchieï : cette écriture (qu’adopte aussi A. Préchac) peut sembler compliquée, Wikipedia la simplifie. Cependant, il faut savoir que la lettre russe щ – qui se prononce chtch – est mouillée, alors que la lettre ш (ch) est dure. Cela me fait écrire Khrouchtchiov (l’accent est final) le nom de l’ancien dirigeant écrit un peu partout Khrouchtchev…


     À propos des « moines errants » : c’est une allusion distanciée (par le biais du féérique) aux persécutions religieuses qui avaient jeté sur les routes des milliers de moines expulsés de leurs monastères détruits ou réquisitionnés. Nombre d’entre eux finiront dans des camps (note d’Alain Préchac).


     Kozlewicz a perdu sa monture comme Vronski aux courses, dans Anna Karénine (rappel judicieux d’A. Préchac).


     Le lait et le foin, vous vous souvenez ? Cela renvoie au chapitre 7 : “Du lait et du foin, dit Ostap lorsque l’« Antilope », à l’aube, quitta le village, que peut-il y avoir de mieux ?”


     À propos de la mort de Panikovski : “Anatole France était (et reste) très lu en Russie : la scène de la désintégration de l’« Antilope » au moment où Panikovski prononçait un discours enflammé, puis sa mort et son inhumation, rappellent trait pour trait une scène de La Rôtisserie de la reine Pédauque : Jérôme Coignard exposait lui aussi sous une forme lyrique ses passions lorsque sa voiture se renverse. Il meurt, ses compagnons l’enterrent.” (note due à I. Chtcheglov)


     Sur l’oraison funèbre de Panikovski : à la suite d’I. Chtcheglov, A. Préchac y reconnaît le style rhétorique de Staline. Ayant lu en russe la trilogie Les Enfants de l’Arbat d’Anatoli Rybakov, qui donne souvent la parole à Staline, je souscris à cette remarque.


     La tombe de Panikovski : l’inscription imaginaire sur la dalle est en slavon. Quant à Potiomkine, c’est la transcription correcte du nom du favori de Catherine II…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Grigori_Potemkine


     Le train spécial est un train portant une lettre (ou plusieurs), contrairement aux trains ordinaires, qui sont numérotés. C’est un train « à lettre ».


     Les enfants du lieutenant Schmidt : revoyez le début de l’histoire – les deux premiers chapitres –, si vous avez oublié…