mercredi 31 janvier 2024

Piotr Pétrovitch Karataïev (Ivan Tourguéniev)

     Il y a de cela cinq ans, à l’automne, sur la route allant de Moscou à Toula2, je dus rester presque une journée entière au relais de poste, en raison d’un manque de chevaux. Je revenais de la chasse, et avais eu l’imprudence de renvoyer ma troïka3. Le maître de poste, homme déjà âgé, morose, avec des cheveux lui retombant sur le nez et de petits yeux endormis, répondait à mes demandes et à mes plaintes par des grognements hachés, claquant la porte dans un accès de colère comme s’il maudissait son emploi, et, sortant sur le perron, il enguirlandait les cochers qui pataugeaient lentement dans la boue avec des dougas4 d’un poud5 sur les bras, ou étaient assis sur un banc, à bâiller et à se gratter la tête sans faire particulièrement attention aux cris de colère de leur chef. J’avais déjà bu du thé trois fois, vainement essayé à plusieurs reprises de m’endormir, j’avais lu toutes les inscriptions sur les murs et sur les vitres – je mourais d’ennui. Je contemplais avec un froid et total désespoir les brancards levés de mon tarantass6, quand soudain une clochette retentit, et une petite télègue7, attelée à une troïka de chevaux éreintés s’arrêta devant le perron. Le nouvel arrivant sauta à bas de la télègue et entra dans la salle en criant : « Des chevaux, au plus vite ! » Pendant qu’il écoutait, avec la stupéfaction de rigueur, la réponse négative du maître de poste, je pus à loisir, avec la curiosité avide d’un homme en proie à l’ennui, examiner de la tête aux pieds8 mon nouveau compagnon. Il semblait avoir près de trente ans. La variole avait laissé des traces indélébiles sur son visage sec et jaunâtre, au désagréable reflet de cuivre ; ses longs cheveux d’un noir bleuâtre retombaient en cercles sur son col, à l’arrière, et, sur le devant, s’enroulaient crânement autour de ses tempes ; ses petits yeux bouffis regardaient, et c’était tout ; quelques poils dépassaient sur sa lèvre supérieure. En propriétaire excentrique, amateur de foires aux chevaux, il était vêtu d’un arkhalouk9 bariolé et passablement sale, d’une cravate de soie lilas, d’un gilet à boutons de cuivre et d’un pantalon gris tellement évasé vers le bas qu’on voyait à peine le bout de bottes non cirées. Il puait le tabac et la vodka ; à ses épais doigts rouges, presque cachées par les manches de l’arkhalouk, se voyaient des bagues en argent et des anneaux de Toula10. Ce genre de personnage se voit, en Russie, non par douzaines, mais par centaines ; il faut bien dire que les connaître ne procure aucun agrément ; pourtant, en dépit de la prévention avec laquelle je contemplais le nouvel arrivant, je ne pus m’empêcher de remarquer la bonne insouciance et la passion qu’exprimait son visage.

     — Voilà quelqu’un qui attend depuis plus d’une heure, monsieur11, dit le maître du relais en me désignant.

     « Plus d’une heure ! » le scélérat se moquait de moi.

     — C’est peut-être moins urgent pour Monsieur, répondit l’autre.

     — Cela, monsieur, nous ne pouvons pas le savoir, fit, morose, le maître de poste.

     — Ainsi, c’est non ? Impossible d’avoir des chevaux ?

     — Impossible, monsieur. Je n’en ai pas un seul.

     — Eh bien, faites-moi apporter le samovar. On va attendre, s’il n’y a rien à faire.

     Le nouvel arrivant s’assit sur un banc, jeta sa casquette sur la table et se passa la main dans les cheveux. 

     — Vous avez déjà pris du thé, vous ? me demanda-t-il.

     — Oui.

     — Vous en reprendrez bien pour me tenir compagnie ?

     J’y consentis. Le gros samovar rouge fit, pour la quatrième fois, son apparition sur la table. Je sortis de ma sacoche une bouteille de rhum. Je ne m’étais pas trompé, mon interlocuteur était bien un petit hobereau. Il s’appelait Piotr Pétrovitch Karataïev. 

     Nous causâmes. Il n’était pas là depuis une demi-heure qu’il me racontait déjà sa vie avec une franchise débonnaire.

     — Je me rends à Moscou, maintenant, me dit-il en en finissant son quatrième verre12 de thé ; je n’ai plus rien à faire à la campagne.

     — Pourquoi plus rien ?

     — Plus rien, c’est tout. Mon bien est sens dessus dessous, j’ai ruiné mes moujiks, il faut bien le reconnaître ; j’ai connu des années néfastes : de mauvaises récoltes, des malheurs divers, voyez-vous… Et puis, ajouta-t-il en regardant tristement de côté, je fais un drôle d’exploitant !

     — Pourquoi donc ?

     — Mais non, m’interrompit-il, vous me voyez en exploitant ? Voyez-vous, poursuivit en tournant la tête de côté et en tirant avec ardeur sur sa pipe, en me regardant, vous pouvez penser qu’en fait… et je dois, en effet avouer que j’ai reçu une éducation médiocre ; les moyens manquaient. Vous m’excuserez, je suis un homme franc, et puis…

     Il n’acheva pas et eut un geste de découragement. Je me mis à lui assurer qu’il se trompait, que notre rencontre me faisait très plaisir, etc., ensuite, je lui fis observer qu’il n’était pas besoin d’une grande éducation, me semblait-il, pour diriger un domaine.

     — Je suis d’accord, me répondit-il, je suis d’accord avec vous. Mais il y faut une disposition particulière. Il y a des gens qui plument les moujiks à volonté, et s’en tirent ! Mais moi… Permettez une question, vous êtes de Piter, ou de Moscou ?

     — Je suis de Pétersbourg.

     Il fit jaillir de ses narines un long jet de fumée.

     — Moi, je vais prendre du service à Moscou.

     — Vous avez choisi dans quelle administration ?

     — Je ne sais pas ; ce qui me conviendra. Je vous avoue que le service me fait peur : c’est un coup à se retrouver embringué dans une affaire. J’ai toujours habité à la campagne ; j’y suis habitué, voyez-vous… mais rien à faire… je suis dans la gêne ! Ah oui, la gêne !

     — Vous serez tout de même dans une capitale15.

     — Dans une capitale… Ah, je ne sais pas ce qu’on y trouve de bon. On verra, peut-être qu’il y a aussi du bon là-bas… Mais il me semble que rien ne vaut la campagne.

     — Et vous ne pouvez vraiment pas y rester ?

     — Non, c’est impossible; Mon domaine n’est déjà presque plus le mien.

     — Pourquoi ?

     — Il y a là-bas un brave homme, mon voisin, qui s’est établi chez moi… Une lettre de change…

     Le pauvre Piotr Pétrovitch se passa la main sur la figure, réfléchit et hocha la tête.

     — Mais bon !… Il faut bien reconnaître, ajouta-t-il après une courte pause, que je ne puis m’en prendre à personne : je suis le seul coupable. J’aimais faire la noce ! Sapristi, oui, j’aime me donner du bon temps !

     — Vous meniez joyeuse vie, à la campagne ? lui demandai-je.

     — Monsieur, répondit-il posément et en me regardant droit dans les yeux, j’avais douze paires de chiens courants16, et je peux vous dire que des chiens comme ça, il y en a pas beaucoup. (Il pronoça le dernier mot d’une voix chantante.) Du genre à vous forcer un lièvre en un rien de temps, et pour les bêtes fauves, de vrais serpents, des aspics. Je pouvais aussi me vanter de mes lévriers. Tout ça, c’est du passé, inutile de se mentir. Je chassais aussi au fusil. J’avais une chienne, Comtesse, extraordinaire comme chien d’arrêt, flairant toujours le nez en l’air. Il m’arrivait, aux bords d’un marais, de lui dire : « Cherche18 ! » Et si elle ne bougeait pas, c’est qu’une douzaine de chiens n’auraient rien trouvé. Si elle partait, en revanche, elle serait morte sur place, de bon cœur !… Et tellement polie, à l’intérieur de la maison. On lui présentait un bout de pain de la main gauche, en disant : « Un Juif y a mordu », elle ne le prenait pas ; on le lui donnait de la main droite, en disant : « La maîtresse y a mordu », elle le prenait aussitôt et le mangeait. J’ai aussi eu d’elle un chiot, un excellent chien, je voulais l’emmener avec moi à Moscou, mais un ami me l’a demandé, ainsi que mon fusil de chasse, en me disant : « Tu ne t’occuperas pas de ça à Moscou, vieux frère, tu auras bien autre chose en tête. » Et je lui ai donné et le chien et le fusil ; voyez-vous, tout est resté là-bas.

     — Mais vous auriez pu chasser à Moscou aussi.

     — Bah, à quoi bon ? Quand on n’a pas su se tenir, il faut accepter de souffrir. Dites-moi plutôt, la vie est-elle chère, à Moscou ?

     — Non, pas trop.

     — Pas trop ?… Et dites-moi, je vous prie, c’est vrai qu’il y a des Tziganes à Moscou ?

     — Quels Tziganes ?

     — Eh bien, ceux qui courent les foires ?

     — Oui, on en trouve…

     — Bon, tant mieux. J’aime les Tziganes, sapristi, je les aime…

     Et les yeux de Piotr Pétrovitch brillèrent d’une gaieté crâne. Mais brusquement, il commença à tournoyer sur son banc, puis devint songeur, baissa la tête et me tendit son verre vide.

     — Donnez-moi donc de votre rhum, dit-il.

     — Mais il n’y a plus de thé.

     — Pas grave, comme ça, sans thé… Hélas !

     Karataïev se mit la tête dans les mains et appuya ses coudes sur la table. Je le regardais sans rien dire, attendant les effusions de sentiments, parfois même accompagnées de larmes, dont sont prodigues les gens ayant un coup dans le nez, mais, lorsqu’il releva la tête,, j’avoue que l’expression de profonde tristesse de son visage me frappa.

     — Qu’avez-vous ?

     — Rien, monsieur19… je me suis souvenu du passé. Une histoire, monsieur… Je vous la raconterais bien, mais j’ai peur de vous ennuyer…

     — Je vous en prie !

     — Oui, reprit-il en soupirant… il arrive des choses… rien que moi, par exemple… Je vais vous raconter, si vous voulez. enfin, je ne sais pas…

     — Racontez donc, mon cher Piotr Pétrovitch.

     — Soit ! Quoique ce soit… Voyez-vous, commença-t-il – mais vraiment, je ne sais pas…

     — Voyons, mon cher Piotr Pétrovitch !

     — Eh bien soit ! Donc, voici ce qui m’est arrivé. Je vivais dans mon village… Une jeune fille me tapa dans l’œil, quelle jeune fille c’était ! Belle, intelligente, et d’une grande bonté. Elle s’appelait Matriona20. Et c’était une simple fille, une serve21, tout bonnement. Seulement, par malheur, elle ne m’appartenait pas, elle était à quelqu’un d’autre. Bon, j’en suis tombé amoureux – une histoire, vous disais-je –, et elle de moi. Matriona a commencé à me demander de la racheter à sa maîtresse ; bien sûr, j’y avais pensé de mon côté… Sa maîtresse était riche et terriblement âgée ; elle vivait à une quinzaine de verstes22 de chez moi. Alors, un beau jour, comme on dit, je fis atteler une troïka à mon drojki23 – le cheval du milieu, un amblier24, était un asiatique hors du commun, appelé25 Lampourdos –, m’habillai du mieux que je pus et me rendis chez la barynia26 de Matriona : une grande maison, avec des ailes, un jardin… Matriona m’attendait au tournant, elle voulait me parler, mais me baisa seulement la main et s’éloigna. Une fois arrivé, j’entre dans le vestibule et demande : « Madame reçoit-elle27 ?… » Un grand escogriffe de laquais me dit : « Qui dois-je annoncer27 ? » Moi : « Annonce, mon garçon, que le propriétaire Karataïev est venu pour parler d’une affaire. » Le laquais parti, je reste à attendre, en pensant : « Qu’est-ce que ça donnera ? Elle va peut-être me demander un prix fou, la fripouille, toute riche qu’elle est. Peut-être cinq cents roubles. » Bon, le laquais finit par revenir et dit : « Par ici, je vous prie ». J’entre derrière lui dans un salon. Une petite vieille tout jaune est assise dans un fauteuil et cligne des yeux. « Que puis-je pour vous ? » Je crus nécessaire, voyez-vous, de commencer par déclarer que j’étais content de faire sa connaissance. « Vous faites erreur, je ne suis pas la maîtresse de maison, je suis une parente… Que puis-je pour vous ? » Je déclarai que je devais parler à Madame en personne. « Maria Ilinitchna28 ne reçoit pas aujourd’hui : elle est souffrante… Que puis-je pour vous ? » Rien à faire, me dis-je, et je lui expliquai la situation. La vieille m’écouta. « Matriona ? Quelle Matriona ? » — « Matriona Fiodorova, la fille de Koulik29. »  — « La fille de Fiodor Koulik… mais d’où la connaissez-vous ? » — « Par hasard. » — « Connaît-elle vos intentions ? » — « Oui. » La vieille se tut quelques instants, puis dit : «  Je vais lui apprendre, à cette saleté !… » J’étais stupéfait, je l’avoue. « De grâce, dites-moi pourquoi ! Je suis prêt à vous verser la somme que vous fixerez. » La vieille chipie se mit à siffler : « La belle affaire ! Nous avons drôlement besoin de votre argent !… Mais elle, je vais la… je vais la… Je vais lui mettre du plomb dans la tête. » De colère, la vieille eut une quinte de toux. « Elle n’est pas bien, chez nous, peut-être ? Ah, la diablesse, pardonne-moi mon péché30, Seigneur ! Je l’avoue, je m’enflammai. « Pourquoi menacez-vous cette pauvre fille ? Quelle faute a-t-elle commise ? » Le vieille se signa. « Ah, Seigneur Jésus-Christ ! En ce qui concerne mes serfs, n’ai-je pas toute liberté ? » — « Mais elle n’est pas à vous ! » — « Maria Ilitnitchna sait ce qu’il en est ; ce ne sont pas vos affaires, cher monsieur ; et je montrerai à cette Matriona qui est sa maîtresse. » J’avoue que j’étais à deux doigts de me jeter sur la maudite vieille, mais je repensai à Matriona et abaissai les mains. Je perdis courage à un point impossible à raconter ; je me mis à supplier la vieille : « Prenez ce que vous voulez. » — « Mais qu’avez-vous besoin d’elle  ? » — « Elle me plaît, ma bonne dame ; mettez-vous à ma place… Laissez-moi vous baiser la main. » Et je baisai la main de cette arnaqueuse ! « Eh bien, marmonna la sorcière, j’en parlerai à Maria Ilitnitchna ; elle décidera ; vous, revenez après-demain. » Je revins chez moi très inquiet. Je commençais à deviner que j’avais mal mené l’affaire, que j’avais eu tort d’avouer mon penchant, mais il était un peu tard pour m’en apercevoir. Deux jours plus tard, je me rendis chez la barynia. On m’introduisit dans son cabinet. Des fleurs à profusion, une décoration parfaite. La dame était assise dans un fauteuil des plus étrange, la tête penchée en arrière, renversée sur des coussins ; la parente de l’autre jour était là, ainsi qu’une jeune blondasse à la bouche tordue, en robe verte, quelque dame de compagnie, sans doute. « Asseyez-vous, je vous prie », nasilla la vieille dame. Je m’exécutai. elle se mit à s’enquérir de mon âge, de mes états de service et de mes intentions, le tout en le prenant de haut, avec importance. Je répondis de façon détaillée. La vieille prit un mouchoir sur la table, l’agita pour s’éventer… « Katérina Karpovna m’a fait son rapport sur vos intentions, me dit-elle ; mais j’ai pour règle de ne pas laisser mes gens se mettre au service d’autrui. Cela n’est pas convenable et ne peut que causer du désordre dans une maison correcte. J’ai déjà donné des directives, de la sorte, vous n’avez plus à vous tracasser. » — « De grâce, je ne vois pas où est le tracas… Peut-être Matriona Fiodorovna vous est-elle indispensable ? » — « Non, elle ne l’est pas. » — « Alors, pourquoi ne voulez-vous pas me la céder ? » — « Parce que cela me déplaît, voilà tout. J’ai donné l’ordre qu’elle soit envoyée dans un village de la steppe. » C’était comme si la foudre m’avait frappé. La vieille dit deux mots en français à à la demoiselle en vert, qui sortit. « Je suis, dit-elle, une femme aux règles strictes, et puis ma santé est faible ; je ne puis supporter les tracas. Vous êtes encore un jeune homme, je suis en droit, en tant que femme âgée, de vous donner des conseils. Ne feriez-vous pas mieux de songer à vous établir, à vous marier, en cherchant un bon parti ? Si les jeunes filles riches sont rares, on peut trouver une jeune fille pauvre, mais de bonne moralité. » Voyez-vous, je regardais la vieille sans comprendre un traître mot de ses divagations ; je l’entends parler de mariage, mais  c’est le village de la steppe qui bourdonne à mes oreilles. Me marier !… Quel diable…

     À ce moment, le conteur s’arrêta brusquement et me regarda.

     — Vous n’êtes pas marié, n’est-ce pas ?

     — Non.

     — Bien sûr, évidemment. Bon, j’ai perdu patience : « Allons, ma bonne dame, pourquoi me débiter ces balivernes ? Il est bien question de mariage ! Je veux juste savoir si vous me cédez la fille Matriona, oui ou non. » La vieille poussa les hauts cris. « Ah, il me dérange ! Ah, dites-lui de s’en aller ! Ah !… » Sa parente courut vers elle, tout en me criant dessus. La vieille continuait à gémir : « Est-ce que j’ai mérité cela ? … Ne suis-je plus la maîtresse, chez moi ? Ah, ah ! » Je pris mon chapeau et sortis comme un fou.

     — Vous allez peut-être me blâmer, reprit mon interlocuteur, pour m’être si fortement attaché à une jeune fille de condition inférieure ; je n’ai pas l’intention de me justifier… C’est arrivé ainsi, voilà tout !… Croyez-le ou non, je n’eus plus de repos, ni le jour, ni la nuit… J’étais au supplice ! Pourquoi, me disais-je, avoir perdu cette pauvre fille ? Dès que je l’imaginais, vêtue d’un zipoune, en train de garder les oies, injuriées par un rustre de staroste32 en bottes goudronnées – la barynia ayant donné l’ordre de lui mener la vie dure –, j’étais envahi d’une sueur froide. Je ne le supportai pas, je m’enquis du village où on l’avait envoyée, et je partis là-bas à cheval. Je n’y arrivai que le lendemain, vers le soir. On ne s’attendait visiblement pas à ce que je cause un tel incident, et aucun ordre n’avait été donné me concernant. Je me rendis directement chez le staroste, en voisin, prétendument ; en entrant dans la cour, j’aperçus Matriona en haut de quelques marches, la tête appuyée sur sa main. Elle faillit crier, mais je l’en dissuadai en lui faisant signe d’aller dans les champs au-delà de la cour. J’entrai dans l’izba ; je papotai avec le staroste, en lui racontant un tas de boniments, et trouvai le bon moment pour aller rejoindre Matriona. La pauvrette se pendit à mon cou. Elle était toute pâle et amaigrie, ma colombe. Moi, voyez-vous, je lui disais : « Tout ça n’est rien, Matriona, ne pleure pas », tout en pleurant moi-même comme une fontaine… Je finis tout de même par en avoir honte, et je lui dis : « Matriona, les larmes ne remédient pas au malheur33, il faut agir, et agir résolument, comme on dit ; il faut que tu t’enfuies avec moi, voilà ce qu’il faut faire. » Matriona était saisie d’effroi… « Impossible ! Ce sera ma perte, ils me mettront en pièces ! » — « Sotte que tu es, qui te trouvera ? » — « Ils me  trouveront, ils me trouveront à coup sûr. Je vous remercie Piotr Pétrovitch, je n’oublierai pas vos bontés, mais laissez-moi, à présent ; il est clair que c’est ma destinée. » — « Ah, Matriona, Matriona, moi qui te prenais pour une fille ayant du caractère ! » Et elle en avait beaucoup, de caractère… ainsi qu’un cœur d’or ! « Comment pourrais-tu rester ici ?! Rien ne pourrait être pire. Dis-moi : tu as déjà tâté des poings du staroste, hein ? » Matriona devint toute rouge et ses lèvres se mirent à trembler. « Mais, à cause de moi, on rendra la vie impossible à ma famille. » — « Ah, ta famille… On la déportera, c’est ça ? » — « Oui, mon frère, certainement. » — « Et ton père ? » — « Non, pas mon père : c’est le seul bon tailleur qu’il y ait chez nous. » — « Eh bien, tu vois ; et ton frère n’en mourra pas. » Le croiriez-vous, je lui fis entendre raison ; elle imagina encore de me dire que cela me vaudrait des ennuis… « Ça, ce n’est pas ton affaire. », lui dis-je. Et je l’emmenai avec moi… pas cette fois-là, mais une autre : je vins de nuit en télègue – et l’emmenai.

     — Pour de bon ?

     — Parfaitement… Elle s’installa donc chez moi. Ma maison était petite, et j’avais peu de domestiques. Je vous dirai sans ambages que mes gens m’estimaient, et ne m’auraient trahi pour rien au monde. Une vie de coq en pâte commença pour moi. Matrionouchka34 prit du repos et des couleurs ; je m’attachais de plus en plus à elle… Et quelle fille c’était ! D’où lui venait tout cela ? Elle savait chanter, danser, jouer de la guitare… Je ne la faisais pas voir à mes voisins, à quoi bon, ils ne tiendraient pas leur langue ! Mais j’avais un ami intime, Panteleï Gornostaïev – vous ne le connaîtriez pas ? Il était tout bonnement fou d’elle : vrai, il lui baisait les mains comme à une dame. Et je vous dirai que Gornostaïev, c’est autre chose que moi : c’est un homme instruit, qui a lu tout Pouchkine ; quand il se mettait à causer avec Matriona et moi, nous étions tout ouïe. Cet original-là lui apprit à écrire ! Et moi, je l’habillais mieux que la femme du gouverneur ; je lui avait fait faire une pelisse de velours framboise bordée de fourrure… comme elle lui allait ! Cette pelisse, c’était une madame de Moscou qui l’avait cousue à la dernière mode, avec rétrécissement à la taille. Quelle merveille, cette Matriona ! Il lui arrivait de rester pensive pendant des heures, regardant le parquet sans lever un sourcil ; et moi, je demeurais assis également, à la regarder sans pouvoir en être rassasié, à croire que je ne l’avais jamais vue… Souriait-elle, mon cœur tressaillait comme sous une caresse. Et la voilà qui se mettait soudain à rire, à plaisanter, à danser ; elle m’étreignait si fort, avec tant de feu, que la tête me tournait. Du matin au soir, je me demandais comment lui faire plaisir. Le croiriez-vous ? quand je lui faisais un cadeau, c’était seulement pour voir sa joie, pour voir ma chère âme rougir de plaisir, essayer ce que je lui offrais, et, dans cette nouvelle robe, venir à moi et m’embrasser. j’ignore comment son père, Koulik, eut vent de la chose ; le vieux vint nous voir et se mit à pleurer… C’était de joie, qu’il pleurait, qu’est-ce que vous croyez ? Nous le comblâmes de cadeaux. Ma colombe, à la fin, sortit un billet de cinq roubles pour le lui donner, et il tomba à ses pieds, l’original36 ! Nous vécûmes ainsi près de cinq mois ; et j’aurais bien passé le reste de ma vie avec elle, mais je suis maudit !

     Piotr Pétrovitch s’arrêta.

     — Qu’est-il donc arrivé ? lui demandai-je avec intérêt.

     Il eut un geste de découragement.

     — Tout est allé au diable, et c’est moi qui ai causé sa perte. Matrionouchka adorait les promenades en traîneau, chez moi, et parfois, elle conduisait elle-même ; elle enfilait sa pelisse, ses moufles brodées de Torjok37 et encourageait les chevaux par de petits cris. Nous nous promenions toujours le soir, vous savez, pour ne rencontrer personne. Mais un jour, voyez-vous, il faisait si beau, un froid sec, un ciel pur, pas de vent… nous partîmes. Matriona tenait les rênes. Je me demandai au bout d’un moment où elle nous emmenait : n’était-ce pas à Koukouïevka, le village de sa maîtresse ? Tout juste. Je luis dis alors : « Tu es folle, où vas-tu ? » Elle me regarda par-dessus son épaule et eut un sourire railleur, l’air de dire qu’elle avait envie de s’amuser un peu. « Bon, me dis-je, risquons le coup ! » Passer devant la demeure seigneuriale, n’était-ce pas drôle, qu’en pensez-vous ? Nous allons donc. Mon amblier fend l’air, et les bricoliers, je vous dirai qu’ils sont comme des tourbillons : on voit déjà l’église de Koukouïevka ; mais voilà qu’apparaît, se traînant sur la route, un vozok38 vert, avec un laquais debout à l’arrière… C’est la barynia en promenade ! Je m’alarme, mais Matriona joue des guides et envoie notre attelage droit sur le vozok ! Le cocher en face, vous comprenez, voyant fondre sur lui une avalanche, une sorte d’Alchimérie39, veut s’écarter, voyez-vous, mais il le fait trop brusquement, et le vozok verse dans une congère. Une glace se brise, la barynia pousse des « Aïe, aïe, aïe ! Aïe, aïe, aïe ! » Sa demoiselle de compagnie piaille : « Arrêtez-les, arrêtez-les ! » Nous, nous filons le plus vite possible. Tandis que nous galopons, je songe que ça va mal finir, et que j’aurais mieux fait de l’empêcher d’aller à Koukouïevka. Qu’est-ce que croyez ? La barynia avait reconnu Matriona, et la vieille m’avait également reconnu, elle porta plainte contre moi, disant que sa serve en fuite vivait chez le gentilhomme Karataïev ; comme il se doit, elle exprima sa gratitude40 en déposant sa plainte ; voilà l’ispravnik41 qui vient me voir ; je le connaissais bien, ce Stepane Serguiéitch Kouzovkine, un brave homme, c’est-à-dire, en réalité, une canaille. Il arrive donc, et me dit « Alors, Piotr Pétrovitch, comment avez-vous pu faire ça ? C’est une grande faute, les lois sont claires à ce sujet. Moi : « Nous allons bien sûr en discuter, mais ne voulez-vous pas casser la croûte, après avoir fait cette route ? » Il accepte, mais ajoute : « La justice l’exige, vous le comprenez vous-même, Piotr Pétrovitch. » — « La justice, bien sûr, dis-je à mon tour… mais, au fait, j’ai entendu dire que vous aviez un petit cheval moreau, vous ne voulez pas l’échanger contre mon Lampourdos ?… Et la fille Matriona Fiodorovna ne se trouve pas chez moi. » — « Allons, Piotr Pétrovitch, fait-il, la fille est chez vous, nous ne sommes pas en Suisse42, ici… quant à Lampourdos, on peut faire l’échange ; on peut aussi juste le prendre, sans troc. » Tout de même, cette fois, je parvins à l’éconduire. Mais la vieille barynia n’en fit que davantage de tapage ; elle se disait prête à y mettre dix mille roubles. Voyez-vous, en me voyant, l’idée luii était soudain venue de me faire épouser sa demoiselle de compagnie en vert – cela, je l’appris par la suite –, elle enrageait d’autant plus. Ce que ces dames peuvent imaginer ! Sans doute  parce qu’elles s’ennuient… Les choses se passèrent mal pour moi : je ne ménageais pas mon argent, je tenais Matriona cachée. Peine perdue ! Je fus traqué, de quoi être complètement déboussolé. Je fis des dettes, je perdis la santé… Une nuit, étendu sur mon lit, je songeais : « Mon Dieu, Seigneur, pourquoi dois-je souffrir ainsi ? Que faire, si je ne peux pas cesser de l’aimer ?… Je ne peux pas, un point c’est tout ! » Tout à coup, voilà Matriona qui entre dans ma chambre. Je la cachais dans une de mes métairies, à deux verstes de ma maison. Je prends peur. « Que se passe-t-il ? On t’a découverte là-bas ? » — « Non, Piotr Pétrovitch, dit-elle, personne ne me dérange à Boubnovo ; mais cela va-t-il encore durer longtemps ? Cela me déchire le cœur, Piotr Pétrovitch ; j’ai pitié de vous, mon chéri ; je n’oublierai jamais votre tendresse, Piotr Pétrovitch, mais à présent, je suis venue vous faire mes adieux. » — « Qu’est-ce qui te prend, folle que tu es ? Comment ça, me faire tes adieux ? » — « Mais, comme ça… Je vais aller me livrer. » — « Et moi, petite folle, je vais t’enfermer au grenier… Tu as imaginé de me perdre ? Tu veux me faire mourir ? » Elle se tait et regarde le plancher. « Eh bien parle, parle donc ! » — « Je ne veux pas vous causer davantage d’ennuis, Piotr Pétrovitch. » Allez donc discuter avec elle… « Mais sais-tu, petite sotte, sais-tu, petite… folle… »

     Ici, Piotr Pétrovitch, éclata en sanglots.

     — Qu’est-ce que vous croyez ? reprit-il après avoir frappé la table du poing, et en s’efforçant de froncer les sourcils tandis que des larmes coulaient encore sur ses joues brûlantes : la fille l’a fait, elle est allée se livrer…

     — Les chevaux sont attelés ! s’exclama d’un ton solennel le maître de poste en entrant dans la pièce.

     Nous nous levâmes tous les deux.

     — Qu’est devenue Matriona ? demandai-je.

     Karataïev agita la main sans répondre.


     Un an après avoir rencontré Karataïev, il m’arriva d’aller faire un tour à Moscou. Un jour, avant le déjeuner, j’entrai au café situé derrière le Marché au Gibier44, cet original café moscovite45. Dans la salle de billard, à travers un nuage de fumée, apparaissaient des visages enluminés, des moustaches, des toupets, des dolmans à l’ancienne et des tenues à la dernière mode, à la Sviatoslav46. De maigres petits vieux vêtus de modestes redingotes, lisaient des journaux russes. Les garçons circulaient vivement avec leurs plateaux, se déplaçant sans bruit sur les tapis verts; Des marchands buvaient du thé d'un air concentré. Un individu  assez ébouriffé et point trop assuré sur ses jambes sortit brusquement de la salle de billard. Mettant les mains dans les poches, il baissa la tête et promena autour de lui un regard stupide. 

     — Tiens, tiens ! Piotr Pétrovitch !… Comment allez-vous ?

     Piotr Pétrovitch faillit se jeter à mon cou, et m’entraîna, en titubant légèrement, dans un petit salon particulier.

     — Voilà, me dit-il en me faisant asseoir avec sollicitude dans un fauteuil, ici, vous serez bien.  Garçon, de la bière ! Non, en fait, du champagne ! Eh bien, j’avoue que je ne m’attendais pas, je ne m’attendais pas… Il y a longtemps que vous êtes ici ? Vous y resterez longtemps ? C’est Dieu qui vous envoie, comme on dit…

     — Oui, vous vous souvenez…

     — Si je m’en souviens ? Bien sûr, me coupa-t-il précipitamment : c’est du passé… du passé…

     — Eh bien, que faites-vous de beau, ici, mon cher Piotr Pétrovitch ?

     — Je vis, comme vous pouvez voir. On vit bien, ici, les gens sont cordiaux. J’ai trouvé ici la tranquillité.

     Il soupira et leva les yeux au ciel.

     — Vous avez un emploi47 ?

     — Non monsieur, pas encore, je pense me trouver bientôt une place. D’ailleurs, qu’est-ce que le service ? Le plus important, ce sont les hommes. J’ai fait ici la connaissance d’hommes remarquables !…

     Le garçon entra, portant une bouteille de champagne sur un plateau noir.

     — Tenez, voilà un brave garçon… N’est-ce pas, Vassia48, que tu es un brave garçon ? À ta santé !

     Le garçon resta quelques instants, hocha la tête d’un air décent, sourit et sortit.

     — Oui, les gens sont bien, ici, poursuivait Piotr Pétrovitch : ils sont sensibles, ils ont une âme… Voules-vous que je vous fasse faire leur connaissance ? Il y a de bons gars… Ils seront tous enchantés49. Je leur dirai… Seulement, le malheur, c’est que Bobrov est mort.

     — Quel Bobrov ?

     — Sergueï Bobrov. Un bon gars ; il m’avait recueilli chez lui, moi l’ignorant, l’homme de la steppe. Panteleï Gornostaïev est mort, lui aussi. Ils sont tous morts, tous !

     — Vous êtes tout le temps resté à Moscou ? Vous n’êtes pas allé dans votre village ?

     — Dans mon village… il a été vendu, mon village.

     — Vendu ?

     — Aux enchères… Tiens, dommage que vous ne l’ayez pas acheté !

     — De quoi donc allez-vous vivre, Piotr Pétrovitch ?

     — S’il plaît à Dieu, je ne mourrai pas de faim ! Je n’ai pas d’argent, mais j’ai des amis. D’ailleurs, qu’est-ce que l’argent ? poussière ! L’or ? poussière50 !

     Il plissa les paupières, fourragea dans sa poche et me montra, dans sa main, deux pièces de quinze kopecks51 et une de dix. 

     — Qu’est-ce que c’est que ça ? de la poussière ! (et les pièces volèrent par terre.) Dites-moi plutôt, avez-vous lu Polejaïev52 ?

     —Je l’ai lu.

     — Avez-vous vu Motchalov53 dans Hamlet ?

     — Non, je ne l’ai pas vu.

     — Vous ne l’avez pas vu, pas vu… (Karataïev devint livide, roula des yeux hagards ; il se détourna ; de légers spasmes agitaient ses lèvres.) Ah, Motchalov, Motchalov ! « Mourir – dormir », dit-il d’une voix sourde.


                                    Et rien de plus ! et savoir que ce sommeil

                                       Met fin aux chagrins et aux mille revers

                                       Qui sont le lot des vivants… Une telle fin est digne

                                       D’être ardemment désirée ! Mourir… dormir…


     — Dormir, dormir ! murmura-t-il à plusieurs reprises.

       Dites-moi, je vous prie, tentai-je de dire ; mais il continuait avec feu :


                                    Qui supporterait le fouet et la raillerie de l’époque,

                                       L’impuissance du droit, l’oppression des tyrans,

                                       Les offenses de l’orgueilleux, l’amour oublié,

                                       Le mépris des âmes viles pour le mérite,

                                       Alors que nous pourrions nous procurer la paix

                                       D’un coup unique… Oh, rappelle

                                       Mes péchés dans ta sainte prière54 !


     Et il laissa tomber sa tête sur la table. Il commençait à bégayer et à divaguer.

     — « Et au bout d’un mois ! » reprit-il avec une force nouvelle.


                                    Un seul petit mois, vite écoulé !

                                       Elle n’a pas encore usé les souliers

                                       Qu’elle portait pour suivre, en pleurs,

                                       Le corps de mon pauvre père !

                                       Ô ciel ! Une bête sans raison ni parole

                                       Se fût affligée plus longtemps…


     Il porta le verre de champagne à ses lèvres, mais ne le but pas et poursuivit :


                                       Pour Hécube ?

                                       Qu’est-il à Hécube, et que lui est-elle,

                                       Pour qu’il pleure sur elle ?…

                                       Et moi… esclave méprisable et veule,

                                       Je suis un lâche ! Qui me traitera de vaurien ?

                                       Qui me dira : tu en as menti ?

                                       Et je supporterais l’offense… Oui !

                                       Pour le courage, je suis une colombe : je n’ai pas de fiel,

                                       Et je ne sens pas l’amertume de l’injure…


     Karataïev laissa échapper son verre et se prit la tête dans les mains. Il me sembla l’avoir compris. 

     — Bah, et puis ? finit-il par dire : celui qui rappelle le passé, qu’on lui arrache un œil56, n’est-ce pas ? (Il se mit à rire.) À votre santé !

     — Vous allez rester à Moscou ? lui demandai-je.

     — Je mourrai à Moscou !

     — Karataïev ! cria-t-on dans la pièce voisine. Où es-tu, Karataïev ? Amène-toi, mon cher-er !

     — On m’appelle, dit-il en se levant difficilement. adieu ! Si vous le pouvez, venez me voir, je demeure à ***.

     Mais le lendemain, en raison de circonstances imprévues, je dus quitter Moscou, et je ne revis jamais Piotr Pétrovitch Karataïev.




Notes


  1. Récit paru en 1847 dans la revue Le contemporain. Le patronyme, accentué sur la deuxième syllabe, se prononce quasiment : Pitrovitch…
  2. Toula est à deux cents kilomètres au nord-est d’Orel, ville natale de Tourguéniev.
  3. Rappel : c’est un attelage de trois chevaux. L’auteur évoque souvent sa troïka…
  4. Arc de limonière, pour les attelages.
  5. Plus de seize kilos.
  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarantass
  7. https://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A8gue
  8. Le russe inverse la proposition, et dit : « des pieds à la tête ».
  9. Sorte de caftan à bandes de tissu, en coton ou en soie, vêtement d’intérieur comme d’extérieur.
  10. Henri Mongault signale que « Les bijoux, les armes et les samovars étaient renommés.   Ces bijoux de bronze étaient alors renommés, en province du moins. » Et il renvoie au début des Âmes mortes : le plastron de Tchitchikov, au chapitre I, est en effet fermé par une épingle en bronze de Toula figurant un pistolet…
  11. La tournure employée est un pluriel de déférence : ils attendent. Monsieur est simplement indiqué par l’enclitique sifflée « s » habituelle, première lettre de l’ancien terme pour « Monsieur ».
  12. Le thé se boit dans un verre, dont le porte-verre peut aller du simple au somptueux.
  13. Rappel : étant propriétaire d’un domaine, il l’est aussi des moujiks du village attenant… Il évoquera plus loin son village. Nous sommes avant l’oukase de 1861 abolissant le servage. 
  14. Pétersbourg.
  15. Il y a deux capitales : Moscou (capitale plus ancienne) et Saint-Pétersbourg (depuis Pierre le Grand).
  16. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chien_courant  (et chien d’arrêt, au passage).
  17. Le mot français est ici  transcrit, avec une légère modification. 
  18. La encore, le mot français est approximativement transcrit.
  19. Voir la note 11, pour le « monsieur », que je passerai parfois.
  20. Prénom venant du latin Matrona, mère de famille. J’en profite pour rappeler cette nouvelle de Soljénitsyne : https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/230319/chez-matriona-alexandre-soljenitsyne.
  21. Voir la note 13. 
  22. Rappel : la verste faisait presque 1,11 km.
  23. Voiture hippomobile très simple, à quetre roues.
  24. https://www.cnrtl.fr/definition/amblier
  25. Selon que le terme russe est scindé ou pas,, il faudrait traduire « pourtant appelé » ou « appelé pour cela »… Par ailleurs, pas plus qu’Henri Mongault, je n’ai trouvé de choses décisives au sujet de ce nom d’origine grecque.
  26. Féminin de barine : propriétaire, maîtresse.
  27. Il y a dans le texte des brusqueries de ton.  Karataïev demande juste : « [Madame est] Chez elle ? » J’ai repris ici la formule utilisée par H. Mongault.
  28. Fille d’Ilia, Élie.
  29. Ce nom signifie courlis, bécassine.
  30. Elle vient de jurer…
  31. Manteau paysan en gros drap de bure.
  32. Doyen du village, intermédiaire entre le (ici : la) propriétaire et les moujiks.
  33. Ainsi parle Tchitchikov, au chapitre XI des Âmes mortes
  34. Matriona, en mode affectueux.
  35. Panteleï est la forme courte de Panteleïmon, prénom d’origine grecque parlant de perfection. Quant au nom Gornostaïev, il signifie : De l’hermine.
  36. Ces deux dernières lignes ne se trouvent ni chez É. Halpérine-Kaminsky, ni chez H. Mongault. Le passage aurait-il été censuré ?
  37. https://fr.wikipedia.org/wiki/Torjok
  38. Traîneau d’hiver fermé.
  39. Je reprends l’explication d’Henri Mongault, le terme russe étant fantaisiste : Karataïev, qui n’est pas très instruit, a fait fusionner deux mots qu’il a dû entendre, alkhimia (alchimie) et khiméra (chimère), et il a obtenu cette chose étrange, Alkhimérès… Michel Delarche m'a suggéré de traduire par : Alchimérie.
  40. C’est-à-dire qu’elle graissa la patte à qui de droit…
  41. Commissaire de police dans un district rural.
  42. Au sens de « contrée lointaine ». H. Mongault, qui remplace dans sa traduction la Suisse par la Chine, signale que Tourguéniev détestait la Suisse et ses habitants, qu’il jugeait profondément ennuyeux.
  43. Principal et copieux repas, pris vers quinze heures, parfois plus tard, comme le dîner de l’Ancien régime, si bien qu’il est souvent traduit par « dîner ».
  44. Dans le centre de Moscou. Ancien lieu de vente, où se regroupèrent ensuite d’autres commerces, fut aussi un lieu d’affrontements politiques. Devint de 1961 à 1990 l’avenue Marx, tronçonné en trois rues ensuite.
  45. Note trouvée chez Henri Mongault : « Il s’agit sans doute du fameux café Britannia, rendez-vous de la jeunesse dorée de l’époque, si bien décrite par Alexeï Théophilaktovitch Pissemski [https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexe%C3%AF_Pissemski] dans son roman Les gens des années quarante (1869). »
  46. Grand prince ukrainien : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sviatoslav_Ier . D’après H. Mongault, on a là une charge, classique chez Tourguéniev, contre les slavophiles.
  47. Comprendre : au service de l’État, fonctionnaire.
  48. Diminutif de Vassili (Basile).
  49. Le pluriel employé dans le texte est archaïque, il s’utilisait en Russie centrale.
  50. Au sens de la Genèse (3, 19) : « Oui, tu es poussière et tu retourneras à la poussière. »
  51. Rappel : le rouble est divisé en cent kopecks.
  52. Le poète Poléjaïev a été rencontré dans le récit Tatiana Borissovna et son neveu – voir la note 31 : https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/080124/tatiana-borissovna-et-son-neveu-ivan-tourgueniev
  53. Pavel Stépanovitch Motchalov, célèbre acteur romantique russe de la première moitié du XIXe siècle. Il popularisera en Russie le rôle d’Hamlet dans la traduction qu’en donna en 1837 N. A. Polévoï. D’après Henri Mongault, Tourguéniev avait pu admirer l’acteur dans ce rôle durant l’hiver 1841-1842.
  54. J’ai improvisé une traduction d’après le texte russe. Les citations de Karataïev sont partielles. On trouvera une liste de traductions du célèbre monologue ici : https://journals.openedition.org/palimpsestes/425?file=1
  55. Le reste des citations (retraduites du texte russe) provient de l’acte I, scène II et de l’acte II, scène II. Une traduction historique : https://www.gavroche.org/vhugo/hamlet.pdf
  56. Proverbe russe.