samedi 19 août 2023

Le "Loup-garou" (Ivan Tourguéniev)

     Je revenais un soir de la chasse, seul, en drojki2 léger. J’étais encore à huit verstes3 environ de chez moi ; ma bonne jument trottait allègrement sur le chemin empoussiéré, en ronflant de temps à autre, ou encore en remuant les oreilles ; mon chien fourbu suivait les roues arrière aussi fidèlement que s’il y avait été attaché. L’orage menaçait. À l’avant, une énorme nuée mauve sortait lentement de la forêt ; de longs nuages gris, au-dessus de moi, se précipitaient à ma rencontre ; les saules  bruissaient avec inquiétude. À la chaleur étouffante succéda brusquement un froid humide ; les ombres se faisaient rapidement plus denses. Je tirai sur les rênes, descendis dans un ravin, franchis un ruisseau à sec au lit jonché d’osiers, gravis l’autre versant et entrai dans les bois. Devant moi, le chemin serpentait entre des buissons touffus de noisetiers déjà plongés dans l’obscurité ; j’avançais à grand-peine. Le drojki faisait des bonds en heurtant les dures racines de chênes et de tilleuls centenaires qui traversaient sans cesse les longues et profondes fondrières causées par les roues des charrettes ; mon cheval commençait à trébucher. Un fort vent se mit à hurler d’un coup en hauteur, les arbres se déchaînèrent, de grosses gouttes de pluie commencèrent à s’abattre, giflant les feuilles, un éclair jaillit et l’orage éclata. Il se mit à pleuvoir à torrents. J’avançais au pas et dus bientôt m’arrêter : mon cheval s’embourbait, je n’y voyais plus rien. Je me réfugiai comme je le pus à l’abri d’un large fourré. Courbant la tête et m’emmitouflant le visage, j’attendais patiemment la fin des intempéries, lorsque soudain, à la lueur d’un éclair, je crus voir une haute silhouette sur le chemin. Je me mis à regarder fixement dans cette direction : la silhouette semblait être sortie de terre juste à côté de mon drojki. 


     — Qui va là ? demanda une voix sonore.


     — Et toi, qui es-tu ?


     — Le garde-forestier du coin.


     Je me nommai.


     — Ah, je sais qui vous êtes ! Vous rentrez chez vous ?


     — Chez moi, oui. Mais tu vois cet orage…


     — Oui, c’est l’orage, répondit la voix.


     Un éclair blanc illumina le garde-forestier de la tête aux pieds ; un bref coup de tonnerre retentit avec force, juste après l’éclair. La pluie redoubla d’intensité. 


     — Çe ne va pas s’arrêter tout de suite.


     — Que faire ?!


     — Je peux peut-être vous conduire à mon izba, déclara-t-il abruptement.


     — Rends-moi ce service.


     — Restez en selle.


     Il s’approcha de la tête de mon cheval, attrapa la bride et fit mouvement. Nous partîmes. Je me retenais au coussin du drojki, qui se balançait « comme une barque sur la mer4 », et appelais mon chien. Ma jument blanche pataugeait lourdement dans la boue, glissait et trébuchait ; le garde-forestier chancelait devant les brancards, se  montrant tantôt sur la droite, tantôt sur la gauche, comme une apparition. Nous avançâmes un bon moment ; enfin, mon guide s’arrêta. « Nous y sommes, barine5 », me dit-il tranquillement.  Un portillon grinça, quelques jeunes chiens aboyèrent amicalement. Je levai la tête et, à la lueur d’un éclair, aperçus une petite izba au centre d’une vaste cour entourée d’une haie. Une lueur sourde éclairait l’une des petites fenêtres. Le garde-forestier amena le cheval jusqu’au perron et frappa à la porte. « De suite, de suite ! » fit une petite voix, on entendit un piétinement de pieds nus, un verrou grinça et une fillette d’une douzaine d’années, portant un semblant de chemise avec un liseré en guise de ceinture, se montra sur le seuil, une lanterne à la main.


     — Éclaire le barine, lui dit-il ; je vais mettre votre drojki sous l’auvent, ajouta-t-il en s’adressant à moi.


     La fillette me jeta un coup d’œil et rentra dans l’izba. Je la suivis.


     L’izba du garde-forestier se composait d’une seule pièce, basse et enfumée, nue, sans soupente ni cloison. Une touloupe6 était accrochée à un mur. Sur un banc se trouvait un fusil à un seul canon, un tas de hardes traînait dans un coin ; on voyait deux grands pots à côté du poêle. Un lumignon formé d’un copeau de bois brûlait tristement sur la table, s’éteignant et se rallumant. Au beau milieu de l’izba, un berceau était accroché au bout d’une longue perche. la fillette éteignit la lanterne, s’assit sur un banc minuscule et se mit, de la main droite, à balancer le berceau, de la main gauche à faire repartir le lumignon. Je regardai à la ronde – mon cœur se serra : ce n’est pas gai, l’izba d’un moujik, la nuit. L’enfant dans le berceau respirait précipitamment et difficilement.


     — Tu es donc toute seule ici ? demandai-je à la petite.


     — Toute seule, répondit-elle d’une voix à peine distincte.


     — Tu es la fille du garde-forestier ?


     — Sa fille, chuchota-t-elle. 


     La porte grinça et le garde-forestier franchit le seuil en baissant la tête. Il ramassa la lanterne par terre, s’approcha de la table et alluma la mèche.


     — Vous n’avez peut-être pas l’habitude d’un seul lumignon ? dit-il en secouant sa tête aux cheveux bouclés.


     Je le regardai. Il m’était rarement arrivé de voir un pareil gaillard. Il était grand, large d’épaules et très bien bâti. Ses muscles puissants débordaient de sa chemise de chanvre mouillée. Une barbe noire et frisée couvrait la moitié de son visage austère et viril ; de petits yeux noisette regardaient avec hardiesse sous la broussaille de larges sourcils touffus. Il restait devant moi, les mains légèrement posées sur ses hanches.


     Je le remerciai et lui demandai son nom.


     — Je m’appelle Foma7, répondit-il, mais mon surnom est le Loup-garou8. 


     — Ainsi, c’est toi, le Loup-garou ?


     Je le regardai avec une curiosité redoublée. J’avais souvent entendu mon Iermolaï9 et d’autres évoquer le garde-forestier Loup-garou, que tous les moujiks aux alentours craignaient comme le feu. D’après leurs dires, on n’avait jamais encore vu d’homme aussi expert que lui : « Avec lui, pas moyen d’emporter un fagot de bois mort ; à n’importe quel moment, même à minuit, il vous tombe dessus à l’improviste, comme une avalanche sur la tête, et inutile même de songer à résister : il est fort et adroit comme un démon… Inutile également de tenter de l’acheter : ni au vin, ni à l’argent, il ne mord à aucun hameçon. Plus d’une fois des gens ont essayé de lui faire passer le goût du pain, sans y parvenir. »


     Voilà comment les moujiks du coin s’exprimaient à propos du Loup-garou.


     — Ainsi, c’est toi le Loup-garou, répété-je. J’en ai entendu, à ton sujet, mon ami. On te dit très sévère avec tout le monde.


     — Je m’acquitte de ma tâche, répondit-il, maussade. On ne doit pas manger pour rien le pain du seigneur.


     Il saisit la hache passée à sa ceinture, s’accroupit et se mit à tailler un copeau pour un nouveau lumignon.


     — Tu n’as pas de maîtresse de maison, avec toi ? demandai-je.


     — Non, répondit-il en donnant un bon coup de hache.


     — Elle est morte, sans doute ?


     — Non… si… elle est morte, dit-il en se détournant.


     Je me tus ; il leva les yeux et me regarda.


     — Elle s’est sauvée avec un marchand de passage, dit-il avec un sourire cruel. 


     La fillette baissa les yeux ; l’enfant se réveilla et se mit à crier; la fillette s’approcha du berceau. 


     — Donne-lui ça, dit le Loup-garou en lui mettant dans la main un bout de tissu tout taché10. Celui-là, elle l’a abandonné, reprit-il à mi-voix en montrant l’enfant. Il alla vers la porte, s’arrêta et se retourna.


     Barine, commença-t-il, vous n’allez peut-être pas manger de notre pain, et moi, à part du pain…


     — Je n’ai pas très faim.


     — Bon, c’est vous qui voyez. J’aurais bien allumé le samovar pour vous, mais je n’ai pas de thé… Je vais aller voir ce que devient votre cheval.


     Il sortit en claquant la porte. Je regardai de nouveau tout autour de moi. L’izba me parut encore plus triste qu’au premier coup d’œil. Une odeur aigre de fumée refroidie gênait désagréablement ma respiration. La fillette restait à sa place sans bouger, et sans lever les yeux ; elle balançait de temps en temps le berceau, ramenait timidement sur son épaule sa blouse qui tombait ; ses pieds nus pendaient, immobiles.


     — Comment t’appelles-tu ? lui demandai-je.


     — Oulita11, répondit-elle en baissant encore davantage son petit minois. 


     Le garde-forestier rentra et s’assit sur le banc.


     — L’orage est en train de passer, observa-t-il après un court silence. Si vous voulez, je vous ramène dans la forêt.


     Je me levai. le Loup-garou prit son fusil et en inspecta la platine12.


     — Pourquoi le prends-tu ? demandai-je.


     — En forêt, il y a des gens qui n’en font qu’à leur tête… On est en train d’abattre un arbre dans la Combe13 de la Cavale, ajouta-t-il en réponse à mon regard interrogateur.


     — Tu l’entends d’ici ?


     — De la cour, oui.


     Nous sortîmes ensemble. La pluie avait cessé. Dans le lointain s’amassaient encore de lourds nuages, de longs éclairs jaillissaient de temps à autre ; mais, au-dessus de nos têtes, des coins de ciel bleu sombre se montraient déjà, et de petites étoiles scintillaient à travers les nuages laiteux filant rapidement. Le contour des arbres, éclaboussés par la pluie et agités par le vent, commençait à se dégager de l’obscurité. Nous tendîmes l’oreille. Le garde-forestier ôta sa chapka et baissa les yeux. « Voi… là, dit-il soudain en étendant la main. Voyez un peu la nuit qu’il a choisie ! » Je n’entendais rien, sauf le bruissement des feuilles. Le Loup-garou ramena mon cheval de dessous l’auvent. « Il se pourrait bien que je le rate », ajouta-t-il à haute voix. « Je vais avec toi… tu veux bien ? » – « D’accord, répondit-il en faisant reculer le cheval, nous l’attrapons en vitesse, et de là-bas, je vous reconduirai. Allons-y. »


     Nous partîmes : le Loup-garou devant, moi derrière. Dieu sait s’il connaissait le chemin, il ne s’arrêtait que pour prêter l’oreille à la hache qui cognait. « Voyez-moi ça, marmonnait-il à travers ses dents. Vous entendez ? Vous entendez ? » – « Mais où ? » Le Loup-garou haussait les épaules. Nous descendîmes dans un ravin, le vent s’apaisa quelques instants – et des coups réguliers parvinrent distinctement à mon oreille. Le Loup-garou me jeta un coup d’œil et hocha la tête. Nous avançâmes au milieu des fougères et des orties mouillées. Un grondement sourd et prolongé retentit…


     — Il l’a abattu… murmura le Loup-garou.


     Cependant, le ciel continuait à s’éclaircir ; il faisait presque clair dans le bois. Nous sortîmes enfin du ravin. « Attendez-moi ici », me chuchota le garde-forestier ; il se pencha et, levant son fusil, disparut dans les buissons. Je me mis à tendre l’oreille, concentré. Il me semblait entendre, à travers le bruit incessant que faisait le vent, de faibles sons guère éloignés : une hache frappait précautionneusement des branches, des roues grinçaient, un cheval renâclait… « Où vas-tu ? Halte ! » tonna soudain la voix métallique du Loup-garou. Une autre voix fit entendre une plainte, comme un lièvre… Une lutte s’engagea. « Pas… de… blagues, affirmait en haletant le Loup-garou, tu ne te sauveras pas… » Je me précipitai dans le direction du bruit et parvins en courant, trébuchant à chaque pas, sur les lieux de la bataille. Près d’un arbre abattu,  le garde-forestier se démenait par terre ; il maintenait sous lui le voleur et lui attachait les mains dans le dos avec une ceinture. Je m’approchai. Le Loup-garou se releva et mit l’autre sur ses pieds. J’aperçus un moujik tout mouillé, en haillons, avec une longue barbe ébouriffée. Une rosse étique, à moitié couverte d’un toile grossière, se tenait là, ainsi qu’une charrette sans caisse. Le garde-forestier ne disait pas un mot ; le moujik se taisait aussi, branlant seulement la tête.


     — Relâche-le, chuchotai-je à l’oreille du Loup-garou, je paierai pour l’arbre.


     Le Loup-garou saisit le cheval par le garrot de la main gauche ; de la droite il tenait le voleur par la ceinture. « Allez, tourne-toi, mon gaillard ! » dit-il rudement. « Ma cognée, là, prenez-la », murmura le moujik. « Inutile qu’elle se perde ! », fit le garde-forestier, et il ramassa la hache. Nous nous mîmes en chemin. Je marchais à l’arrière… Une petite pluie se remit à tomber, et bientôt il plut à verse. Nous nous traînâmes péniblement jusqu’à l’izba. Le Loup-garou abandonna la rosse capturée au milieu de la cour, conduisit le moujik à l’intérieur, desserra la ceinture et le plaça dans un coin. La fillette, qui somnolait près du poêle se leva d’un bond et se mit à nous regarder avec un effroi muet. Je m’assis sur le banc.


     — Eh bien, qu’est-ce que ça tombe, observa le garde-forestier, il vous faudra encore attendre. Vous ne voulez pas vous étendre ?


     — Merci.


     — Je l’enfermerais bien dans la réserve, pour votre aise, mais le verrou…


     — Laisse-le ici, ne lui fais pas de mal, l’interrompis-je.


     Le moujik me jeta un coup d’œil par en-dessous. Je me promis intérieurement de faire coûte que coûte libérer le pauvre diable qui restait assis, immobile, sur le banc. À la lueur de la lanterne, je pouvais discerner son visage hâve et ridé, ses sourcils broussailleux, ses yeux inquiets, ses membres maigres… La fillette s’était couchée par terre à ses pieds et s’était rendormie. Le Loup-garou était assis près de la table, la tête dans les mains. Un grillon chantait dans un coin… une petite pluie battait le toit et glissait le long des fenêtres, nous nous taisions.


     — Foma Kouzmitch15, dit brusquement le moujik d’une voix cassée et sourde, hé, Foma Kouzmitch !


     — Que veux-tu ?


     — Laisse-moi partir.


     — Le Loup-garou ne répondait pas.


     — Laisse-moi partir… c’était la faim… relâche-moi.


     — Je vous connais, répliqua, morose, le garde-forestier. Tout votre village, c’est voleurs et compagnie.


     — Relâche-moi, répétait le moujik, triste et désespéré. C’est l’intendant… nous sommes ruinés, faut voir à quel point… relâche-moi !


     — Ruinés !… Personne n’a le droit de voler.


     — Laisse-moi partir, Foma Kouzmitch… ne me tue pas. Votre16… tu sais bien qu’il va me bouffer tout cru.


     Le Loup-garou se détourna. Le moujik était agité comme s’il avait la fièvre. Il secouait la tête et sa respiration était irrégulière.


     — Relâche-moi, répétait-il, affligé de désespoir. Par Dieu, laisse-moi partir ! Je paierai ce qu’il faut, parole. C’était la faim, je le jure… Les petits piaillent, tu sais ce que c’est. On n’en peut plus.


     — Ce n’est pas une raison pour voler17.


     —Mon petit cheval, reprit le moujik, laisse-le-moi, au moins… c’est mon seul moyen de vivre… relâche-moi !


     — Pas moyen, on te dit. Je suis moi-même un subordonné : on me punirait. Du reste, on ne peut pas tout vous permettre.


     — Laisse-moi partir ! C’était le besoin, Foma Kouzmitch, le besoin… la dèche, quoi… Relâche-moi !


     — Je vous connais !


     — Laisse-moi donc partir !


     — Hé, à quoi bon discuter avec toi ? Reste tranquille, autrement, tu me connais… Tu ne vois pas qu’il y a ici un barine ?


     Le pauvre diable baissa les yeux… Le Loup-garou bâilla et posa la tête sur la table. Il continuait à pleuvoir. J’attendais de voir la suite.


     Le moujik se redressa d’un coup. Ses yeux s’enflammèrent et son visage s’empourpra. « Eh bien, vas-y, bouffe-moi, étrangle-toi, commença-t-il en plissant les yeux et en abaissant le coin de ses lèvres ; vas-y, maudit assassin, bois le sang d’un chrétien, allez, bois… »


     Le garde-forestier se retourna.


     — C’est à toi que je parle, arriéré, vampire, à toi !


     — Tu es soûl, ou quoi, pour te mettre à m’injurier ? dit avec étonnement le garde-forestier. Tu es devenu fou ?


     — Soûl ?… toujours pas avec ton argent, maudit assassin, sauvage, bête sauvage !


     — Ah tu me… je vais te faire voir !…


     — Et alors ? De toute façon, je suis perdu ; comment je ferai, sans cheval ? Assomme-moi, un coup sur la tête, ou autrement, c’est du pareil au même. Tout est perdu : la femme, les enfants – ils vont tous crever… Mais attends, tu auras de nos nouvelles18 !


     Le Loup-garou se leva.


     — Allez, tape-moi dessus ! reprit le moujik d’une voix féroce, allez, bats-moi, frappe !… (la fillette se releva d’un bond et braqua ses yeux sur lui) Frappe ! Frappe !


     — Tais-toi ! tonna le garde-forestier en faisant deux pas en avant.


     — Assez, assez, Foma, criai-je. Laisse-le… Qu’il aille où il veut.


     — Je ne me tairai pas, poursuivit le malheureux. Tout ça, c’est pareil. Crever, oui. Ah, brigand, bête sauvage, il n’y a pas moyen d’être débarrassé de toi… Mais attends un peu, tu ne règneras plus longtemps ! On finira bien par te couper le sifflet19 !


     Le Loup-garou lui attrapa l’épaule… Je me lançai au secours du moujik…


     — Pas touche, barine ! me cria le garde-forestier.


     Sans me laisser impressionner par son ton menaçant, j’étendais déjà la main ; mais, à mon grand étonnement, il libéra d’un seul mouvement les bras du moujik de la ceinture qui l’entravait, l’attrapa par le col, lui enfonça sa chapka sur le front, ouvrit la porte et le flanqua dehors.


     — Va au diable, avec ton cheval ! lui cria-t-il – gare à toi si je t’y reprends !…


     Il rentra dans l’izba et se mit à farfouiller dans un coin.


     — Eh bien, Loup-garou, finis-je par dire, tu m’as surpris : je vois que tu es un brave gars.


     — Allons, barine, m’interrompit-il, agacé. Seulement, n’en parlez pas. Je ferais mieux de vous reconduire, ajouta-t-il : vous n’allez peut-être pas attendre qu’il arrête de pleuvoir…


     Les roues de la charrette du paysan résonnèrent au dehors.


     — Le voilà qui s’en va20 ! marmonna-t-il. Gare à lui !…


     Une demi-heure plus tard, nous nous quittâmes à la lisière de la forêt.

     

     


Notes


  1. Ce texte est le douzième récit des Mémoires d’un chasseur. Voir la note 8.
  2. Il serait impropre de parler de sulky, dans la mesure où le drojki russe a quatre roues, alors que le sulky américain n’en a que deux.
  3. La verste faisait 1,067 km.
  4. Citation du cinquième vers de la quatrième strophe du poème Trois palmiers de Lermontov.
  5. Seigneur, maître. 
  6. Peau de mouton retournée.
  7. Thomas.
  8. Note de l’auteur : « Dans la province d’Orel [Oriol], on appelle ainsi un individu solitaire et maussade. » Il y a là une ambiguïté plaisante, car le terme russe, Biriouk, désigne aussi, tout simplement, un loup solitaire. Le russe a d’ailleurs un autre terme, oborotien’, pour désigner le loup-garou dans son sens fantastique et folklorique.
  9. Moujik acccomapgnant souvent l’auteur à la chasse. Voir par exemple :
    https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/220321/iermolai-et-la-meuniere-ivan-tourgueniev
  10. Tétine improvisée : un croûton de pain de seigle est enveloppé dans le chiffon.
  11. Forme populaire de Ioulita (Juliette).
  12. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chien_(arme)#Chien_%C3%A0_percussion
  13. Une note de l’auteur explique que le terme rencontré est propre à la région d’Orel.
  14. La corneille, mais la première syllabe du mot signifie « voleur »…
  15. Pour Kouzmovitch, fils de Kouzma.
  16. Le propriétaire du bois, sans doute, ou le commissaire de police rurale.
  17. Ma traduction est un peu libre. De toute façon,, les échanges entre les deux personnages sont assez obscurs, ils s’expriment par bribes.
  18. Plusieurs interprétations possibles. Henri Mongault fait allusion aux révoltes paysannes (le fameux coq rouge, l’incendie volontaire, notamment), et traduit : « Tu ne perds rien pour attendre ».  On peut aussi y voir une allusion à une vieille croyance selon laquelle les victimes d’une mort injuste reviennent se rappeler au bon souvenir de leurs bourreaux. La suite semble toutefois donner raison à H. Mongault…
  19. Faire taire, mais à l’origine, c’était faire taire définitivement, couper la gorge. Cela tombe très bien…
  20. H. Mongault écrit : « qui détale », ce que je comprends pas, le verbe du texte russe signifiant plutôt : se traîner – on voit mal la rosse du malheureux moujik partir à fond de train…