samedi 5 mai 2018

Une façon originale d'attraper un voleur ( M. Zochtchenko)


     Je poursuis la traduction de la troisième partie du Livre bleu de Mikhaïl Zochtchenko (se reporter à Un curieux vol à la coopérative), partie qui pourrait s’intituler : « Filouteries » .
     Je passe la deuxième histoire, Une valise disparaît, qui est assez classique : de nuit, dans un train, un quidam s’en prend aux bottes d’un passager pendant que son acolyte se prépare à s’emparer de la valise du malheureux lancé à la poursuite du voleur de bottes. D’ailleurs, on a déjà pu lire une variante de cette histoire dans la nouvelle Le baluchon 
     Voici donc le troisième récit…





Une façon originale d'attraper un voleur

(Histoire vraie)

(Mikhaïl Zochtchenko)



     

     On volait du bois. Dans la cour de notre immeuble. En outre – détail intéressant : c’était l’hiver, époque de l’année où le bois de chauffage a une valeur particulière, pour les uns comme pour les autres.
     Généralement parlant, on sait l’intérêt que présente ledit bois pour la population, et ce en toute saison.
     Il arrive même qu’on offre des bûches, pour la fête de quelqu’un.
     Je me souviens d'avoir moi-même offert un jour à une parente, Iélizaviéta Ignatievna1, toute une corde de bois pour son anniversaire. Et son mari, Piotr Andreïevitch2, tête chaude et homme irascible, avec un côté petit-bourgeois toujours en retard sur les événements – m’a donné un coup sur la tête avec une bûche, le malandrin. À la fin de la soirée, certes.
     — On n’est plus en 19193, on a changé d’époque, on n’offre plus de bois, m’a-t-il dit.
     Enfin, tout ça, bien sûr, en passant.
     Mais le bois pour le poêle, en tout cas, est une chose précieuse, une affaire sacrée. Comme l’a dit le poète Blok4 :

               C’est plus d’une fois
               Que je me suis rappelé les mots –
               Le bois…

     Et il a ajouté quelque chose d’extrêmement précieux à propos du bois.
     Bref, des bûches disparaissaient depuis quelque temps dans la cour de notre immeuble.
     Bon, l’histoire est connue, on entrepose le bois dans la cour. Seulement, le voilà qui se volatilise. Quelqu’un s’en empare en tant que moyen de chauffage. 
     Tantôt, c’est le bois de quelqu’un qui disparaît. Tantôt celui de quelqu’un d’autre. Et puis, voilà qu’un troisième se met à crier.
     — Il me manque des bûches, s’écrie-t-il… Et allez donc savoir qui les dérobe, où elles se retrouvent et qui s’en sert.
     Alors, au cours d’une réunion, les locataires se disent l’un à l’autre :
     — Nous avons un voleur dans l’immeuble. Intéressant. Et, si ça se trouve, il est ici, il est assis et nous regarde. Seulement, vu que nous sommes quarante-cinq dans l’immeuble, impossible de deviner qui c’est. Allez, vu la situation, engageons un gardien ou assurons nous-même la surveillance à tour de rôle. 
     Un certain Sérioga5 Piestrikov eut vite fait de calculer à combien reviendrait l’embauche d’un gardien. Il s’avéra que cela renchérirait le prix de chaque bûche de quatre-vingt-dix kopecks. Ce qui parut cher. 
     Il fut alors décidé que les locataires monteraient eux-mêmes la garde.
     Sérioga Piestrikov rédigea la répartition des tours de garde sur un papier qu’il accrocha dans la cour.
     Tout le monde se mit à participer à tour de rôle à la surveillance. Mais on s’aperçut que les vols se poursuivaient.
     On constitua alors un petit groupe spécial formé de trois personnes, chargé de la cour.
     Il y avait là le locataire Boborykine, ainsi que Iégor Ivanytch6 Vlassov et son neveu Michka. S’appelant aussi Vlassov, allez savoir pourquoi.
     Ce Michka se présente chez son oncle et lui fait cette confidence :
     — Comme vous le savez, camarade mon oncle, je fais partie du syndicat de la chimie. Nous avons là-bas différentes petites choses d’ordre chimique, tous les types de gaz, des fumigènes et autres diableries comparables. Et je dors mal, ces derniers temps. J’ai dans l’idée, camarade mon oncle, de ramener chez moi une cartouche de dynamite. Et j’ai envie d’insérer cette cartouche dans une bûche. Et cette bûche, mille pardons, mon oncle, nous allons la jeter au milieu des autres bûches, comme si de rien n’était. Le voleur va immanquablement la prendre. Il va la mettre dans son poêle. Et là, camarade mon oncle, laissez faire la technique.
     L’oncle, sans trop comprendre à ce stade de quoi il retourne, lui répond :
     — Bon, eh bien, amène toujours. On verra bien.
     Le neveu :
     — Contre un tel procédé, mon oncle, aucun voleur ne pourra rien faire. De la sorte, nous attraperons immanquablement le voleur. Où l’explosion se produira, dans quel appartement – et c’est dans le sac.
     L’oncle, tout réjoui :
     — Dans ce cas, amène ton truc. C’est en effet tout à fait intéressant. J’en ai le souffle coupé à l’avance – de voir chez qui ça va exploser.
     Le locataire Boborykine :
     — Mais nous n’allons en parler à personne, nous allons tout faire et constater nous-mêmes. Le poêle où ça pètera, ça nous donnera ce que nous cherchons. Cela devient amusant.
     Le neveu Michka :
     — La cartouche, je la choisirai petite, pour qu’elle fasse un peu de dégât sans tout démolir.
     Boborykine :
     — On peut aussi dévaster un peu. Cela aurait même son utilité vis-à-vis des autres. De quoi leur faire peur et remettre chacun à sa place. Ça peut servir. Evidemment, il ne faut pas flanquer l’immeuble par terre.
     Et Michka se dépêcha de ramener une cartouche du service où il travaille, cartouche qui fut placée à l’intérieur d’une bûche. 
     C’est-à-dire qu’un trou fut pratiqué dans la bûche et que l’on y introduisit la cartouche.
     On jeta ensuite la bûche au hasard sur une pile. Et l’on attendit la suite avec grand intérêt.
     Le lendemain soir, une explosion infernale eut lieu dans l’immeuble.
     Elle se produisit juste en-dessous de chez Boborykine, dans l’appartement de Sergueï Piestrikov.      
     Tout le monde identifia instantanément l’explosion et sut à quoi l’attribuer. Et tous de se ruer sur les lieux.
     Et tout le monde regardait Sergueï Piestrikov en train de se démener auprès de son poêle démoli en s’écriant :
     — Qu’est-ce qui s’est passé,  messieurs ?   
     Mais on ne lui répondait rien. On se contentait de faire :
     — Tiens, tiens !
     Soit dit en passant, Michka Vlassov avait mal calculé ses effets, et la cartouche s’était révélée si combative qu’elle avait complètement démoli le poêle, et deux murs, par-dessus le marché.
     Elle avait aussi cassé les carreaux sur deux étages. Et une canalisation avait été touchée. Bon, elle ne fonctionnait déjà quasiment plus, auparavant, mais là, elle était plus que débouchée. Quoique certains ne le missent pas sur le compte de l’explosion.
     On comptait une seule victime. Le sous-locataire de Sérioga, un invalide du nom de Goussiev, était mort d’épouvante. À proprement parler, il avait reçu une brique sur la nuque. Et lui qui avait l’habitude des blessures, puisqu’il avait été blessé à maintes reprises à la guerre7, ici, nullement sur le front, avait perdu ses moyens et rendu son âme à Dieu. Il était mort. quoi. 
     En outre, la sœur de Sérioga, qui n’y était rigoureusement pour rien, attrapa une fluxion du fait des carreaux brisés à sa fenêtre.
     Sérioga avoua qu’il lui arrivait, pour faire des économies, de prendre de temps en temps une bûche chez les autres, sans tenir cela pour un vol véritable.
     Il passera bientôt en justice, il donnera de plus amples explications au tribunal.
     À signaler qu’elle doit également rendre des comptes à la justice, notre troïka belliqueuse – les deux Vlassov et Boborykine.
     Ils sont accusés de procédé illégal et de dégradation de biens étatiques.
     Ils seront donc aussi jugés. 
     Et ils seront sans doute condamnés à quelque chose, dans la mesure où l’on ne saurait recourir à des méthodes aussi extraordinaires.
     En attendant, Michka a déployé encore davantage d’énergie.
     Dans un autre appartement communautaire8, chez sa maman, on dérobait, entre autres, de l’essence. Alors, le Michka a mélangé de l’eau à l’essence, et attendu ensuite de voir quel était le réchaud qui se mettait à crachoter.
     De façon générale, ce petit gars promet beaucoup, car il saisit fort bien les ruses de la filouterie contemporaine.
     Mais permettez-moi encore un récit reposant sur les aspects les plus subtils de cette ruse contemporaine.
     Nous avons été partie prenante, dans cette histoire, ce sera donc avec beaucoup de plaisir que nous allons élucider l’affaire.     
     Voici ce qui arriva9.   


  1. Élizabeth, fille d’Ignace.
  2. Pierre, fils d’André.
  3. Période extrêmement difficile du « communisme de guerre » .
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Blok
  5. Diminutif de Sergueï, Serge.
  6. Pour Ivanovitch, fils d’Ivan.
  7. Première guerre mondiale et/ou Guerre civile. Rappelons que le Livre bleu a été édité à partir de 1934.
  8. Grand classique en URSS pendant des décennies : chambres individuelles de part et d’autre d’un couloir, cuisine, salle de bains et toilettes partagées.Téléphone dans le couloir. Favorisait la surveillance mutuelle, les jalousies et les disputes, encore plus sûrement que le pavillonnage moderne.
  9. Les dernières lignes introduisant le quatrième récit. La partie « Filouteries » du Livre bleu est une suite d’histoires…

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