mercredi 27 juillet 2022

Ma vie (Anton Tchékhov), chapitres IV et V

IV



     Un jour, après le déjeuner, il accourut, hors d’haleine, et me dit :


     — Viens, ta sœur est là. 


     Je sortis. En effet, devant le perron de la bâtisse principale stationnait un véhicule1 de la ville, loué avec son cocher. Ma sœur était arrivée en compagnie d’Aniouta Blagovo et d’un autre monsieur en tunique de militaire. M’approchant, je le reconnus : c’était le frère d’Aniouta, un médecin-major.


     — Nous sommes venus pique-niquer chez vous, dit-il. Cela ne vous dérange pas ? 


     Ma sœur et Aniouta avaient envie de me demander comment j’allais, mais elles se taisaient et se contentaient de me regarder. Je me taisais aussi. Elles comprirent que je ne me plaisais pas ici, ma sœur en eut les larmes aux yeux, tandis qu’Aniouta rougissait. Nous allâmes au jardin. Le docteur marchait en tête et disait, enthousiasmé :


     — Le bon air que voilà ! Sainte Mère, quel bon air !


     Il avait encore absolument l’air d’un étudiant. Il parlait et marchait comme un étudiant, et le regard de ses yeux gris était aussi vif, aussi simple et aussi ouvert que celui d’un bon étudiant. À côté de sa sœur grande et belle, il semblait faible, frêle ; sa barbe était clairsemée, sa voix fluette – une petite voix de ténor pas désagréable, au demeurant. Il servait dans quelque régiment, était venu en permission voir les siens et disait qu’à l’automne il irait à Pétersbourg soutenir sa thèse2. Il avait déjà sa propre famille : une femme et trois enfants ; il s’était marié tôt, en deuxième année, et l’on racontait à présent en ville qu’il était malheureux en ménage et vivait séparé de sa femme.


     — Quelle heure est-il ? s’inquiéta ma sœur. Il nous faut rentrer tôt, papa ne m’a laissée que jusqu’à six heures pour aller voir mon frère.


     — Ah, oui, votre papa ! soupira le docteur.


    J’allumai le samovar. Nous prîmes le thé sur un tapis devant la terrasse de la grande demeure ; agenouillé, le docteur buvait son thé à même sa soucoupe3 en disant éprouver de la félicité. Puis Tchéprakov alla chercher la clé et ouvrit la porte vitrée, et nous pénétrâmes tous dans la maison. Il y faisait sombre, il flottait un parfum de mystère ainsi qu’une odeur de champignon, et nos pas résonnaient sourdement, comme s’il y avait une cave sous le plancher. Debout, le docteur effleura les touches du piano, qui produisirent un son faible, tremblant et voilé, mais encore harmonieux ; il essaya sa voix et entonna une romance, en faisant la grimace et en tapant du pied lorsqu’une touche restait muette. Ma sœur ne songeait plus à rentrer et, tout émue, déambulait dans la pièce en disant :


     — Je me sens gaie ! Très, très gaie !


     Il y avait de l’étonnement dans sa voix, comme si cela lui paraissait incroyable qu’il pût lui arriver, à elle aussi, de se sentir le cœur léger. C’était la première fois que je la voyais aussi gaie. Cela l’embellissait, même. De profil, elle n’était pas jolie, son nez et son menton avançaient, et elle avait l’air de souffler, mais elle avait de beaux yeux sombres, un teint pâle et très délicat, ainsi qu’une touchante expression de bonté et de tristesse, et, quand elle parlait, elle avait un joli minois, elle paraissait même belle. Elle et moi, nous tenions de notre mère : larges d’épaules, forts et résistants, mais elle montrait une pâleur maladive, elle toussait fréquemment, et il m’arrivait de surprendre dans ses yeux cette expression des gens gravement malades, mais qui, pour une raison inconnue, veulent le cacher. Il y avait, dans sa gaieté présente, quelque chose d’enfantin, de naïf, comme si la joie réprimée et étouffée durant notre enfance par une éducation sévère s’était soudain réveillée en elle, et s’était échappée.


     Mais lorsque le soir arriva et qu’on fit avancer les chevaux, ma sœur se tut, ses traits se tirèrent et elle prit place dans le véhicule comme si elle s’asseyait au banc des accusés.


     Voilà qu’ils étaient tous partis, le bruit avait décru… Je me souvins qu’à aucun moment Aniouta Blagovo ne m’avait adressé la parole.


     « L’étrange jeune fille ! me dis-je. L’étrange jeune fille ! »


     Arriva le carême de la Saint-Pierre4, c’était maigre tous les jours. Du fait de mon oisiveté et de l’incertitude de ma situation, pesait sur moi une angoisse physique, et j’errais sans but dans la propriété, mécontent de moi, sans énergie, affamé, attendant seulement d’être d’humeur à m’en aller.


     Un jour, vers le soir, alors que Redka se trouvait au bureau avec nous, Doljikov entra sans qu’on l’attendît, très bronzé et tout poussiéreux. Il avait passé trois jours dans son secteur, une locomotive l’avait amené à Doubetchnia et il était venu à pied de la gare. En attendant l’équipage qui devait venir de la ville, il fit en compagnie de son régisseur le tour de la propriété en donnant des instructions d’une voix forte, puis resta une heure entière avec nous à écrire des lettres ; en sa présence, arrivèrent plusieurs télégrammes à son nom, et il télégraphia lui-même les réponses. Nous nous tenions tous les trois au garde-à-vous, sans dire un mot. 


     — Quel désordre ! dit-il après avoir consulté un registre d’un air dégoûté. D’ici deux semaines, je transférerai le bureau à la gare, et je me demande bien ce que je ferai de vous, messieurs.


     — Je fais tout ce que je peux, Votre Noblesse, dit Tchéprakov.


     — Je vois ça. Vous ne savez que toucher vos appointements, poursuivit l’ingénieur en me regardant. Vous comptez tout le temps sur une protection pour faire carrière5 sans peine et au plus vite. Eh bien, je ne tiendrai pas compte des protections. Personne n’a fait de démarches pour moi. Avant qu’on ne me laisse la voie libre6, j’ai été mécanicien, j’ai travaillé en Belgique comme simple graisseur, messieurs7. Et toi, Panteleï, qu’est-ce que tu fabriques ici ? demanda-t-il en se tournant vers Redka. Tu te saoules avec eux ?


     Les hommes du peuple, il les appelait tous Panteleï, allez savoir pourquoi ; quant aux gens comme Tchéprakov et moi, il les méprisait, les traitant derrière leur dos d’ivrognes, de brutes et de canailles. Il était dur avec tous les sans-grades, leur infligeait des amendes et les mettait à la porte froidement, sans explications.


     Son attelage arriva enfin. Il prit congé de nous en promettant de nous renvoyer tous dans deux semaines, traita son régisseur d’andouille, puis partit en direction de la ville, affalé dans la calèche.


       Andreï Ivanytch7, dis-je à Redka, prenez-moi comme ouvrier.


     — Eh bien, pourquoi pas ?


     Et nous partîmes ensemble pour la ville. Lorsque la gare et la propriété furent loin derrière nous, je lui posai la question :


     — Andreï Ivanytch, pourquoi êtes-vous venu tantôt à Doubetchnia ?


     — D’abord, mes gars travaillent sur la ligne, et puis je suis venu payer des intérêts à la générale. L’année dernière, je lui ai emprunté cinquante roubles, à présent je lui paye un rouble par mois. 


     Le peintre s’arrêta et me prit par un bouton de mon veston.


     — Missaïl Alexéïtch9, ange que vous êtes, reprit-il, j’estime pour ma part que si un homme du peuple ou un monsieur prend le moindre intérêt, c’est une fripouille. Chez un tel homme, il ne peut pas y avoir de justice. 


     Maigre, pâle, effrayant, Redka ferma les yeux, hocha la tête et proféra, sur un ton de philosophe :


     — Le puceron mange l’herbe, la rouille le fer et le mensonge l’âme. Seigneur, sauve-nous, pauvres pécheurs !   




Notes


  1. Une sorte de break de louage aux bancs alignés dans leur longueur.
  2. Je reprends la formulation de Denis Roche, car le texte parle d’examen, sans utiliser le terme « thèse ». On pouvait, en Russie, être médecin militaire avant d’avoir le titre de docteur (note trouvée chez D. Roche).
  3. Attitude peu distinguée. On prend d’ordinaire le thé dans des verres montés sur des porte-verres parfois magnifiques.
  4. Encore appelé jeûne des apôtres :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Je%C3%BBne_des_ap%C3%B4tres
  5. En français dans le texte On lit même : « Faire la carrière »…
  6. Il y a ici, comme souvent chez Tchékhov, une ambiguïté dans le discours de l’ingénieur : l’expression qu’il utilise, déjà rencontrée au chapitre II, peut signifier : « laisser la voie libre », mais aussi, éventuellement, ici : « donner la ligne de chemin de fer ». Je préfère m’en tenir, contrairement à D. Roche et à la Pléiade, qui ont alterné les deux traductions, à la première interprétation. 
  7. Voir la note 9 du chapitre II.
  8. Pour Ivanovitch. Il est possible que l’artisan se nomme Andreï Ivanovitch Ivanov, voir la note 3 du chapitre II.
  9. Rappel : il s’agit du narrateur, étrangement prénommé Missaïl. Alexéïtch est le diminutif d’Alexeïevitch, fils d’Alexeï.





V



     Redka manquait d’organisation, et la réflexion n’était pas son fort ; il prenait plus d’ouvrage qu’il ne pouvait en accomplir et, en faisant ses comptes, il s’affolait et se retrouvait presque toujours avec des pertes. Il faisait les peintures, posait les vitres et les papiers peints et se chargeait même des toitures, je me souviens de l’avoir vu, pour des commandes de rien du tout, courir trois jours à la recherche de couvreurs. Il était excellent dans sa partie, il lui arrivait de gagner jusqu’à dix roubles par jour, et sans ce désir qu’il avait d’être patron à tout prix et de se faire appeler entrepreneur, il aurait sans doute pu se faire pas mal d’argent.


     Lui-même était payé à la tâche, tandis que les autres gars et moi, il nous payait à la journée, de soixante-dix kopecks à un rouble1 par jour. Tant que le temps restait chaud et sec, nous faisions divers travaux d’extérieur, surtout les peintures de toitures. Par manque d’habitude, les pieds me brûlaient comme si je marchais sur un fourneau incandescent, et ils étouffaient dans des bottes de feutre. Mais cela seulement les premiers temps, ensuite je m’habituai et tout baigna dans l’huile2. Je vivais maintenant au milieu de gens pour qui le travail était une nécessité inévitable, et qui trimaient comme des chevaux de trait, souvent sans avoir conscience de la signification morale du travail, ils n’employaient même jamais ce terme dans leurs discussions ; à leurs côtés, je me sentais moi aussi comme un cheval de trait, de plus en plus pénétré de la nécessité inévitable de ce que je faisais, cela rendait ma vie plus légère en lui épargnant le moindre doute.


     Au début, tout m’intéressait par sa nouveauté, c’était comme si je venais de naître pour la deuxième fois. Je pouvais dormir à même la terre, marcher pieds nus – ce qui est extrêmement agréable ; je pouvais me tenir dans une foule de gens du peuple sans gêner personne, et lorsqu’un cheval de fiacre tombait en pleine rue, je courais aider à le relever, sans craindre de me salir. Et surtout, je subvenais moi-même à mes besoins, je n’étais à la charge de personne !


     Peindre les toits, en particulier en fournissant nous-même l’huile de lin et la peinture, était vu comme une activité très avantageuse, aussi même de bons artisans comme Redka ne dédaignaient pas ce travail grossier et ennuyeux. En pantalon court, montrant ses jambes maigres de la couleur du lilas, il se déplaçait sur les toits, telle une cigogne, et je l’entendais qui, tout en maniant son pinceau, poussait de profonds soupirs et disait :


     « Malheur à nous, pauvres pécheurs !3 »


     Il marchait sur les toits comme sur le sol. Bien qu’il fût malade et pâle comme un mort, il était d’une extraordinaire agilité ; à l’instar des jeunes, il peignait les coupoles et les bulbes des églises sans échafaudage, juste avec une échelle et des cordes, et c’était un peu effrayant de le voir, debout à une grande hauteur, se redresser de toute sa taille et proférer, on ne savait à l’adresse de qui :


     «  Le puceron mange l’herbe, la rouille mange le fer et le mensonge mange l’âme ! »


     Ou bien, pensant à quelque chose, il se répondait à voix haute à lui-même :


     «  Tout est possible ! Tout peut arriver ! »


     Quand je rentrais chez moi en revenant du travail, tous les gens assis sur des bancs près des portails, tous les commis, les apprentis et leurs patrons lançaient dans mon dos remarques diverses, des piques railleuses et blessantes, ce qui, les premiers temps, m’atteignait et me semblait tout bonnement monstrueux :


     — Petit-Profit ! entendait-on de tous les côtés. Barbouilleur ! Terreux !


     Ceux qui me faisaient le moins grâce étaient ceux qui, naguère encore, étaient de petites gens gagnant leur pain à la sueur de leur front. Dans les galeries marchandes, quand je passais près d’un quincailler, on m’arrosait d’eau comme par mégarde, on me lança même une fois un bâton. Et un marchand de poissons, un vieillard chenu, me barra le passage et me dit avec un mauvais regard :


     — Ce n’est pas toi qui nous fait pitié, imbécile ! C’est ton père !


     Et les gens de ma connaissance, en me rencontrant, se montraient étrangement gênés. Les uns me regardaient comme un original, un bouffon, d’autres me plaignaient, d’autres encore ne savaient pas comment se comporter avec moi, j’avais du mal à les comprendre. Un jour, dans une ruelle proche de notre Bolchaïa Dvorianskaïa4, je rencontrai Aniouta Blagovo. J’allais au travail et portais un seau de peinture et deux longs pinceaux. M’ayant reconnu, Aniouta piqua un fard.


     — Je vous prie de ne pas me saluer dans la rue, dit-elle nerveusement, sévèrement, d’une voix tremblante, sans me tendre la main – et des larmes brillèrent soudain dans ses yeux. Si tout cela est nécessaire, selon vous, soit… soit, mais je vous le demande, évitez-moi !


     Je n’habitais plus rue Bolchaïa Dvorianskaïa, mais au faubourg Makarikha, chez Karpovna, ma vieille nounou, brave femme mais d’un caractère sombre, pressentant toujours quelque malheur, redoutant tous les songes et voyant même de mauvais présages dans les abeilles et les guêpes qui pénétraient dans sa chambre. Et que je fusse devenu ouvrier n’annonçait rien de bon non plus, à son avis.


     — Tu es perdu, mon petit ! disait-elle avec tristesse en hochant la tête. Perdu !


     Dans sa maisonnette habitait aussi son fils adoptif Prokofi, boucher de son état, gaillard énorme et pataud de quelque trente ans, roux5, à la moustache raide. Lorsqu’il me croisait dans l’entrée, il me laissait silencieusement et respectueusement passer, et lorsqu’il était saoul, il portait les cinq doigts de sa main à la visière de sa casquette. Il dînait le soir à la maison, et je l’entendais, à travers la cloison de planches, se racler la gorge et soupirant, en se jetant dans le gosier un petit verre après l’autre6.


     — Maman ! appelait-il à mi-voix.


     — Quoi donc ? répliquait Karpovna, qui aimait à la folie son fils adoptif. Qu’y a-t-il, fiston ?


     — Maman, je peux me montrer clément avec vous. Je veillerai à vous nourrir quand vous serez vieille en ce monde, dans cette vallée de larmes. C’est dit, et c’est du sûr.


     Je me levais tous les jours avant l’aube et me couchais tôt. Nous, les peintres, nous mangions beaucoup et dormions profondément, seulement, la nuit, j’avais le cœur qui battait très fort. Dans la journée, on ne cessait de jurer, de sacrer et de s’adresser des vœux comme « que tes yeux éclatent » ou « que le choléra t’emporte », nous vivions néanmoins en bonne intelligence. Les gars me soupçonnaient d’appartenir à une secte religieuse et me charriaient avec bonhomie, disant que même mon père m’avait renié, et se mettaient à raconter qu’eux-mêmes se montraient rarement à l’église et que nombre d’entre eux n’étaient pas allés à confesse depuis dix ans, alléguant pour justifier cette vie dissolue qu’un peintre parmi les hommes, cela revenait à un choucas parmi les oiseaux. 


     Les gars avaient de la considération pour moi et me traitaient avec respect ; ce qui leur plaisait visiblement, c’était que je ne buvais pas, ne fumais pas et menais paisiblement une vie rangée. Ils étaient seulement choqués de voir que je ne participais pas aux vols d’huile de lin et que je ne les accompagnais pas chez les clients demander des pourboires7. Voler de l’huile et des couleurs était en usage chez les peintres, ne passait pas pour du vol, et, chose remarquable, même un homme juste comme Redka emportait, à chaque fois qu’il arrêtait le travail, un peu de blanc de céruse et d’huile de lin. Et même de respectables vieillards, propriétaires de leur demeure à Makarikha, n’avaient pas honte de telles demandes de pourboire ; il était fâcheux et honteux de voir les gars venir en troupe féliciter quelque homme de rien au début ou à la fin des travaux et le remercier avec humilité après avoir reçu de lui dix kopecks. 


     Ils se comportaient avec les clients en rusés courtisans, et je repensais presque chaque jour au Polonius de Shakespeare8.


     — Il va sans doute pleuvoir, disait le client en regardant le ciel.


     — Sûr et certain qu’il va pleuvoir ! acquiesçaient les peintres.


     — Tout de même, ce ne sont pas des nuages de pluie. Peut-être qu’il ne pleuvra pas.


     — Il ne pleuvra pas, Votre Noblesse ! Sûr qu’il ne pleuvra pas.


     En leur absence, ils parlaient des clients avec ironie ; voyant un barine9 assis sur son balcon, un journal dans les mains, ils lançaient :


       En voilà un qui lit le journal et qui ne doit rien avoir à manger10.


     Je n’allais pas voir les miens. En rentrant du travail, je trouvais souvent des billets courts et inquiets, où ma sœur me parlait de mon père : tantôt il était resté particulièrement pensif au déjeuner, sans rien manger, tantôt il avait chancelé, ou s’était enfermé dans sa chambre pour un long moment. De semblables nouvelles me remuaient, je n’arrivais pas à dormir; il m’arrivait même d’aller la nuit rue Bolchaïa Dvorianskaïa et de passer devant notre maison en observant les fenêtres sombres et en essayant de deviner si, chez nous, tout allait bien. Le dimanche, ma sœur venait me voir, mais furtivement, comme si ce n’était pas à moi qu’elle rendait visite, mais à notre nourrice. Quand elle entrait chez moi, elle était très pâle, avait des yeux éplorés et se mettait aussitôt à pleurer.


     — Notre père ne le supportera pas ! disait-elle. S’il lui arrive quelque chose –  Dieu nous en garde ! –, tu en auras des remords toute ta vie. C’est affreux, Missaïl ! Je t’en supplie, au nom de notre mère : amende-toi !


     — Ma chère sœur, disais-je, pourquoi m’amender, alors que je suis persuadé d’agir selon ma conscience ? Comprends-moi !


     — Je sais que tu agis selon ta conscience, mais peut-être que tu pourrais le faire autrement, pour ne chagriner personne.


     — Ah mon Dieu ! soupirait la vieille derrière la porte. Tu es perdu, mon petit ! Du malheur en vue, mes chéris, du malheur en vue !


     






Notes


  1. Rappel sans doute superflu : le rouble vaut cent kopecks…
  2. C’est à peu près l’expression russe, que l’on pourrait aussi traduire par « tout alla comme sur des roulettes ».
  3. Voir l’Évangile selon Saint Luc, 6, 24-26.
  4. Dernier rappel : c’est la rue où habite le père du narrateur.
  5. En général mauvais signe chez l’auteur…
  6. Verres de vodka, bien entendu.
  7. L’expression russe est : demander (de l’argent) pour le thé. Mais on peut boire autre chose…
  8. https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1352712
  9. Ancien terme pour un propriétaire membre de la noblesse.
  10. À rapprocher de ce que dit Kozov au chapitre I de La Nouvelle Datcha :
    https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/010722/la-nouvelle-datcha-anton-tchekhov
À suivre...

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