mercredi 19 juillet 2017

Trois petits poèmes de Fet

     Afanassi Afanassiévitch Chenchine naquit vers la fin de l’année 1820. Son père était le capitaine en retraite Afanassi Chenchine, et sa mère, d’origine allemande, s’appelait Charlotte-Élisabeth Becker. Celle-ci avait épousé en premières noces un certain Johann-Peter-Karl-Wilhelm Feth.
L’église orthodoxe refusa longtemps de reconnaître le mariage des parents du pauvre Afanassi, qui se vit décerner, non le nom de son père, avec le titre nobiliaire et les biens afférents, mais le nom de ce premier mari de sa mère. Il ne récupéra nom, titres et biens qu’en 1873, soit plus d’un demi-siècle après sa naisance. Il reste connu en Russie (et en dehors des frontières de la Russie) sous le nom de : Fet. Il étudia le droit, l’histoire, la philosophie, les langues, et s’adonna tôt à la poésie.
     Mais il lui fallait survivre : il entama une carrière militaire, dans la cavalerie. En 1853, il se retrouva transféré dans un régiment de la Garde, non loin de la capitale. Ce qui lui permit d’écumer les soirées de Saint-Pétersbourg, et d’y rencontrer Tourguéniev, Nekrassov, Gontcharov et d’autres écrivains, er de se faire connaître de la rédaction de la revue « Le contemporain » .
     Après un premier amour avec Maria Lazitch, laquelle n’a hélas pas de dot, si bien qu’il ne l’épouse pas et la regrettera tout sa vie (elle meurt en 1850 : suicide ?), Afanassi épouse en 1857 Maria Botkine, sœur du critique Vassili Botkine, femme qu’il n’aime pas mais qui a l’avantage d’être noble et riche. Avec la dot de sa femme (il a quitté la Garde), il s’achète en 1860 une grande propriété et se lance dans l’agriculture et l’élevage, avec succès.
Pendant tout ce temps-là, il a continué à écrire de la poésie, avec des hauts et des bas. Il s’est également mêlé de traduire des auteurs latins, et puis Gœthe, Shakespeare, Schopenhauer. Il avait le projet de retraduire aussi la Critique de la raison pure et la Bible, dont il ne prisait guère les traductions existantes, mais on l’en dissuada. Il meurt en 1892.
     C’est le grand poète de la nature du XIXè siècle russe. Il s’était lié d’amitié avec Tolstoï, qui estimait beaucoup son œuvre et attendait sans cesse de nouveaux vers : »Je ne connais pas de personne plus vigoureuse et forte que vous » , lui écrit-il en 1867, quand Fet connaît un creux d’inspiration. Tourguéniev l’admire tant et plus. Et sa poésie fortement musicale (ce qui est difficile à rendre en français, dommage que Verlaine n’ait pas essayé) touche des musiciens comme Tchaïkovski (et plus tard Rachmaninov), lequel le voit comme un « poète-musicien »  qui « sort des limites de la poésie et fait un pas audacieux dans notre domaine. »
     Je me suis appuyé, pour donner ces éléments de biographie, sur Wikipedia – davantage en russe qu’en français – et sur l’introduction à un petit recueil de traductions dues à M. Éric Lozowy.










Voici le printemps


Comme la poitrine, d’un air frais se remplit –
Pour le dire, manqueront les mots !
Comme en plein midi, dans les ravins, à grand bruit,
Cascade l’écume des ruisseaux !

S’évanouit dans l’éther un chant qui frissonne,
Sur les mottes le seigle verdit –
Et la voix douce, la voix tendre qui chantonne :
« Le nouveau printemps, le voici ! »

1855



Le soir


Au-dessus de l’eau claire a résonné une grosse voix
Qui a fait tinter l’obscurité dans le pré,
A roulé au dessus du bosquet sans voix,
Et l’autre rive du fleuve s’est éclairée.

Au loin, dans la pénombre, tout en méandres,
Le fleuve s’enfuit vers le couchant.
Bordés d’un liseré d’or en feu, les nuages
S’effilochent, comme une fumée se dispersant.

Sur la colline, une lourde humidité,
L’air de la nuit retient les soupirs du jour –
Mais un éclair de chaleur vient de jeter
La flamme bleue et verte de sa lueur.

1855



Le papillon


Tu vois juste. La légèreté de mes contours
Me donne ce charme fou.
Vivant et scintillant, tout mon velours –
Deux ailes, c’est tout.
Ne me demande pas d’où je  suis venu,
Ni où je me hâte.
Je me suis posé à l’instant sur cette fleur ténue
Et voilà – je respire.
Ai-je l’intention de respirer longtemps,
Léger et frivole ?
Un miroitement, j’ouvre mes ailes à l’instant
Et je m’envole.


1884

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire