vendredi 26 mars 2021

Le registre des réclamations (Anton Tchékhov)

     Ce texte parut dans l’hebdomadaire humoristique Fragments en mars 1884. Il était signé A. Tchékhontié, nom de plume du Tchékhov débutant. Il reflétait, d’après Maria Pavlovna, la sœur de l’écrivain, des observations personnelles de Tchékhov en chemin de fer. Le texte fut très apprécié. Tchékhov resta longtemps pour le public, d’après la notice de l’édition intégrale de ses œuvres en trente volumes, comme l’auteur de La partie de Wint et du Registre des réclamations. C’était deux ans avant qu’il ne reçût une lettre l’encourageant à ne pas gâcher son talent dans des broutilles, celle que lui adressa Dmitri Grigorovitch…









     Ce registre est déposé à la gare, dans un bureau spécialement fait pour lui. C’est le « gendarme de la gare » qui en conserve la clé, ce qui est parfaitement inutile puisque le bureau n’est jamais fermé. Ouvrez le registre, voici ce que vous lirez :


     « Cher Monsieur ! Essai de plume ? »


     En-dessous, le dessin d’une trogne à long nez et à petites cornes. On lit en-dessous :


     « Tu es l’image, moi le portrait, tu es une bourrique, pas moi. Je suis ta gueule. »


     « En approchant de cette gare, alors que je regardais le paysage par la fenêtre, mon chapeau s’est envolé. I. Iarmonkine. »


     « Je ne sais pas qui a écrit ça, mais l’idiot qui le lit, c’est moi. »


     « Un souvenir de Kolovroïev, chef du bureau des réclamations. »


     «  Je porte plainte contre le chef de train Koutchine pour la façon grossière dont il a traité ma femme. Mon épouse ne faisait aucun tapage, elle s’efforçait au contraire de faire régner le calme. Et je porte aussi plainte contre le gendarme Kliatvine qui m’a brutalement attrapé par l’épaule. Je loge dans la propriété d’Andréï Ivanovitch Ichtcheïev, qui connaît ma conduite. Samoloutchev, commis. »


     « Nikandrov est socialiste ! »


     « Encore sous le coup d’un acte révoltant… (barré). En traversant cette gare, j’ai été profondément indigné par ce qui suit… (barré). Voici la chose révoltante qui s’est produite sous mes yeux et peint de vives couleurs ce qui se passe sur nos lignes de chemin de fer… (la suite est barrée, sauf la signature). Alexeï Zoudiev, élève de septième1 au lycée de Koursk. »


     En attendant le départ de mon train, j’ai étudié la physionomie du chef de gare, qui ne m’a pas plu du tout. Je le déclare aux voyageurs de la ligne. Un estivant qui ne désespère pas. »


     « Je sais qui a écrit cela. C’est M. D. »


     « Messieurs ! Tieltsovski est un tricheur ! »


     « La femme du gendarme est allée hier de l’autre côté de la rivière avec le buffetier Kostka. Que tout aille bien. Ne t’afflige pas, gendarme. »


     « Étant affamé, je n’ai pu trouver, lors d’un arrêt dans cette gare, de quoi faire maigre. Le diacre Doukhov. »


     « Bouffe ce qu’on te donne ! »


     « Celui qui trouvera un étui en cigarettes en cuir est prié de le donner à Andréï Iégorytch, à la caisse. »


     « Puisqu’on m’a renvoyé sous prétexte que je serais un ivrogne, je déclare que vous êtes tous des escrocs et des voleurs. Le télégraphiste Kosmodémianski. »


     « Que la vertu vous embellisse ! »


     « Ma petite Katia, je vous aime à la folie ! »


     « Prière de ne pas écrire dans le registre des choses sans rapport avec le service. Pour le chef de gare, le septième Ivanov. »


     « Tu as beau être le septième, tu es un imbécile. »




Notes



     1. Les classes sont numérotées par ordre croissant, en Russie.

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