lundi 21 décembre 2015

Le monsieur de San Francisco ( Ivan Bounine 1915)



En octobre 1915, Ivan Bounine a quarante-cinq ans. C’est un écrivain célèbre en Russie, auteur de poésies, de traductions, de nouvelles et d’un roman qui  a fait beaucoup parler de lui à sa parution, quelques années plus tôt.

« La porte de l’Enfer, dans la Divine comédie, a l’obligeance de prévenir le visiteur de ce qui l’attend. Aucune mise en garde similaire n’orne la page de garde de l’ouvrage d’Ivan Alexeïevitch Bounine Le Village (1909). Le lecteur pénètre dans le récit sans imaginer un instant qu’il entame une descente aux enfers. Au pluriel.»  Pierre Lorrain, préface à l’édition française de ce livre aux éditions Bartillat en 2011, dans une traduction de Maurice Parijnanine.

Au pluriel, car Bounine ne se contente pas de décrire la misère et l’oppression du peuple russe, comme Tourguéniev ou Gorki par exemple, mais enfonce le lecteur dans la misère spirituelle de demi-intellectuels - moins idéologues que ceux des Démons - qui feront d’excellents barbares.
La pensée de l’Enfer n’a pas quitté Bounine, qui a beaucoup voyagé ces dernières années, et passé des hivers à Capri. Il nous entraîne ici sur un paquebot - rappelant par certains côtés le Titanic, qui a coulé trois ans plus tôt - pour un voyage aller-retour d’un type particulier. Ce navire est une image d’un monde terriblement inégalitaire à la veille de sombrer, où, comme sur le Titanic on danse sur le pont tandis que les esclaves, dans les entrailles du bateau - l’Atlantide ! - rougeoient dans les flammes, et que la mort attend son heure. Et le Diable, à la fin, observe le voyage de retour. Ce Diable si familier des lettres russes, de Gogol à Boulgakov en passant par Tolstoï et Tchekhov...
En octobre 1915, la Grande Guerre fait rage en Europe depuis plus d’un an. Elle entraînera la chute des empires, vite remplacés par les régimes totalitaires. Bounine quittera pour sa part la Russie en 1918, et s’installera en France.
La nouvelle commence avec une ironie benoîte laissant vite présager que cela va se gâter. Et cela se gâte fortement, à commencer par le temps (ce qui peut aussi nous parler, de nos jours...). Mais on sent bien que l’auteur ne s’arrêtera pas là, et le malaise grandit. L’ironie se fait grinçante, puis cruelle et le voyage du retour, à commencer par le grand-guignol de la cavalcade descendante, semble peint par Jéröme Bosch...

  






Le monsieur de San Francisco

(octobre 1915)




Le monsieur de San Francisco - on n’avait retenu son nom, ni à Naples ni à Capri - était venu passer deux années entières sur le Vieux continent avec sa femme et sa fille, et uniquement pour se distraire.
Il était fermement convaincu de son droit au repos, aux plaisirs et à un voyage en tout point parfait. Il appuyait cette conviction sur le fait, d’abord qu’il était riche, et ensuite qu’il venait d’entrer dans la vie, en dépit de ses cinquante-huit ans. Auparavant, il n’avait pas vécu, il s’était contenté d’exister, certes pas trop mal, mais en reportant néanmoins tous ses espoirs sur le futur. Il avait travaillé sans relâche, - les Chinois qu’il faisaient venir par milliers savaient ce que cela voulait dire ! - pour s’apercevoir en fin de compte qu’il se tenait presqu’au niveau de ceux qu’il prenait comme modèles, et décider de souffler un peu. Les gens de son milieu avaient l’habitude de commencer une vie de plaisirs par un voyage en Europe, aux Indes puis en Egypte. Ainsi ferait-il. Il voulait bien sûr se récompenser lui-même, en premier lieu, pour ces années laborieuses; cependant, il était également satisfait de son épouse et de sa fille. Il en fallait beaucoup pour impressionner sa femme, mais il est bien connu que toutes les Américaines d’un certain âge adorent les voyages. Et quant à sa fille, jeune fille de santé assez fragile, un voyage lui était indispensable: outre les considérations de santé, d’heureuses rencontres ne se font-elles pas souvent au cours de tels voyages? Il arrive qu’on s’asseye à table ou qu’on examine des fresques  aux côtés d’un milliardaire.
Le monsieur de San Francisco prépara un vaste itinéraire. Il comptait bien, en décembre et en janvier, jouir du soleil de l’Italie méridionale, des vestiges de l’Antiquité comme des tarentelles, des sérénades exécutées par des chanteurs de rue et du plaisir le plus subtil, pour un homme de son âge - l’amour, même légèrement intéressé, des Napolitaines; il avait l’intention d’être à Nice pour le carnaval, de là passer à Monte-Carlo, où, en cette période de l’année, afflue le gratin, où les gens s’adonnent à leur passion qui pour les courses automobiles ou les régates, qui pour la roulette, qui pour le flirt - ainsi désigné - qui enfin pour le tir aux pigeons, ces derniers s’élançant de petits jardinets au-dessus des pelouses vert émeraude, avec la mer bleu myosotis en arrière-plan, avant de s’abattre aussitôt à terre comme de petites boules de neige; il voulait consacrer le mois de mars à Florence, arriver à Rome pour la Passion, le temps d’y écouter le Miserere; aussi bien Venise que Paris entraient dans ses plans, de même qu’une course de taureaux à Séville, une baignade du côté des îles anglo-normandes, Athènes, Constantinople, l’Egypte, la Palestine et même le Japon - sur le chemin du retour, bien entendu...Et au début, tout se passa magnifiquement bien.
Fin novembre, en route vers Gibraltar, il fallut tantôt voguer à travers une obscurité glacée, tantôt affronter une tempête envoyant des paquets de neige humide; mais on voguait heureusement. Il y avait beaucoup de passagers, le vapeur - le fameux «Atlantide» -ressemblait à un immense hôtel pourvu de toutes les commodités, - entre autres, un bar de nuit, des bains à l’orientale et son propre journal, - et la vie à bord s’écoulait lentement: on se levait tôt, au son de trompettes résonnant fortement dans les couloirs alors qu’il faisait encore sombre, à cette heure où, au-dessus de la mer déserte et ondulant dans le brouillard, se faisait lentement jour une inamicale lueur gris-vert; vêtu d’un pyjama de flanelle, on buvait un café ou un chocolat chaud; puis on prenait son bain, on faisait de la gymnastique, histoire de s’ouvrir l’appétit et se sentir en forme, on finissait sa toilette matinale et on allait prendre le petit-déjeuner; on se promenait ensuite avec entrain sur l’un des ponts jusqu’à onze heures, en respirant la fraîcheur coupante de l’océan, ou encore on jouait au foot-ball ainsi qu’à d’autres jeux pour se réouvrir l’appétit, et à onze heures - on se requinquait avec des sandwiches accompagnés d’un potage léger; ainsi revigoré, on lisait avec plaisir le journal en attendant le déjeuner, plus copieux et d’un menu plus varié que celui du matin; les deux heures suivant le déjeuner étaient consacrées à la sieste; les ponts étaient alors tous encombrés de chaises-longues cannées sur lesquelles gisaient les passagers recouverts de plaids, observant les nuages dans le ciel et les mamelons couverts d’écume dansant sur la mer, ou bien somnolant avec béatitude; vers quatre heures et demie, les voyageurs rafraîchis et joyeux se voyaient abreuver d’un thé fort et parfumé; à sept heures, de nouveaux coups de trompette annonçaient l’ouverture de ce qui faisait le but essentiel de cette existence et son couronnement...Et le monsieur de San Francisco se dépêchait de regagner sa luxueuse cabine - pour s’habiller.
Le soir, les étages de l’»Atlandide» brillaient par d’innombrables yeux de tous leurs feux dans l’obscurité, et une multitude de serviteurs était à la tâche dans les cuisines, les laveries pour la vaisselle et les caves à vin. Derrière les parois du paquebot s’étendait l’effrayant océan, mais on n’y prêtait pas attention, fermement convaincu que l’on était du pouvoir exercé sur lui par le commandant de bord, homme roux d’une taille et d’un poids prodigieux, l’air toujours endormi, ressemblant, dans son uniforme aux larges galons d’or, à une idole énorme sortant très rarement de ses appartements secrets pour se montrer à la foule; à chaque instant, sur le gaillard d’avant, dans une obscurité infernale, hurlait la sirène, glapissant avec une méchanceté frénétique, mais, parmi les dîneurs, peu l’entendaient - recouverte qu’elle était par les sons d’un excellent orchestre d’instruments  à cordes jouant  élégamment et sans relâche dans la salle à la double rangée de hublots, inondée de lueurs de fête, totalement remplie de dames en décolleté et de messieurs en frac et en smoking, de valets bien bâtis et de maîtres d’hôtel déférents, au milieu desquels le seul à prendre commande des vins se déplaçait avec même une chaîne au cou, semblable à un lord-maire. Son smoking et son linge empesé rajeunissaient considérablement le monsieur de San Francisco. Maigre, pas bien grand, dans son habit mal coupé mais fort bien cousu, il était assis, dans le scintillement des ors et des perles dans cette salle, abrité par une bouteille de vin, des verres et des flûtes du verre le plus fin et les boucles d’un bouquet de jacinthes. Il y avait quelque chose de mongol dans son visage jaunâtre aux moustaches argentées et bien taillées, ses fortes dents arborant des plombages d’or et son crâne chauve de vieil ivoire. Forte, d’un embonpoint tranquille, sa femme était vêtue richement, mais conformément à son âge; plus recherchée, mais aérienne et d’une franchise innocente était la tenue de sa fille, mince et élancée, avec sa chevelure magnifique coiffée de façon charmante et son haleine parfumée à la violette et de tendres petits boutons roses, à peine recouverts de poudre,  près des lèvres et dans le dos...Le dîner durait plus d’une heure, puis les danses commençaient dans la salle de bal, tandis que les messieurs, - y compris, bien entendu, le monsieur de San Francisco - le visage rouge comme des écrevisses, grimpaient sur les tabourets du bar fumer des havanes et boire des liqueurs servies par des nègres en pourpoint rouge, avec le blanc de l’oeil semblable à un oeuf dur épluché. L’océan mugissait, ses montagnes noires battant les parois du navire, la tempête de neige hurlait dans les agrès alourdis, un tremblement prenait le paquebot tout entier, victorieux et de la tempête et des montagnes d’eau, - rejetant de côté leurs masses vacillantes, cabrées haut dans un panache d’écume perpétuellement bouillonnante, comme un soc de charrue se frayant sa route dans la terre, - la sirène poussait un gémissement lugubre étouffé par le brouillard, dans leurs tourelles, les hommes de quart mouraient de froid, tendus dans un effort surhumain pour surveiller la route, tandis que les entrailles obscures et brûlantes du navire ressemblaient au neuvième et dernier cercle de l’enfer - où, dans un cacardement d’oies, les foyers titanesques engloutissaient dans leurs gosiers brûlants les montagnes de charbon que leurs jetaient bruyamment des hommes nus jusqu’à la ceinture, dégoulinant d'une sueur sale et âcre, le torse rougi par les flammes;  mais ici, dans le bar, les jambes tranquillement croisées et dépassant les poignées des haut sièges, les messieurs goûtaient le cognac et sirotaient les liqueurs,  au milieu des nuages de fumée épicée, la salle de bal ruisselait de lumière, ce n’était que chaleur et joie de vivre, les couples tantôt s’élançaient pour la valse, tantôt se ployaient dans un tango - et la musique, insistante, d’une tristesse à la fois suave et impudente, implorait, reprenait sans cesse la même prière...Au milieu de cette foule brillante se tenait un richard glabre, de haute taille, portant un frac à l’ancienne mode, un écrivain espagnol, une beauté universellement connue, un gracieux couple d'amoureux que tous suivaient des yeux avec curiosité et qui ne cachaient pas leur bonheur: lui ne dansait qu’avec elle, et il émanait de ce couple un tel charme subtil que le commandant était seul à savoir qu’ils étaient grassement payés par la Lloyd pour jouer les amoureux sur l’un ou l’autre des bateaux de la compagnie.
A Gibraltar, ils se réjouirent tous de voir le soleil, on aurait dit comme un printemps précoce; à bord de l’»Atlantide» un nouveau passager fit son apparition, qui éveilla l’intérêt général, - c’était l'héritier de la couronne d’un royaume d’Asie, voyageant incognito, homme de petite taille, au maintien raide, au large visage et aux yeux étrécis derrière des lunettes cerclées d’or, un tantinet déplaisant - en ceci qu’on voyait à travers sa large moustache comme à travers celle d’un mort, mais, dans l’ensemble, il était gentil, simple et modeste. Les vagues de la Méditerranée étaient fortes et irisées comme la queue d’un paon, la tramontane déchaînée les heurtant et les élevant joyeusement dans l’air brillant et sous le ciel absolument pur...Ensuite, le lendemain, le ciel perdit de son éclat, des nuages se formèrent à l’horizon: on s’approchait de la terre ferme, d’Ischia, de Capri, dans les jumelles on apercevait déjà Naples, comme des morceaux de sucre épars au pied de la montagne bleuâtre...Les enfants et les gentlemen avaient souvent déjà revêtu leurs pelisses courtes, au col de fourrure; les humbles boys chinois au perpétuel chuchotement, adolescents aux jambes torses et aux tresses noires comme du goudron descendant jusqu’au talon et de longs cils de demoiselles, amenaient peu à peu devant les passerelles les plaids, les cannes, les malles, les sacs...La fille du monsieur de San Francisco se tenait sur un pont à côté du prince héritier, dont, par un heureux hasard, elle avait fait la connaissance la veille au soir., et elle faisait mine de regarder fixement au loin, dans la direction qu’il lui indiquait, en lui expliquant quelque chose d’une voix rapide et sans parler trop fort; sa taille le faisait paraître, au milieu de tous, comme un jeune garçon, il n’était guère beau et semblait étrange - les lunettes, le chapeau melon, le pardessus anglais, puis, les rares poils de sa moustache, semblables à des crins de cheval, la fine peau mate comme tendue telle un vernis déposé sur son visage aplati, - mais la jeune fille l’écoutait et, dans son émotion, ne comprenait pas ce qu’il lui disait; son coeur, en sa présence, s’emballait de façon incompréhensible: rien, chez lui, n’était comme chez les autres, - ses mains sèches, sa peau très propre, sous laquelle circulait un antique sang royal; même son habit européen, à la fois très simple et paraissant extrêmement soigné, tout ceci recelait un charme indéfinissable. Et le monsieur de San Francisco lui-même, en guêtres grises au-dessus de ses souliers, ne cessait de jeter des coups d’oeil sur sa voisine, la beauté célèbre, une blonde de heute taille et d’une étonnante prestance, aux yeux maquillés à la dernière mode parisienne, qui tenait au bout d’une laisse d’argent un chien minuscule, tout courbé et complètement pelé auquel elle parlait sans trêve. Et sa fille, quelque peu gênée par ce manège, s’efforçait de n’y point prêter attention.
Il se montrait, en voyage, plutôt généreux et, en conséquence, ne doutait pas de la sollicitude de ceux qui lui donnaient à boire et à manger, à son service du matin au soir, prévenant le moindre de ses désirs, protégeant la propreté et la tranquillité de son entourage, prenant ses affaires, appelant en son nom les porteurs et faisant transporter ses malles dans les hôtels. Cela se passait de la sorte partout, cela s’était passé ainsi pendant la traversée, il devait en être de même à Naples. Naples se rapprochait, grandissant à vue d’oeil; les musiciens, dans l’éclat des cuivres, s’étaient regroupés sur le pont et avaient entamé une marche aussi triomphale qu’assourdissante, le commandant gigantesque, en grand uniforme, était apparu sur sa passerelle et, tel un dieu païen bienveillant, saluait de la main les passagers. Et lorsque l’»Atlantide» entra pour de bon dans le port et accosta le quai qu’il dominait de la masse de ses étages noirs de monde et que le grincement des passerelles se fit entendre, - combien de portiers en casquettes à galons dorés, avec leurs aides, combien de commissionnaires de toutes sortes, de gamins siffleurs, de gaillards en loques mais vigoureux avec dans les mains des liasses de cartes postales en couleur, comme toute cette foule se rua à la rencontre des arrivants pour leur proposer ses services! Et les costauds en loques le firent sourire avec malice, se dirigeant vers l’automobile de ce même hôtel où, peut-être, était aussi descendu le prince héritier, grommelant à travers ses dents, tantôt en anglais, tantôt en italien : 
—  Go away ! Via !*   
A Naples, la vie s’écoula aussitôt dans un ordre bien établi: tôt le matin, petit-déjeuner dans la salle à manger encore sombre, ciel nuageux et peu prometteur, foule de guides devant l’entrée; après quoi, premiers sourires d’un soleil nimbé de rose, vue, depuis le balcon en surplomb, sur le Vésuve aux abords dissimulés par le reflet brillant des vapeurs matinales, sur le golfe ridé de nacre et d’argent où se dessinait légèrement à l’horizon Capri, sur l’esplanade du quai où trottaient, semblant minuscules tout en bas, de petits ânes tirant des carrioles et sur les détachements de soldats tout aussi minuscules, courant quelque part au son d’une musique vive et entraînante; puis, c’était la sortie en automobile et la circulation lente le long des rues étroites, humides et populeuses, entre les hautes maisons aux fenêtres multiples, la visite de musées propres et morts, à l’éclairage uniforme, aussi ennuyeux qu’agréable, comme de la neige, ou d’églises froides sentant la cire, toutes pareilles entre elles: une entrée majestueuse, barrée d’un lourd rideau de cuir, et à l’intérieur - le vide immense, le silence, la lueur tranquille des chandeliers à sept branches rougeoyant, au fond, sur l’autel orné de dentelles, une petite vieille perdue au milieu des sombres pupitres en bois, les plaques funéraires glissantes sous les pieds et l’inévitable «Descente de croix» de quelque peintre renommé; à une heure, déjeuner sur le Mont Saint-Martin, haut lieu de rassemblement, vers le midi, de l’élite mondaine, et où la fille du monsieur de San Francisco faillit se trouver mal: elle avait cru apercevoir, assis à une table, le prince héritier, tout en sachant celui-ci à Rome, d’après les journaux; à cinq heures, thé à l’hôtel, au salon d’apparat où il faisait si chaud, entre les tapis et les flambées dans les cheminées; puis c’étaient de nouveaux préparatifs en vue du dîner, auquel appelait encore le son impérieux du gong résonnant à tous les étages, le bruissement dans les escaliers des dames en robe de soie dont les miroirs reflétaient le décolleté; de nouveau la grande et accueillante salle à manger et les musiciens en veston rouge sur l’estrade, la troupe noire des valets auprès du maître d’hôtel versant avec une surprenante dextérité une épaisse soupe rose dans les assiettes...Les repas étaient si plantureux, si riches en plats comme en vins variés, sans oublier les eaux minérales, les sucreries et les fruits, que vers onze heures du soir les femmes de service faisaient le tour des chambres et distribuaient des bouillottes brûlantes pour soulager les estomacs.
Mais en décembre, les choses se gâtèrent: lorsqu’on interrogeait les portiers au sujet du temps, ceux-ci haussaient les épaules en marmonnant qu’ils n’avaient jamais rien vu de pareil, même si ce n’étaient pas la première année qu’ils marmonnaient cela, en alléguant d’autres choses épouvantables un peu partout : des averses et des tempêtes sur la Riviera, de la neige à Athènes, l’Etna également enneigé, sa blancheur illuminant la nuit, de fortes gelées à Palerme, faisant fuir les touristes...Tous les matins, le soleil matinal se montrait trompeur: à partir de midi, le ciel virait immanquablement au gris, et la pluie se mettait à tomber, toujours plus forte, toujours plus froide; les palmiers, devant l’entrée de l’hôtel, brillaient alors comme s’ils étaient en fer-blanc, la cité semblait particulièrement sombre et sale, les musées excessivement monotones, les mégots de cigares des cochers obèses, dans leurs cirés dont le vent faisait flotter les pans, d’une insupportable puanteur, le fouet claquant au dessus du cou grêle des rosses paraissant théâtral, les souliers des signorsoccupés à balayer les rails du tramway faisaient peur, et les femmes clapotant dans la boue, la pluie fouettant leurs noires chevelures, courtaudes et difformes; il y avait peu à dire à propos de l’humidité et de l’odeur de poisson pourri montant du rivage de la mer écumante. Le monsieur de San Francisco et sa femme commencèrent à se quereller le matin; leur fille, tantôt errait, pâle et souffrant de maux de tête, tantôt reprenait vie, tout l’enthousiasmait, elle était de nouveau gentille et belle: elle éprouvait, d’une jolie façon complexe, de tendres sentiments , suscités en elle par la rencontre d’un homme laid, dans les veines duquel coulait un sang rare, puisque, tout compte fait, peu importe ce qui éveille l’âme des jeunes filles, - que ce soit l’argent, la gloire ou la noblesse de l’origine...De l’avis général, à Sorrente ou à Capri, ce serait différent, il y faisait plus chaud, c’était plus ensoleillé, les citronniers étaient en fleurs, les moeurs plus honnêtes et le vin moins trafiqué. Et voici que la famille de San Francisco décida de s’en aller, avec tout son équipage de malles, à Capri, de façon à, l’ayant visité, s’étant même promené par les rochers du côté de la villa de Tibère, ayant aussi passé un moment dans les cavernes féériques de la Grotte d’azur et prêté l’oreille aux cornemuses des Abruzzes, s’étant ainsi baladé tout le mois précédant Noël dans l’île, en chantant des louanges à la Vierge Marie, aller se poser à Sorrente.
Le jour du départ, - jour mémorable pour la famille de San Francisco! - le soleil refusa de se montrer, même le matin. Un fort brouillard masquait le Vésuve depuis sa base, prenant une teinte grise en rampant sur la houle couleur de plomb de la mer. Capri avait disparu - à croire que l’île n’avait jamais existé. Et le petit vapeur qui se dirigeait vers elle subissait un tel roulis que la famille de San Francisco gisait plus morte que vive sur les couchettes du pitoyable carré de ce bateau, les jambes recouvertes de plaids et les yeux fermés par le vertige. Madame pensait souffrir plus que tout le monde: elle s’était vu mourir plus d’une fois, et la femme de chambre accourue en hâte vers elle avec une cuvette, - infatigable malgré les nombreuses années passées à être ballotée chaque jour par les vagues, aussi bien en plein gel que sous la canicule, - ne faisait qu’en rire. La jeune miss était d’une pâleur à faire peur et serrait entre ses dents une tranche de citron. Monsieur, étendu sur le dos, avec sur lui son grand manteau et sa grande casquette, ne desserra pas les mâchoires de toute la traversée; son visage s’était assombri, sa moustache paraissant plus blanche, et sa tête le faisait atrocement souffrir: ces derniers temps, pour combattre le mauvais temps, il avait beaucoup trop bu le soir et avait admiré bien trop de «tableaux vivants» dans quelques mauvais endroits. Et la pluie fouettait les carreaux à les faire trembler,  de l’eau coulait sur les couchettes, le vent se ruait contre les mâts et parfois, poussant une haute vague, couchait presque le bateau sur le côté et l’on entendait des choses rouler, tout un fracas dans la cale. Lors des escales, à Castellammare, puis à Sorrente, c’était un peu mieux; mais même là, l’oscillation était effrayante, le rivage et tous ses escarpements, ses jardins, ses pins parasols, ses hôtels à la façade rose ou blanche et ses montagnes bosselées de verdure et remplies de fumées, ne faisaient que se balancer derrière la fenêtre, de haut en bas et de bas en haut; les barques cognaient contre les parois du bateau, le vent chargé d’humidité soufflait sous les portes et, dans le canot agité arborant le pavillon de l’hôtel «Royal», un gamin à la voix grasseyante hurlait sans interruption pour attirer les voyageurs. Et le monsieur de San Francisco, se sentant - et cela lui convenait - bien âgé, pensait déjà, avec abattement et haine, à toute cette piétaille de gens cupides et puant l’ail - les Italiens; lors d’une escale, ouvrant les yeux et se soulevant un peu sur son divan, il avait aperçu, au pied de la falaise,un tas de ces maisonnettes en pierres recouvertes de moisissure, pitoyables et collées les unes contre les autres sur le rivage, au milieu de guenilles, de boîtes en fer-blanc et de filets de pêche brunis, spectacle si saisissant qu’il se désolait à l’idée que l’Italie dont il pensait jouir au cours de sa croisière, la véritable Italie, c’était cela...Enfin, dans l’obscurité du soir, déjà, s’approcha la masse sombre de l’île, comme percée de part en part de lueurs rouges, au pied de la montagne, le vent se calma, se réchauffa, se mit à embaumer, sur les vagues apaisées, s’écoulant comme une huile noire, serpentaient les reflets d’or des réverbères de la jetée...Puis ce fut le soudain grincement, suivi d’un clapotis, de l’ancre jetée à l’eau, les cris furieux des bateliers, hurlant à qui mieux mieux - et on se sentit tout de suite mieux,; le carré s’illumina, revint l’envie de manger, de boire, de fumer, de bouger...Dix minutes plus tard, la famille de San Francisco prit place à bord d’une grande péniche qui eut tôt fait d’accoster, puis d’un wagonnet bien éclairé qui se mit, en bourdonnant, à gravir la pente, au milieu des vignes accrochées à des piquets, d'enceintes de pierres à moitié écroulées, d’orangers noueux et humides, abrités ici et là d’auvents en paille, avec leurs fruits luisants et leur épais feuillage brillant qui défilaient , comme dévalant vers le bas de la montagne, derrière les fenêtres ouvertes du petit wagon...En Italie, après la pluie, la terre exhale une odeur suave, et chaque île possède sa propre odeur !
Ce soir-là, l’île de Capri était humide et sombre. Mais elle s’anima bientôt, s’éclairant de lumières apparues. En haut de la montagne, sur la plate-forme du funiculaire, s’était là encore rassemblée la foule des gens dont la mission était d’accueillir dignement le monsieur de San Francisco. Il y avait certes d’autres arrivants, mais pas de quoi leur prêter attention, - quelques Russes en train de visiter Capri, malpropres et distraits, portant barbe et lunettes, ayant relevé le col de leur paletot râpé, ainsi qu’une troupe de jeunes Allemands aux longues jambes et aux têtes rondes, en costumes du Tyrol et avec des sacs en toile sur le dos, n’ayant guère besoin qu’on leur rende service et fort pingres. S’étant tranquillement écarté aussi bien des premiers que des seconds, le monsieur de San Francisco fut tout de suite remarqué. On se dépêcha de les aider à sortir, lui et ses dames, on se porta en avant en toute hâte pour leur indiquer le chemin, il se retrouva de nouveau entouré par une bande de jeunes garçons et par ces robustes femmes de Capri qui portent sur leur tête les valises et les malles des touristes convenables. Leurs escabeaux de bois cognant le plancher de la plate-forme d’opérette, au-dessus de laquelle se balançait, dans le vent humide, le globe de l’éclairage électrique, la bande de gamins se lança en sifflant dans des pirouettes et des culbutes - et le monsieur de San Francisco s’avança au milieu d’eux comme sur une scène de théâtre vers une sorte d’arche moyenâgeuse, en dessous de maisons accolées, avec, de l’autre côté, sonore et agitée de palmiers au-dessus du toit plat des maisons du côté gauche, avec les étoiles bleutées sur le fond noir du ciel, une rue en pente menant à l’entrée illuminée de l’hôtel. On aurait dit que, en l’honneur de ses hôtes de San Francisco, s’était ranimée cette humide petite ville de pierre, sur cette île rocheuse de la Méditerranée, que c’était leur arrivée qui remplissait de bonheur et de joie le patron de l’hôtel, que c’était eux que le gong chinois attendait pour résonner par les étages, sonnant le ralliement et appelant au dîner, à peine étaient-ils entrés dans le vestibule. 
Le patron de l’hôtel, jeune et d’une élégance remarquable, qui les accueillit en s’inclinant avec une politesse recherchée, frappa d’étonnement, un instant, le monsieur de San Francisco: il se souvint brusquement d’avoir rêvé de ce gentleman la nuit précédente, assiégé qu’il était de visions confuses, il reconnaissait la jaquette, et jusqu’à la coiffure. Stupéfait, il faillit s’arrêter. Mais, comme il ne subsistait plus en lui, et depuis longtemps, la moindre parcelle de mysticisme, cette stupeur se dissipa aussitôt: tout en arpentant le couloir de l’hôtel , il raconta sur le ton de la plaisanterie à son épouse et à sa fille cette étrange coïncidence entre le rêve et la réalité. Mais sa fille lui jeta alors un regard alarmé: une angoisse lui serra brusquement le coeur, un sentiment d'effrayante solitude, sur cette île étrangère et sombre...
Une personnalité d’importance venait justement de séjourner à Capri. Et furent attribués à ces gens de San Francisco les appartements qu’elle avait occupés. On leur adjoignit la femme de chambre la plus jolie et la plus habile, une Belge, dont le corset maintenait fermement la taille fine et dont le petit bonnet amidonné ressemblait à une couronne dentelée, ainsi que celui des valets présentant le mieux, noir comme du charbon, un Sicilien à l’oeil de braise et enfin le plus dégourdi des garçons d’étage, un certain Luigi, petit homme grassouillet, qui n’en était pas à sa première place de garçon d’hôtel. Quelques instants plus tard, un maître d’hôtel français vint légèrement frapper à la porte de la chambre du monsieur de San Francisco, pour savoir si les nouveaux arrivants avaient l’intention de venir dîner, et, dans l’affirmative - ce qui ne faisait guère de doute - il pouvait proposer aujourd’hui de la langouste, du rosbif, des asperges, du faisan, etc. Le sol semblait encore tanguer sous les pieds du monsieur de San Francisco - un souvenir de ce vilain petit vapeur italien - mais il alla lui-même, sans se presser mais avec une maladresse due au manque d’habitude, refermer la fenêtre que l’arrivée du maître d’hôtel avait fait battre, laissant s’engouffrer de lointains relents de cuisine ainsi que les odeurs de fleurs mouillées en provenance du jardin, et répondit avec une netteté tout aussi dépourvue de hâte qu’ils dîneraient, qu’il fallait dresser leur table loin des portes, tout au fond de la salle, qu’ils boiraient un cru de l’endroit, le maître d’hôtel ponctuant chacune de ses paroles d’approbations comportant les intonations les plus variées mais convergeant toutes dans le bien-fondé indubitable des exigences du monsieur de San Francisco, qui seraient satisfaites avec fidélité. Ensuite de quoi, il inclina la tête et s’enquit avec délicatesse :
— Ce sera tout, sir ?
Et, ayant reçu cette réponse formulée avec lenteur, «yes», il ajouta qu’il se produirait aujourd’hui dans le vestibule une tarentelle - avec pour exécutants Carmella et Giuseppe, célèbres dans toute l’Italie et «parmi tous les touristes».
—  Je l’ai vue sur des cartes postales,  dit le monsieur de San Francisco d’une voix neutre. Et ce Giuseppe, c’est son mari ?
—  Son cousin germain, sir,  répondit le maître d’hôtel.
Et, au bout de quelques instants, restant silencieux mais pensant à quelque chose, le monsieur de San Francisco lui rendit, d’un signe de tête, sa liberté.
Après quoi, il se remit à se préparer, comme pour un couronnement: il alluma partout les lumières électriques, dont les miroirs reflétèrent l’éclat en même temps que le  mobilier et les malles béantes, commença à se raser et se laver, en sonnant à tout bout de champ, le couloir se remplissant de coups de sonnette impératifs, les siens comme ceux en provenance de la chambre de sa femme et de celle de sa fille. Et dans son tablier rouge, avec la légèreté de mouvements de nombreux obèses et d’effrayantes grimaces qui faisaient rire aux larmes les femmes de chambre le dépassant en toute hâte, des bassines carrelées dans les mains, Luigi dégringolait à chaque coup de sonnette et toquait d’un doigt à la porte, avec une feinte timidité, et demandait avec une déférence poussée quasiment à l’idiotie :
— Ha sonato, signore ?**  Et, derrière la porte, on entendait une voix grinçante répondre sans hâte, avec un politesse désobligeante :
— Yes, come in...***         
Que pouvait bien ressentir le monsieur de San Francisco, quelles étaient ses pensées en cette soirée si importante pour lui ? Comme toute personne ayant été secouée et ballotée,  il avait juste très faim, il se délectait à l’avance de sa première cuillerée de soupe, de sa première gorgée de vin et faisait sa toilette comme à l’accoutumée, avec même une certaine excitation ne laissant place ni au sentiment ni à la réflexion.
S’étant rasé et lavé, ayant remis en place certaines de ses dents, il se tint devant les miroirs pour s’humecter et, à l’aide de brosses, remettre en ordre, comme des perles d’argent, les quelques cheveux décorant son crâne jaunâtre, enfila sur son solide corps de vieillard, qu’une alimentation plantureuse faisait grossir, un maillot de soie crème, sur ses jambes sèches avec leurs pieds plats, des chaussettes de soie noire et des chaussures de bal, puis, se penchant, arrangea les pantalons noirs tenus haut par les bretelles et la chemise bombée, d’une blancheur immaculée, ajusta ses brillants boutons de manchette et entreprit de se battre, sous le col raide, avec un bouton de col. Il sentait encore le plancher se balancer sous ses pieds, le bout de ses doigts était fort douloureux, le bouton lui cisaillait par moments la peau flasque dans les replis sous la pomme d’Adam,  mais il persévérait et, à la fin des fins, les yeux brillant de concentration, devenant bleu et la gorge à moitié écrasée par ce col trop serré, il en vint néanmoins à bout, avant de s’asseoir, épuisé, devant le trumeau lui renvoyant son image, démultipliée par les autres miroirs.
—  Ah, c’est épouvantable!   murmura-t-il, abaissant sa forte tête chauve et ne sachant pas, ni ne cherchant à comprendre, ce qu’il pouvait bien y avoir d’épouvantable, au juste; ensuite, par un effet d’habitude, il examina attentivement ses doigts courtauds, aux articulations déformées par la goutte, avec leurs ongles durs et saillants, d’une couleur d’amande, et répéta avec conviction: — C’est épouvantable...
Retentit à cet instant, comme dans un temple païen, l’appel sonore, vibrant dans tout le bâtiment, du second coup de gong. Et le monsieur de San Francisco, se levant précipitamment, resserra un peu plus son col avec son noeud de cravate, se comprima le ventre avec son gilet, passa son smoking, rajusta ses manchettes, se jeta encore un coup d’oeil dans le miroir...Cette Carmella, avec son teint mat et ses yeux remplis d'affectation, semblable à une mulâtresse, dans sa toilette diaprée où dominait l’orange, doit sûrement danser de façon extraordinaire, se dit-il. Et, sortant d’un pas alerte de sa chambre et arpentant le tapis devant la chambre voisine, celle de sa femme, il demanda d’une voix forte si elles étaient prêtes.
—  Encore cinq minutes!  lui répondit, sonore et déjà joyeuse, derrière la porte, la voix de sa fille.
—  Parfait, dit le monsieur de San Francisco.
Et, sans se presser, il se mit à déambuler dans les couloirs et les escaliers recouverts de tapis, descendant les étages à la recherche d’une salle de lecture. Les employés qu’il croisaient se serraient contre le mur pour lui faire place, et il poursuivait sa route sans presque les remarquer. Une petite vieille en retard pour le dîner, déjà voûtée et à cheveux blancs, portant néanmoins une robe de soie gris clair décolletée, fit un grand effort pour rester devant lui, mais elle trottinait de façon ridicule, comme une poule, et il la dépassa sans effort. A côté des portes vitrées de la salle à manger, où tous s’étaient déjà rassemblés et avaient commencé à manger, il s’arrêta devant un guéridon encombré de boîtes de cigares et de cigarettes égyptiennes, s’empara d’un grand cigare de Manille  et laissa trois lires sur la table; au passage, par une fenêtre ouverte, il jeta un coup d’oeil sur le jardin d’hiver: l’obscurité exhala un souffle suave, il crut voir la cime d’un vieux palmier tendant aux étoiles ses feuilles dentelées, semblant énormes et portant le lointain murmure de la mer...Dans le salon de lecture, calme et confortable, à l’éclairage disposé au-dessus des tables, se tenait une sorte d’ Allemand grisonnant, rappelant Ibsen, en lunettes rondes et cerclées d’argent, occupé, debout, à froisser les journaux qu’il parcourait avec des yeux abasourdis, déments. Lui ayant jeté un regard froid, le monsieur de San Francisco s’enfonça dans un profond fauteuil de cuir, dans un coin auprès d’une lampe à abat-jour vert, mit son pince-nez puis, sortant la tête du col qui l’étranglait, se cacha derrière un journal qu’il avait déplié. Il parcourut rapidement les titres de quelques articles, lut quelques lignes à propos de l’incessant conflit dans les Balkans, retourna d’un geste familier le journal, - et soudain, devant ses yeux s’enflammèrent des lignes brillantes comme du verre, son cou se tendit avec effort, il écarquilla les yeux, le pince-nez s’envola tout seul...Il s’arracha du fauteuil, l’air lui manquait - il émit un râle sauvage; sa mâchoire se décrocha, montrant sa bouche illuminée de ses plombages en or, sa tête retomba sur son épaule comme une écharpe, le plastron de sa chemise ressortant comme une boîte - et, son corps entier se tortillant, ses talons accrochant le tapis, il se traîna par terre, paraissant plongé dans une lutte acharnée avec un adversaire invisible.
Sans la présence, dans la salle de lecture, de l’Allemand, l’hôtel aurait très bien su étouffer au plus vite cet événement effrayant, on aurait emporté, en lui prenant les jambes et en lui soutenant la tête, le monsieur de San Francisco, en le sortant par les entrées de service pour l’emmener plus loin - et nul client n’aurait eu vent de ce très fâcheux incident. Mais l’Allemand en question se rua avec des cris hors de la pièce, alertant l’hôtel tout entier, à commencer par la salle à manger. Et de nombreux dîneurs abandonnèrent leurs assiettes pour se lever, blêmes, et se ruer dans le salon de lecture, criant dans toutes les langues: «Qu'est-ce que c’est, que se passe-t-il?» - et aucune réponse sensée ne venait, personne n’y comprenait rien, puisque les humains sont toujours frappés de stupeur devant la mort, à laquelle ils ne veulent pas croire. Le patron de l’hôtel se démenait, allant d’un client à l’autre, s’efforçant de retenir les fuyards et de les calmer, dans un torrent d’assurances et de protestations, que ce n’était rien, trois fois rien, un monsieur de San Francisco était victime d’un simple évanouissement...Mais on ne l’écoutait pas, plus d’un voyait les valets et les garçons d’étage enlever à ce monsieur sa cravate, son gilet, son smoking froissé et même, allez savoir pourquoi, ses chaussures de bal, découvrant la soie noire de ses chaussettes et ses pieds plats. Lui se débattait encore. Il persévérait dans son combat contre la mort, il ne voulait à aucun prix se soumettre à celle qui l’avait assailli de façon aussi imprévue et aussi grossière. Il secouait la tête, râlait comme un homme égorgé, roulait des yeux comme s’il était ivre-mort...On se dépêcha de le soulever et de le déposer sur le lit de la chambre numéro quarante-trois, - la plus petite, la plus médiocre, la plus humide et la plus froide, au bout d’un couloir au rez-de-chaussée, - et l’on vit accourir sa fille, les cheveux complètement défaits, la poitrine nue et soulevée par le corset, suivie de sa mère, forte et entièrement habillée, prête pour le dîner, la bouche arrondie par l’épouvante...Mais la tête du monsieur de San Francisco ne bougeait déjà plus.
Un quart d’heure plus tard, à l’hôtel, tout était plus ou moins rentré dans l’ordre. Mais la soirée était irrémédiablement gâchée. Les uns, retournant à la salle à manger, achevèrent en silence leur repas, l’air offensé, tandis que le patron de l’hôtel allait voir tantôt l’un tantôt l’autre, haussant les épaules en contenant par décence son irritation impuissante, se sentant dans le rôle d’un coupable innocent, assurant à tous qu’il comprenait «comme tout ceci est désagréable», donnant sa parole d’honneur qu’il prendrait «toutes les mesures en son pouvoir» pour éloigner tous ces désagréments; la tarentelle fut reportée, on éteignit les lumières superflues, la majorité des clients partit en ville, à la brasserie, il se fit un tel calme qu’on entendait le battement de la pendule du vestibule, où seul un perroquet  marmonnait quelque chose d’une voix inexpressive, tournicotant dans sa cage et cherchant le sommeil, s’évertuant à s’endormir la patte absurdement levée au-dessus du poêle...Le monsieur de San Francisco gisait sur un lit de fer bon marché, sous des couvertures d’une laine grossière, sous la lumière sourde d’une applique au plafond. Une vessie avec de la glace pendouillait sur son front froid et humide. Bleuâtre, son visage mort s’était progressivement figé, le râle bouillonnant qui s’échappait de sa bouche ouverte, renvoyant toujours des reflets d’or, était devenu plus faible. Celui qui émettait ce râle n’était plus le monsieur de San Francisco, - il n’était déjà plus, - mais quelqu’un d’autre. Son épouse, sa fille le docteur, les serviteurs, tous l’observaient, debout. Soudain se produisit ce qu’ils attendaient et redoutaient - le râle cessa. Et, lentement, très lentement, aux yeux de tous, la pâleur quitta le visage du mort, dont les traits s’affirmèrent, comme éclaircis...
Entra le patron de l’hôtel. «Gia é morto»**** ,  lui chuchota le docteur. L’hôtelier, impassible, eut un haussement d’épaules. Madame s’approcha de lui, des larmes roulant en silence sur ses joues, pour lui dire qu’il fallait à présent transporter dans sa chambre le défunt.
—  Oh, non, madame, s’empressa de répondre, correct mais sans trace d’amabilité, non pas en anglais mais en français, le patron, pour qui ne présentaient plus le moindre intérêt  les sommes dérisoires qu’allaient à présent lui rapporter ces gens de San Francisco. C’est absolument impossible, madame,   dit-il, ajoutant en guise d’explication qu’il chérissait trop les appartements concernés, et que s’il accédait à sa demande, toute l’île serait au courant de la chose et les touristes fuiraient son hôtel.
Les yeux fixés sur son père, la fille du monsieur de San Francisco sanglotait, un mouchoir plaqué contre sa bouche. D’un seul coup, les larmes se tarirent chez sa mère, dont le visage devint tout rouge. Elevant le ton, elle se mit à exiger, parlant en anglais et refusant de croire qu’ils avaient perdu tout droit au respect. Avec une froide dignité, le patron la remit à sa place: si les dispositions de l’hôtel ne lui convenaient pas, madame était bien libre de partir; et de déclarer fermement que le corps devait être évacué à l’aube, ce jour même, que la police était déjà informée de la situation et qu’un représentant de la loi se montrerait sans tarder pour régler les formalités indispensables...Madame désirait savoir si l’on pouvait se procurer, à Capri même, un cercueil, même des plus simples ? Hélas non, en aucun cas, et le temps manquerait pour en fabriquer un. Il faudrait procéder autrement...L’hôtel recevait en nombre de grands caissons allongés contenant du soda anglais...on pouvait utiliser les cloisons de ces caissons...
Cette nuit-là, tout le monde dormit, à l’hôtel. Dans la chambre quarante-trois, on avait ouvert la fenêtre, qui donnait sur un coin du jardin où poussait un bananier souffreteux, à l’ombre du haut mur garni de tessons de verre à son sommet, - on avait éteint la lumière, fermé la porte à clé et voilà tout. Le mort restait dans l’obscurité, sous le regard bleuté des étoiles, et, sur le mur, s’élevait le chant triste et insouciant d’un grillon...Dans le couloir faiblement éclairé, deux femmes de chambre, assises contre un rebord de fenêtre, ravaudaient quelque chose. Luigi fit son apparition, chaussé, un tas d’habits sur le bras.
— Pronto? (C’est prêt?)  s’enquit-il, affairé, dans un chuchotement qui résonna, en désignant du regard la porte effrayante, au bout du couloir. Et il eut un petit mouvement de sa main libre dans la direction de la chambre. Partenza! *  (* En avant ! )  chuchota-t-il encore plus fortement, comme on donne le signal du départ aux trains, dans les gares italiennes, - et les femmes de chambres, riant sans bruit, cachèrent chacune leur tête dans l’épaule de l’autre.
Puis il sautilla avec légèreté jusqu’à la porte, à laquelle il frappa si doucement qu’on l’entendit à peine et, inclinant la tête, demanda à mi-voix de la façon la plus respectueuse:
—  Ià sonato, signore ? ** 
Et, contraignant sa gorge, avançant la mâchoire inférieure, d’une voix grinçante comme provenant de la chambre, il répondit lui-même:
— Yes, come in...***
Et, à l’aube, alors que le jour blanchissait derrière le fenêtre de la chambre quarante-trois et que le vent humide faisait bruire le feuillage échancré du bananier, tandis que se déployait au-dessus de l’île de Capri un ciel d’un bleu matinal, et que le soleil, s’élevant derrière les montagnes de l’Italie lointaine, repeignait d’or le sommet bien net du Monte Solaro, alors que se mettaient à l’ouvrage les maçons aménageant pour les touristes les sentiers de l’île, - fut apporté au numéro quarante-trois un long caisson de soda. Très vite, il se trouva fort alourdi - de quoi peser sur les genoux du plus jeune des portiers qui le voiturait prestement dans un fiacre tiré par un unique cheval au long de la chaussée blanchie, cahotant d’avant et d’arrière par les pentes de Capri, au milieu des murets de pierre et des vignes, descendant toujours plus bas, jusqu’à la mer. Le cocher, un maigrichon aux yeux rougis, portant un veston vieux aux manches trop courtes et des souliers éculés, avait la gueule de bois, - ayant joué aux dés toute la nuit à la trattoria, - et fouettait sans arrêt son cheval trapu, attifé à la sicilienne, l’équipage roulant avec fracas et précipitation, sonnant de tous les grelots attachés à la bride ornée de pompons de laine bariolée comme aux pointes de cuivre de la sellette, et s’agitait au rythme de la cavalcade, dépassant de la frange taillée du cheval, une plume d’oiseau d’un archine.*****Le cocher se taisait, honteux de son inconduite, oppressé par ses péchés, - et chagriné d’avoir perdu la veille jusqu’à son dernier sou. Mais dans l’atmosphère d’une matinée aussi pure, entre un tel ciel et une telle mer, on n’a pas longtemps mal aux cheveux et l’homme retrouve bien vite son insouciance, en outre, venait à point pour consoler le cocher ce gain imprévu que lui fournissait un certain monsieur de San Francisco, dont la tête brinquebalait dans le caisson derrière lui...Etendu tout en bas comme un scarabée sur le fond bleu vif qui enchâsse le golfe de Naples, le petit vapeur envoyait déjà les derniers coups de sirène - le son vif se propageait par toute l’île, dont on distinguait de partout chaque repli, chaque crête, chaque rocher, avec une netteté particulière, qu’aucun souffle d’air ne venait troubler, à croire qu’il n’y avait pas d’air. A côté de l’embarcadère, le jeune portier retrouva son vieux collègue, qui avait fourré dans une automobile la fille et la femme du monsieur de San Francisco, livides, les yeux noyés de larmes et ravagés par une nuit sans sommeil. Et dix minutes plus tard, faisant de nouveau bruire l’eau, le petit navire fila à toute vapeur, cap sur Sorrente, sur Castellammare, faisant quitter pour toujours Capri à la famille de San Francisco...Et l'île put retrouver son calme et sa tranquillité. 
Deux mille ans plus tôt, vivait sur cette même île un personnage indiciblement abject quand il s’agissait de satisfaire sa concupiscence, se trouvant en outre exercer le pouvoir sur des millions de gens, sur lesquels il exerçait les cruautés les plus extrêmes, et l’humanité a retenu son nom pour toujours, nombreux sont ceux qui viennent du monde entier contempler les restes de sa villa de pierres, sur l’un des escarpements les plus abrupts de l’île. En cette matinée extraordinaire, tous ceux qui étaient arrivés à Capri précisément dans ce but dormaient encore dans leurs hôtels, bien qu’on eût déjà fait venir les petits ânes gris avec leurs selles rouges, sur lesquels, après leur réveil suivi du petit-déjeuner, grimperaient une fois de plus en ce jour les Américains et les Allemands de tous âges et des deux sexes, derrière lesquels devraient une fois encore courir par les sentiers pierreux de la montagne, tout en haut jusqu’au sommet du Monte Tiberio, les pauvres vieilles femmes de Capri, avec leurs mains noueuses et les cannes avec lesquelles elles fouetteraient les petits ânes. Rassurés de savoir que l’on ramenait déjà à Naples - au lieu qu’il les accompagnât dans cette escalade - le monsieur de San Francisco, vieillard mort qui venait de leur infliger le rappel effrayant du trépas, les voyageurs dormaient d’un sommeil de plomb, tout était calme dans l’île, en ville les magasins n’avaient pas encore ouvert. Seul le marché aux poissons et au légumes, sur la petite place, était déjà en train, mais il n’y avait là que de petites gens au milieu desquels, désoeuvré comme à son habitude, se tenait Lorenzo, vieux batelier de haute taille, bel homme et fêtard insouciant, connu dans toute l’Italie, ayant plus d’une fois servi de modèle à de nombreux peintres: il avait apporté et déjà vendu pour trois fois rien deux homards pêchés cette nuit-là, qui  froufroutaient dans le tablier du chef de ce même hôtel où la famille de San Francisco avait passé la nuit, si bien qu’il pouvait maintenant rester au moins  jusqu’au soir, occupé, habitude royale chez lui, à jeter des regards à la ronde en prenant des airs supérieurs avec ses guenilles, sa pipe en terre et son béret de laine incliné sur une oreille. Et, sur les pentes du Monte Solaro, sur l’antique chemin des Phéniciens, cet escalier creusé dans la falaise, en descendaient les marches deux montagnards des Abruzzes. L’un deux portait, sous son manteau de cuir, une cornemuse, - une grande peau de chèvre avec deux chalumeaux - et l’autre avait une sorte de chalumeau en bois. Ils marchaient - et tout un pays s’étendait sous leurs pieds, plein de joie, de beauté, de soleil: et les bosses rocheuses de l’île, presque tout entière étalée en-dessous d’eux, et le bleu légendaire la baignant, et l’éclat des vapeurs matinales au-dessus de la mer, vers le levant, sous le soleil aveuglant et déjà brûlant qui montait, montait sans cesse, et, dans la brume bleutée du matin, le dernier vacillement des massifs de l’Italie, proches ou plus lointains, toute cette beauté que, par nos mots, nous n’arrivons pas à restituer. A mi-chemin, ils ralentirent le pas: au-dessus d’eux,dans une grotte visible au flanc rocailleux du Monte Solaro, illuminée en grand et chauffée par le soleil, dans ses habits de gypse immaculé et portant sa couronne dorée, à moitié rouillée par les intempéries, se tenait une Vierge Marie douce et bienveillante, aux yeux tournés vers le ciel, vers l’éternelle et glorieuse demeure de son fils trois fois béni. Ils se découvrirent la tête - et entamèrent leurs louanges naïves, calmes et joyeuses, au soleil, à cette matinée, à la Vierge pure et protectrice de tous ceux qui souffrent dans ce monde terrible et beau, et au fruit de ses entrailles, né dans la grotte de Bethléem , ce pauvre refuge de bergers de la lointaine Judée...
Le corps du monsieur de San Francisco retourna donc chez lui, dans une tombe des rivages du Nouveau Monde. Ayant fait l’objet de nombreuses vexations, de manques d’attention, ayant, une semaine durant, vagabondé d’un hangar portuaire à l’autre, il se retrouva pour finir à bord de ce même célèbre navire qui, si peu de temps auparavant, l’avait amené en Europe. Mais à présent, on le dérobait à la vue des vivants - à fond de cale, dans un cercueil goudronné. Et le vaisseau reprit une fois de plus sa route vers le lointain. Une nuit, il vogua au large de Capri, et, vues de l’île, ses lumières paraissaient tristes, qui se dérobaient lentement dans l’obscurité de la mer. Mais, sur le bateau lui-même, dans les salles brillamment éclairées, se déroulait le bal habituel, où se pressait une foule noctambule.
Le bal reprit la nuit suivante et le surlendemain - de nouveau au coeur d’une tempête de neige déchaînée, fouettant les montagnes d’eau  que soulevait l’océan, avec un grondement pareil au chant d’un service funèbre et dans la marche endeuillée de l’écume argentée. Innombrables, les yeux illuminés du navire étaient presque cachés par la neige au regard du Diable qui épiait, du haut du rocher de Gibraltar, depuis cette barrière de roc entre deux mondes, le paquebot s’enfonçant dans la nuit et la tempête. Le Diable était haut comme une falaise, mais le bateau était titanesque, lui aussi, avec son empilement d’étages et sa forêt de cheminées, enfant de l’orgueilleux Homme Nouveau au coeur ancien. La tempête frappait ses agrès, s’engouffrait dans la large gueule de ses cheminées blanchies par la neige, mais il tenait bon, demeurait ferme, majestueux, terrible. Isolés sur le pont supérieur, au milieu des tourbillons neigeux, se dressaient les appartements confortables et faiblement éclairés où, somnolant d’un sommeil léger et inquiet, trônait au-dessus du navire entier son massif commandant, tel une idole païenne. Il entendait les hurlements lourds et les glapissements furieux de la sirène, à moitié étouffés par la tempête, mais se rassurait en pensant à ce qui se trouvait si proche de lui, incompréhensible, finalement, pour lui-même, de l’autre côté de sa cloison: cette cabine pour ainsi dire blindée qui se remplissait sans arrêt de bruits mystérieux, de bourdonnements, de frémissements et de crépitements secs, accompagnés de lueurs bleues éclatant tout autour du télégraphiste blême, son appareil de métal sur la tête. Dans les entrailles de l’»Atlantide», tout en bas bien en-dessous du niveau de la mer, brillait l’acier mat des énormes chaudières d’une quinzaine de tonnes, toutes suintantes d’huile et de vapeur, et d’autres machines pareillement énormes, de toute cette cuisine portée à l’incandescence par des brasiers enfouis, dans laquelle s’élaborait le mouvement du navire, - tout un bouillonnement de forces dont l’effrayante concentration se communiquait à sa quille, à cet interminable tunnel tout en longueur, tout rond, faiblement éclairé, où lentement, avec une implacabilité écrasante pour une âme humaine, tournait dans sa gaine huilée le gigantesque vilebrequin, s’étirant comme un animal monstrueux dans ce tunnel semblable à un cratère. Et, au milieu de l’«Atlantide», les salles à manger et et les salles de bal émettaient lumière et gaieté, bourdonnaient des conversations de la foule en tenue de soirée, exhalaient des senteurs de fleurs fraîches, résonnaient des cordes de l’orchestre. Et, une fois de plus, se tortillait de façon poignante au sein de cette foule, se heurtant parfois convulsivement, au milieu des reflets brillants, des soieries, des diamants et des épaules nues des femmes, la fine et souple paire d’amoureux sur commande: la jeune fille exagérément modeste aux cils baissés, à la coiffure naïve, et le jeune homme de haute stature, aux cheveux d’un noir de jais comme collés sur son crâne, tout blanc de poudre, aux élégants souliers vernis, dans un frac serré aux longs pans - beau comme une sangsue géante. Et personne ne savait , ni comme était devenue ennuyeuse pour ce couple cette torture qu’était cette prétendue félicité se pavanant au son de la musique à la fois impudente et triste, ni ce qu’il y avait, très au-dessous d’eux, dans les profondeurs de la cale, dans les entrailles sombres et étouffantes du navire resté à grand peine vainqueur des ténèbres, de l’océan et de la tempête...














*  Fichez le camp! 
** Monsieur a sonné ? 
***  Oui, entrez.
**** Il est mort. 
***** Un peu plus de soixante-dix centimètres.

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